Marxisme, communisme et gestion des ressources naturelles

Comme en témoignent le dessèchement de la mer d’Aral ou encore la catastrophe de Tchernobyl, la nature a également fait les frais du communisme.

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Marxisme, communisme et gestion des ressources naturelles

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 avril 2015
- A +

Par Thomas Harbor.

USSR -happy march credits John Vaughan (CC BY-NC-SA 2.0)
USSR -happy march credits James Vaughan (CC BY-NC-SA 2.0)

 

Aujourd’hui, sur les dix endroits les plus pollués de la planète, cinq seraient situés en Russie ou en Asie centrale1. Le public occidental a été informé des données extrêmement alarmantes2 sur l’état de l’environnement en URSS grâce à des auteurs comme Keith Bush en 19723 ou encore Boris Komarov4 en 1981. Plus récemment, s’est faite ressentir l’absence de littérature conséquente concernant l’histoire environnementale de l’URSS, et la littérature a voulu explorer les raisons de la tragédie environnementale qu’a été l’URSS.

Comme en témoignent le dessèchement de la mer d’Aral ou encore la catastrophe de Tchernobyl, la nature a également fait les frais de la démarche constructiviste d’ordonnancement du réel propre au communisme. On peut mieux en comprendre les causes en étudiant les fondamentaux de l’attitude des dirigeants de l’URSS dans la gestion des ressources naturelles à travers les prolongements qui ont été faits entre marxisme et communisme d’un côté et environnementalisme de l’autre.

La tragédie des biens communs

Les écrits de Marx et Engels ont nourri la doctrine soviétique en matière environnementale et l’effacement de la notion de propriété privée est au centre de la problématique environnementale. Karl Marx a écrit :

« d’un point de vue d’une organisation supérieure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe terrestre paraîtra toute aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur son prochain. Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n’en sont que les possesseurs, elles n’en ont que la jouissance et doivent la léguer aux générations futures après l’avoir améliorée en boni patres familias ».5

En toute logique, ce qui n’est pas produit par l’homme est gratuit6, ce qu’offre la nature apparaît comme une donnée exogène, sorte de « manne tombée du ciel » (R. Solow, mais à propos de la démographie).

Le problème soulevé par la théorie libérale et mis en évidence par l’expérience empirique a été que la gestion en « boni patres familias » semble fort compromise en l’absence de propriété privée. La détermination de la rareté ne peut se faire de manière optimale que par les mécanismes de prix, qui sont inexistants dans le cadre des biens communs. En l’absence de propriété privée, l’État a pu, dans le cadre d’une économie totalement planifiée, disposer, ou plutôt piller, à sa guise des ressources environnementales pour la réalisation de ses plans quinquennaux.

L’Homme tout-puissant contre la nature

La doctrine soviétique se base sur une forme exacerbée de volonté de transformation du réel par l’Homme, qui trouve ses sources dans l’inspiration hégélienne des travaux de Marx. Sous Staline, les deux mythes majeurs sont le caractère inépuisable des richesses et le rôle conquérant de l’Homme. Cette vision de l’Homme conquérant a son importance historique. L’on sait à quel point la Russie a eu tendance à lancer de véritables bras de fer contre les éléments naturels pour mettre en place ses constructions humaines. Et cela s’est trouvé exacerbé avec le communisme.

Staline disait en 1952 que « si l’on exclut les processus astronomiques, géologiques et quelques autres processus analogues contre lesquels les hommes, même s’ils forçaient les lois de leur développement,  resteraient impuissants à lutter, il existe bien d’autres cas où ils sont loin d’être impuissants du point de vue de leur influence concrète sur les éléments naturels7  ». Les implications philosophiques sous-jacentes sont d’une importance primordiale, et l’on comprend aisément que la doctrine communiste ait pu se fondre dans cette idée d’un (sur ?) Homme dominant les éléments par un effacement de l’individualité.

Le petit nombre de textes marxistes sur la question a laissé la place a beaucoup d’interprétations sur la question entre les relations entre communisme et ressources naturelles. Cela a donné lieu à des controverses8 ayant animé les différents courants au début de la période communiste. S’opposaient, d’un côté, les tenants de la conservation de la nature autour de la Société panrusse de protection de la nature créée en 1924, qui regroupaient surtout les spécialistes issus de l’époque tsariste ; de l’autre, la jeune génération de spécialistes issus des divers instituts créés par l’URSS, qui soutenaient le droit à l’exploitation maximale des ressources au service de la production nationale.


Un article initialement publié sur 24h Gold.

  1. Blacksmith Institute.
  2.  Ainsi, 40% du territoire serait pollué et 75% de la proportion des eaux de surface seraient impropres à la consommation.
  3.  Keith Bush, Problems of Communism, 1972, « Environmental problems in the USSR ».
  4.  Boris Komarov, Le rouge et le vert. La destruction de la nature en URSS, 1981.
  5. Voir An Environmental History of Russia, par P. Josephson, N. Dronin, R. Mnatskian, A. Cherp, A. Efremenko & V. Larin, 2013.
  6. Théorie de la valeur chez Marx : « La valeur d’échange représente la quantité de travail dépensée pour sa production », Le Capital, Livre I.
  7. J. Staline, Problèmes économiques du socialisme en URSS, 1952.
  8.  Développées dans An Environmental History of Russia.
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  • Techniquement, la nature au niveau de Tchernobyl se porte tres bien. La plus part des organismes supportent bien mieux la radioactivité que nous et le départ des hommes a permit l’épanouissement d’un grand nombre d’espèces.

    Tchernobylest donc un mauvais exemple d’atteinte à la nature suite à une politique quelconque. La seule chose qui a été atteinte c’est la possibilité de l’Homme de profiter de cette nature, ce qui n’est pas la même chose que pour la mer d’Aral, autre exemple cité.

    • Non. Ce qui a permis à la nature de s’épanouir à Tchernobyl n’est pas l’explosion de la centrale, c’est à dire la catastrophe, mais bien le retrait de toute activité humaine. A court terme les biotopes ont morflé, c’est certain. Puis l’homme s’est retiré, puis la nature a repris ses droits, mais non sans danger.

  • « Sous Staline, les deux mythes majeurs sont le caractère inépuisable des richesses et le rôle conquérant de l’Homme.  » Autant je conchie le communisme, autant je pense que ce n’est pas propre au communisme.

    Ces deux mythes ont été dominants (et le sont encore) y compris en Occident, aussi bien en amont (ressources fossiles) qu’en aval (p.ex. océans, égouts = réservoirs infinis au point qu’on est pas à x litres de pesticides, engrais, eau de javel près), l’emprise de l’Homme sur les ressources naturelles s’est développée sur cette base. C’est aussi entre autres la remise en cause de ces mythes qui sont à l’origine des mouvements écologistes (constat).

    La différence dans un marché libre est que les droits de propriété sont en principe un facteur limitant de la tragédie des biens communs (espaces privés, rareté, ruptures technologiques, etc.).

    • Je suis largement d’accord, sauf sur le dernier point: tout dépens de l’impact généré, direct ou diffus. Je suis largement d’accord sur les impacts directs, mais l’exemple de la mer d’Aral serait un exemple reproduit partout ailleurs, si ces conditions se retrouvaient.

      d’ailleurs, notre sensibilité écologique ne vient juste d’apparaître chez nous. Au temps de Staline, nous n’étions pas meilleurs, et avions d’autres priorités :
      http://dai.ly/xpafzm
      (au début c’est lent, ça s’accélère par la suite de manière édifiante)

      Le cas de la mer d’Aral est un cas tout à fait unique, d’un équilibre précaire entre l’apport en eau et l’évaporation. Les impacts ayant été sur le long terme, je doute que l’occident ait été réellement meilleur que ce qui s’est produit la bas (hélas) . Par ailleurs, dans les années 2000, à l’heure ou le communisme avait globalement disparu de la région, le drainage n’a pas arrêté, ou un problème de capacity planning à grande échelle ? De plus, il était autrefois alimenté par les neiges des monts avoisinants. Et neige il n’y a plus …

      Il suffit de voir les problèmes sur l’eau potable des usines de coca cola au Mexique ou en Indes.

      L’homme est d’abord un opportuniste, emprunt de paresse intellectuelle (autant il se débrouille pour ce qui se situe sous son nez, autant au dela …)

      • Effectivement… n’hésitez pas à lire mon billet d’humeur sur l’article précédent

      • C’est pour ça que je dis ‘en principe ‘… Ça dépend beaucoup de la ‘conscience environnementale’ que l’on a et du type de dégât, souvent plus subtil que déverser manifestement ses crasses sur le pré du voisin. Je pense que présenter un meilleur respect des droits de propriétés comme une solution à tout est peut-être une condition nécessaire mais insuffisante.

  • Les commentaires sont fermés.

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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François Kersaudy est un auteur, historien reconnu, spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale et de l’histoire diplomatique. Auteur de De Gaulle et Churchill (Perrin, 2002), De Gaulle et Roosevelt (Perrin, 2004), il a aussi écrit une biographie de Churchill pour Tallandier, et une autre consacrée à Lord Mountbatten pour Payot. Il est aussi l’auteur d’ouvrages consacrés à l’Allemagne nazie.

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