Le droit au logement opposable deviendrait-il… opposable ?

Une récente décision de la Cour européenne fait clairement apparaître l’échec de la loi DALO.

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Cités : logements sociaux à Saint Denis (KoS, Creative Commons)

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Le droit au logement opposable deviendrait-il… opposable ?

Publié le 13 avril 2015
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Par Roseline Letteron

Cités : logements sociaux à Saint Denis (KoS, Creative Commons)
Cités : logements sociaux à Saint Denis (KoS, Creative Commons)

 

L’arrêt Tchonkotio Happi c. France rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 9 avril 2015 montre que les lois purement cosmétiques finissent parfois par produire des effets, au moins au plan européen. La requérante et sa famille sont, du moins en principe, des bénéficiaires de la loi du 5 mars 2007 instituant un « droit au logement opposable » (loi DALO). Vivant dans un appartement insalubre en région parisienne, la famille, sur le fondement de ce texte, a été désignée comme prioritaire et devant être relogée en urgence. C’était il y a plus de trois ans, et, au jour de la décision de la Cour européenne, la famille vivait toujours dans son logement insalubre. Certes, le plafond de la cuisine risque de lui tomber sur la tête, mais elle a la satisfaction de figurer sur une liste de bénéficiaires prioritaires du droit au logement opposable.

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, Mme Happi conteste la procédure mise en place par la loi du 5 mars 2007, estimant que ce « droit au logement opposable » porte atteinte au droit à un recours effectif garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Une loi, ou un pléonasme ?

La notion même de « droit au logement opposable » a quelque chose de surprenant. Elle relève en effet du pléonasme : un droit qui n’est pas « opposable » ne peut être invoqué devant les tribunaux, et se trouve donc dépourvu de toute puissance normative. Un droit qui n’est pas opposable n’est donc pas un droit.

La procédure mise en place en 2007

La procédure mise en place par la loi de 2007 ne fait que refléter cette ambiguïté originale. Elle organise un mécanisme d’attribution prioritaire de logement en urgence dont les bénéficiaires figurent sur une liste établie par une commission de médiation. Une fois sa situation prioritaire établie, le demandeur peut faire valoir cette situation auprès des bailleurs sociaux et le préfet peut même donner une injonction à l’un d’entre eux de reloger l’intéressé dans son parc social. À l’issue d’un délai variant de trois à six mois selon la région et la taille du logement demandé, le demandeur peut saisir le juge administratif, qui est fondé à donner une injonction au préfet, exigeant le relogement de l’intéressé, le cas échéant sous astreinte.

Le droit à l’exécution d’une décision de justice

C’est ce qu’a fait la requérante, et elle a obtenu du tribunal administratif de Paris une injonction au préfet de la région Île de France exigeant qu’un logement lui soit attribué, sous astreinte de 700 € par mois de retard. En janvier 2012, l’État a donc payé la somme de 8400 € pour liquidation de l’astreinte, somme payée au Fonds d’aménagement urbain d’Île de France. Cette astreinte a donc pour finalité d’inciter l’État à exécuter la décision. Elle n’a aucune fonction compensatoire, puisque la requérante ne touche rien, la somme étant versée à un fonds géré par les services de l’État. Autrement dit, l’astreinte est liquidée par l’État au profit de l’État.

La requérante s’estime donc victime d’une violation de son droit à l’exécution d’une décision de justice. Depuis sa décision Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, la Cour estime en effet que ce droit constitue l’une des facettes du droit d’accès à un tribunal. L’exécution doit d’ailleurs être complète et non partielle. Dans une décision Matheus c. France du 31 mars 2005, la Cour a ainsi été saisie d’un refus de concours de la force publique opposé au requérant qui avait obtenu du juge l’expulsion du locataire sans titre qui occupait un terrain lui appartenant. Pour la Cour européenne, le droit au recours effectif n’implique pas seulement le droit d’obtenir une décision de justice mais celui d’en obtenir l’exécution, avec le concours effectif des autorités.

Le droit au logement, sans logement

Cette analyse s’oppose directement à celle du droit français qui repose sur une dissociation totale entre l’existence d’une procédure contentieuse destinée à affirmer l’existence d’un droit au logement opposable et son effectivité. Peu importe que le requérant n’obtienne pas de logement s’il a eu la satisfaction, purement intellectuelle, de voir son « droit au logement » consacré par un juge.

Ce raisonnement s’incarne dans l‘avis rendu par le Conseil d’État le 2 juillet 2010. Interrogé alors sur la compatibilité de la procédure mise en œuvre par la loi du 5 mars 2007 avec le droit au recours effectif consacré par la Convention européenne, le Conseil d’État se borne à constater l’existence d’un recours contentieux, et la possibilité d’obtenir du juge une injonction sous astreinte. Il ajoute d’ailleurs que le requérant peut, en cas d’inertie des autorités et de leur incapacité à lui procurer un logement, engager ensuite la responsabilité de l’État.

L’échec du dispositif DALO

À l’opposé de cette approche purement contentieuse, le rapport d’information publié le 27 juin 2012 par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois s’intéresse aux faits et seulement aux faits. Il affirme clairement que le dispositif du droit au logement opposable est « pour le moins décevant », ajoutant que l’astreinte « que l’État se verse à lui-même » n’a aucun caractère dissuasif. Le comité de suivi de la loi, dans son 6e rapport publié en 2012, donne des chiffres accablants, observant qu’en Île de France, seulement 33% des demandeurs ayant obtenu de figurer sur la liste des personnes à reloger sur le fondement de la loi DALO ont effectivement eu satisfaction. La Cour européenne mentionne d’ailleurs que les chiffres communiqués par l’administration pour 2013 font état d’un pourcentage de 26,8%, c’est-à-dire en forte baisse par rapport à 2012.

Cette situation trouve son origine dans le nombre insuffisant des logements sociaux et dans la résistance de certains élus. Les communes les plus riches ne respectent pas la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite loi SRU. Plutôt que construire les logements sociaux exigés par la loi, soit 20% du parc global, elles préfèrent payer la taxe annuelle. Les préfets, confrontés à un grand nombre de demandes de relogements au titre de la loi DALO, s’adressent donc aux communes les plus modestes, celles qui ont déjà 20% ou plus de logements sociaux. Le résultat est que les communes les plus pauvres sont sollicitées toujours davantage pour accueillir les familles les plus pauvres. Les élus sont tentés de résister à ces demandes pour éviter cette dynamique de la pauvreté qui conduit à la constitution de ghettos.

La décision de la Cour européenne du 9 avril 2015 apparaît ainsi comme le constat d’un échec. La loi du 5 mars 2007, on s’en souvient, avait été votée dans l’émotion suscitée par l’occupation du canal Saint-Martin par des centaines de tentes de personnes sans domicile fixe, action médiatisée par l’association « Les Enfants de Don Quichotte ». Le problème est que les textes votés dans l’émotion ne sont pas toujours les meilleurs. La Cour européenne sanctionne finalement une loi purement cosmétique, dont l’objet était purement déclaratoire. En clair, elle affirme que le droit au logement opposable doit devenir effectivement opposable. Le problème va désormais être celui de la mise en œuvre de la décision de la Cour européenne, en l’absence d’un parc de logements sociaux suffisants. À moins que le législateur préfère réfléchir à un dispositif un peu moins proclamatoire et un peu plus efficace ?


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  • le logement par nature et forcément social. C’est mieux que de vivre sous une toile de tente voire même dehors. Il y a des familles qui vivent dehors en France. Pour certain ce sont des exclus économiques : pas de travail, pas de revenus. Dure d’être exclus lorsque certains vivent dans des maisons bourgeoises avec piscine et tout le confort.
    Nous sommes bien en 2015 ?. Il y a des moments où j’ai comme l’impression que je suis au temps de l’homme préhistorique.

    • Le moteur tous les socialistes: l’envie.
      N’ayez crainte: les riches quittent le pays et ceux qui restent s’appauvrissent.
      Ce sera bientôt moins dur d’être exclus, tout le monde sera sous des tentes.

    • « Mais alors, on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice. »
      Frédéric Bastiat

      Si on donne à manger et une maison à tout le monde : qui sera suffisamment c** pour cultiver la nourriture et construire les maisons ?

    • Oui, c’était dur de bouffer de la fourmi quand certains avaient un mammouth entier pour leur famille…

  • Libérer le foncier , simplifier au maximum les normes, passer à la flat tax et allouer des bons pour se loger pour les personnes ne pouvant se payer un logement…Les solutions sont celles-ci les autres sont du pipeau…

  • « l’astreinte est liquidée par l’État au profit de l’État » : le comble de l’Obésitude…

    Si l’opération entre dans le calcul du PIB, en multipliant à l’infini les amendes payées à lui même, l’Etat obèse produira un immense sentiment de richesse, à n’en pas douter. Encore plus percutant que la fausse monnaie de SuperMariole ! Il va falloir inventer un nouveau concept qui promet des développements théoriques absolument passionnants : la vitesse de rotation de la fausse monnaie au sein de l’Etat.

  • C’est aberrant de voir qu’il est encore question de difficultés de logements pour certaines familles. La loi ALUR devait venir en aide à ses personnes, leur donnant alors accès à un logement neuf. De plus, nous apprenions il y a quelques semaines que la demande de logement social peut désormais se faire sur internet. Cela devrait donc aller plus vite. A Toulouse, je sais qu’il se construit des résidences pour donner accès à des appartements sociaux aux jeunes et aux familles dans le besoin. Il faut que cette démarche persiste pour satisfaire un grand nombre.

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