L’innovation, ma boule de cristal

L’examen des innovations majeures permet de dessiner notre avenir collectif.

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L’innovation, ma boule de cristal

Publié le 30 mars 2015
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Par Guy Sorman.

Voyance - Credits Jonathan Mieze
Voyance – Credits Jonathan Mieze (CC BY 2.0)

Prévoir notre avenir collectif, sans même disposer d’une boule de cristal, est à notre portée. Il suffit de se référer à un indicateur qui ne relève pas de la magie, précis, disponible mais rarement consulté. Ce tableau du futur prochain est celui des brevets déposés chaque jour dans le monde : tout inventeur n’est pas nécessairement porteur d’avenir, mais sur le grand nombre, il n’est pas d’innovation qui ne soit protégée par un brevet. Que l’innovation soit le fondement du progrès fut compris en Grande-Bretagne au début du XVIIIe siècle : le Parlement britannique protégeait alors la propriété intellectuelle des inventeurs. Il revint ensuite à Thomas Jefferson d’inscrire dans la Constitution des États-Unis cette propriété intellectuelle, considérant que le brevet deviendrait la véritable richesse de sa nouvelle nation. À Jefferson, il revient aussi d’avoir limité la propriété intellectuelle dans le temps, afin que le brevet ne devienne pas un obstacle à la concurrence. Ces principes sont devenus universels, mais tous les brevets ne se valent pas. L’indicateur significatif est le tableau des brevets dits triadiques, déposés aux États-Unis, en Europe et au Japon, ce qui leur confère une validité quasi universelle.

Quels pays inventent ?

De ce tableau, il ressort que le nombre de brevets croît de manière géométrique, puisque le nombre des chercheurs augmente et que le progrès est cumulatif : plus on cherche, plus on trouve. On trouve où on cherche, en premier lieu aux États-Unis, avec un tiers des brevets triadiques annuels. Sachant qu’une proportion significative de ces brevets deviendront les produits et services de l’avenir proche, la prééminence des États-Unis n’est pas en doute ni menacée.

Immédiatement derrière les États-Unis, le Japon reste le second porteur d’innovations. On s’en est rendu compte lorsque la catastrophe de Fukushima (en 2011) avait paralysé l’industrie japonaise, interrompant par contrecoup des entreprises du monde entier, privées de pièces détachées que le Japon seul fournissait. L’Europe arrive en troisième position avec une contribution prépondérante de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de la France, du Danemark, de la Belgique et de la Suisse. Par habitant, le Japon et la Suisse sont les deux leaders mondiaux de l’innovation. L’Europe traverse donc une phase difficile, mais elle n’est pas marginalisée : avec les États-Unis et le Japon, voici la troïka qui mène le monde. Ce qui permet de comprendre pourquoi, même lorsque la croissance ralentit, la qualité de vie s’améliore grâce à l’innovation : de la santé au téléphone par exemple.

Et les pays « émergents » ? Ils n’émergent pas ou peu : le seul qui apparaît sur l’écran radar de l’innovation est la Corée du Sud. Taïwan aussi frémit. Derrière, rien : la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie ne déposent que des brevets à usage interne, dont l’objet est avant tout de bloquer la concurrence étrangère. La croissance de ces pseudo-émergents reste, pour l’instant, fondée sur l’imitation et la sous-traitance. La carte du monde de demain ressemble à la carte du monde d’aujourd’hui.

Qu’invente-t-on ?

À suivre les brevets triadiques, on perçoit les novations majeures. On en soulignera cinq : la fabrication en 3D, la médecine à distance, l’internet des choses, l’alimentation de synthèse, l’éducation à distance.

  • Les imprimantes en trois dimensions permettront, chez soi ou en usine, de fabriquer n’importe quel objet en n’importe quelle matière sur la base d’un programme informatique. Le coût de la main-d’œuvre deviendra marginal dans la fabrication industrielle, ce qui ramènera la production des pays à bas salaires vers les pays riches et consommateurs : le modèle chinois en sera affecté si la Chine ne passe pas de la reproduction à l’innovation.
  • La médecine à distance permettra de s’auto-diagnostiquer en continu : les données seront transmises en temps réel aux médecins, à fin de vérification et de thérapeutique. La visite médicale deviendra un ultime recours pour les patients non équipés et les cas désespérés.
  • L’Internet des choses nous permettra de tout commander à distance, de la conduite de notre voiture au chauffage de notre domicile.
  • L’enseignement à distance a commencé, au départ des universités américaines (Massive Online Courses) qui dispensent leurs meilleurs enseignements sur le web, tout en vérifiant les connaissances acquises. Le cursus universitaire de l’avenir exigera sans doute quelques années à distance et une année finale sur le campus (c’est déjà le modèle de l’Université de l’Arizona), offrant au grand nombre un enseignement de qualité aujourd’hui réservé aux élites.
  • L’alimentation de synthèse ? Les protéines de synthèse permettront d’accompagner la croissance démographique, alors même que les terres arables commencent à manquer et que les effets bénéfiques des OGM (organismes génétiquement modifiés) s’épuisent.

Dans cette esquisse d’un futur plus que probable, les énergies de substitution n’apparaissent pas : les ressources de charbon, pétrole et gaz devenant inépuisables – grâce à la fracturation des roches et aux gains de productivité – l’incitation à changer de source d’énergie devient nulle. Pour ceux qui s’inquiètent du réchauffement climatique, la capture et la cristallisation des résidus devraient rassurer.

Cet avenir suppose que l’économie de marché perdure, car une invention sans un entrepreneur qui la transforme en produits accessibles au grand nombre reste stérile. Mais on ne peut pas breveter l’économie de marché, ni la démocratie qui favorise l’esprit inventif : ce qui est brevetable est certain, mais ce qui ne l’est pas est incertain, voire improbable.


Sur le web

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  • Les imprimantes 3D et leurs filaments seront peut-être fabriquées en chine, la Chine n’étant déjà plus le fabricant de jouets et de produits de base.
    Est devenue un leader mondial de l’appareillage en médecine : avec des innovations en dermatologie comme le Laser CO2 fractionnel, plus récemment le Laser de réduction vaginal, le laser Holmium pour la réduction de la prostate….L’utilisation massive du PRP dans tous les domaines de la médecine.
    Leur avancée dans les lampes à Led est impressionnante depuis 12ans les magasins en sont équipés ayant réduit la consommation de courant, ici ça balbutie…pour garder les lampes au mercure. Ils courent vers la TV et Telephone 4K, et la réfrigération sonique(le son produisant du froid : plus de gaz freon..)
    En matière de médicaments ils entrent dans la cour des grands avec le MIL77 qui permet de guérir EBOLA et a des résultats plus que prometteurs sur le virus du SIDA (les Labos américains freinent de tous leurs pieds pour empêcher ce médicament à bas coût de leur voler : le pactole de la Tri-Thérapie !)

  • C’est marrant mais ma propre boule de cristal ne doit pas être réglé sur le même canal. Mais de toutes façons toutes les chaînes se valent dans leur médiocrité …

  • Il y a sûrement de quoi emballer des politiciens, mais d’une part les brevets ne sont pas un signe d’innovation mais de business model protectionniste et monopolistique, et d’autre part l’adoption populaire a ses propres règles incompréhensibles qui déjouent toutes les prévisions.
    – L’imprimante 3-D fait l’impasse sur des siècles de science des matériaux. Elle soulève aussi bien d’autres problèmes dans la relation commerciale avec le fournisseur de fichiers imprimables (que ferez-vous quand votre gamin imprimera une petite voiture et qu’elle sortira verte en forme de sapin ?).
    – Déjà aujourd’hui, si vous avez eu une maladie qui ne s’est pas déroulée « normalement », vous aurez pu constater les effets catastrophiques de la limitation de notre personnel médical au suivi de protocoles. Le progrès serait de soigner le malade comme s’il était un être humain, ça n’est pas le sens de votre « innovation ».
    – « tout commander à distance » est le rêve humide de certains, ça n’en fait pas un bienfait pour autant.
    – Les MOOCs ne peuvent se substituer à l’éducation classique. Ce sont des machins pour adultes motivés. Avoir un grand prof accessible par internet ne vaut pas un prof besogneux mais en charge d’un seul petit groupe dans votre salle de classe, qui tantôt vous engueule et tantôt s’intéresse à votre avenir personnel.
    – L’alimentation de synthèse, c’est possible depuis longtemps, ça n’est pas souhaitable. A voir nos paysages, on ne manque pas de terres pour nourrir le monde, et malgré la croissance de la population, il y a de moins en moins de famines. Le repas pris en commun, la gastronomie même sont à la base de nos relations sociales. Quand on veut faire affaire avec quelqu’un, on l’invite à déjeuner ou à dîner. Quand on a quelque chose à offrir en remerciement d’un service, on achète des chocolats, pas du soleil vert.

    Plein d’innovations vont venir nous améliorer la vie, mais elles ne seront pas ce que nous imaginons aujourd’hui.

    • Tout à fait d’accord, mais j’aurais pu dire la même choses d’autres arguments tant la prévision est un art difficile et … éphémère.

      L’innovation n’est rien sans l’adoption de la nouveauté. On peut trouver quelque chose formidable, être impatient d’en disposer, et s’apercevoir une fois qu’on le possède que l’on peut très bien s’en passer, que cela apporte plus de problèmes que de bénéfices et ne répond pas aux besoins véritables.

      Juste 2 remarques sur les MOOCs : d’une part je ne vois pas le rapport avec les brevets, d’autre part il ne faut pas le considérer comme un bien de consommation à l’usage de tous, mais comme un outil indispensable pour acquérir une connaissance de base de plus en plus diversifiée et difficile à définir dans un plan de formation. Cela ne peut pas faire des « têtes bien faites », mais une tête bien faite doit être en mesure de se faire une idée de ce qui existe. Il me semble que l’enseignement général inclut de plus en plus de cours sur des détails pratiques ou technologiques (qui pourraient être acquis sous forme de MOOCs) au détriment de la théorie pure et de la rigueur. Cela peut sembler une conception élitiste, mais elle peut s’appliquer à tous les niveaux de formation.

      • Pour les MOOCs, je pense que leur rôle est effectivement plus de remplacer la formation professionnelle et extra-professionnelle que l’éducation scolaire et universitaire. Vu les dizaines de milliards de fromages en jeu en France et le contrôle idéologique étatique sur les professeurs aptes à y donner des MOOCs en français, ça n’est pas gagné.

        • Il y a les MOOC de ALISON (Advanced Learning Interactive Systems Online ; Galway, Irlande) qui font une certaine part aux techniques artisanales et industrielles (charpente, électricité, plomberie, ….).

  • J’aime bien lire dans le futur. Cette approche de voir les inovations, les brevets pour deviner le futur me plait bien. Par contee je trouve cela un peu court et du coup faux. Nous ne pouvons résoudre le stock limité et déjà en voie d’épuisement du trio gaz – charbon – pétrole uniquement par la fracturation. Ou alors que l’on m’explique comment fournir l’energie dont nous avons besoin en si peu de temps en si grande quantité. Je pense que dans ce domaine Mr Jancovici pourra vous montrer que le probleme est ardu, et que nous sommes condamné a vivre avec moins. La race humaine est capable de s’adapter, mais pas sans heurts. Je prendrait le résultat des inovations à l’envers : combien faudra-t-il d’energie pour fabriquer et en série le bien ou le service ( usinage, transport, consommation, etc) pour voir s’il sera réalisable ou ne restera qu’un rêve !

    • Ce n’est pas une bonne approche de réaliser ce qu’on pense être en mesure de produire : il faut réaliser ce dont on a besoin. Et quand il y a un besoin fort et réel, on finit par trouver une solution ou un compromis.

      Mr Jancovici peut condamner l’humanité dans son coin, mais l’humanité n’a que faire de ses sentences.

  • Effectivement, pas besoin de voyante, à consulter aussi http://shorttt.com/HdcMfZ c’est la base de données de brevets de l’OCDE.

  • Le MIL77 dont toutes les revues scientifiques parlent comme un des médicaments du futur, après ses succès pour vaincre EBOLA en RU et Sierra Leone ; et dont les premiers tests sur le SIDA sont stupéfiants : n’est pas dans la liste de innovations..
    On parle peu des nombreuses applications du PRP (Plaquettes de Plasma enrichi), en Chine le PRP est à toutes les sauces de la médecine avec des résultats extraordinaires sur les articulations, les greffes, les escars, la chirurgie plastique…
    Et du son pour produire du froid sans le freon si contaminant ?!
    Mais c’est vrai quand le Chinois innove, cela ne compte pas…

  • L’innovation le 30 mars, c’est avoir simplement 2 jours d’avance !

  •  » Le coût de la main-d’œuvre deviendra marginal dans la fabrication industrielle, ce qui ramènera la production des pays à bas salaires vers les pays riches »
    Au contraire.
    L’augmentation de la valeur absolue du capital productif se traduit par une diminution de sa part relativement à celle du travail (Bastiat).
    En langage moderne: la productivité augmente les salaires.
    C’est pour cela que la production pourra revenir dans les pays riches.

    Concernant la médecine: C’est un secteur économique complètement collectivisé.
    Le progrès y est presque impossible.
    Des millions de vies seraient sauvées ou améliorées, d’innombrables milliards économisés si la santé était soustraite au communisme – bien plus encore dans les pays anglo-saxons qu’en France, et prochainement aux États-Unis même.

    Imaginez qu’une entreprise comme criteo puisse analyser les ordonnances, les dossiers médicaux, les achats en pharmacie et parapharmacie ou autres, et aviser les assurances des risques.
    Untel fume 2 paquets, a signalé des douleurs thoracique et vient de s’acheter un médicament contre les reflux gastriques, ce qui déclenche l’identification d’un risque d’infarctus à 75% dans les 6 semaines: Alertez son médecin, convoquez-le à un test cardiaque dans les plus brefs délais.

    De même en matière d’instruction le problème est politique et non technologique. Espérons que le barrage politique cède sous la pression de l’innovation, et nous débarrasse de cette citadelle socialiste qui explique notre déchéance intellectuelle et morale.

    •  » Concernant la médecine: C’est un secteur économique complètement collectivisé.
      Le progrès y est presque impossible.  »

      Ce n’est pas vrai. l’innovation dans les traitements médicaux sont essentiellement issue du privés comme les industrie pharmaceutiques.

       » Au contraire.
      L’augmentation de la valeur absolue du capital productif se traduit par une diminution de sa part relativement à celle du travail (Bastiat).  »

      Sorman voulait dire par coût de la main d’œuvre devenant marginal est que les bas salaires en Chine ne seront plus déterminant pour garder une production industrielle et que c’est l’innovation des nouvelles technologies occidentales qui va ramener la production en occident.

      D.J

      • Je suis sûr que GS a bien compris les phénomènes économiques, mais sa formulation prête pour le moins à confusion, on dirait du marxisme …

        Quand au privé dans le secteur médical, il ne subsiste plus guère qu’aux USA dans la pharmacie, et même là il est engluée dans la réglementation.
        Il faudrait un retrait général de l’État pour que l’innovation existe dans la médecine générale ou hospitalière.
        Pour que le big data permette de détecter les risques.

        Un pays qui libérerait la médecine verrait sa prospérité bondir.

  • Je peux vous assurer que les OGM ne sont pas en perte de vitesse car de nouvelles applications de la transgénèse émergent en permanence: plantes biofortées, plantes résistance à la sécheresse, aux innondations, plantes résistantes aux maladies ( Mildiou…), plantes résistantes à des virus, plantes plus efficientes pour produire de l’énergie…
    Par ailleurs l’amélioration des plantes génétiquement modifiées ne passe pas uniquement par la trangénèse mais aussi par tous les autres outils issus des biotechnologies comme la mutagénèse dirigée, la cisgénèse, l’édition de gènes…; L’UE en examine 7 pour en étudier la réglementation. L’amélioration des plantes comme l’amélioration de la santé humaine passera notamment par le génie génétique.

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