Pourquoi lire un programme politique ne sert à rien

Une fois les élections passées, rares seront les promesses tenues. Parce que les politiques ont bien plus intérêt à mentir qu’à « parler vrai », mieux vaut donc consacrer son temps libre à la pêche ou au tir sportif qu’à écouter leurs boniments.

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Pourquoi lire un programme politique ne sert à rien

Publié le 17 avril 2017
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Par Frédéric Mas.

Je voudrais montrer ici que ce n’est pas par malice que le politicien professionnel ment sur la possibilité de réalisation de son programme, mais qu’il s’agit plutôt d’un effet nécessaire et structurel de la séparation de la temporalité politique propre au scrutin majoritaire en deux moments distincts, celui de la conquête du pouvoir et celui de son exercice. Le premier moment demande de convaincre le plus d’électeurs possible, tandis que le second suppose la rétribution des membres de la coalition électorale gagnante en fonction des biens disponibles.

Ces biens, qu’ils soient matériels et déclinables en termes d’avantages fiscaux, juridiques, de position ou de financement, ou en termes moraux et symboliques, n’existent que par l’exploitation des individus qui constituent la société civile. En effet, comme la politique par elle-même ne produit rien, son existence dépend de la captation des ressources qu’elle prélève au sein de la société civile. De ce fait, les transferts qu’elle met en place se font toujours à la fois au bénéfice d’une classe d’individus et au détriment d’une autre ponctionnée.

Conquérir le pouvoir

L’homme politique en démocratie a tout intérêt à convaincre et mobiliser le plus d’électeurs possible afin d’être porté au pouvoir. C’est pour cette raison qu’il va multiplier les appels du pied aux coalitions, groupes d’intérêts et autres factions qui fourmillent au sein de la société civile1. En proposant des avantages à une multitude de petits groupes fortement identifiés et mobilisables au détriment du plus grand groupe qu’est la majorité de la population, le politicien maximise ses chances d’être élu.

Pourquoi s’adresse-t-il en priorité à une multitude de petits groupes motivés plutôt qu’à la majorité des électeurs prise comme un tout ? La réponse, assez simple, nous est fournie par Mancur Olson2. Plus une coalition d’intérêts est large, moins les individus qui la forment ont intérêt à s’y investir : le bénéfice individuel espéré en intégrant le collectif décroît en fonction du nombre d’individus qui la rejoignent. Inversement, plus le groupe est petit, plus l’investissement individuel paraît rentable parce que limitant les comportements improductifs. En politique, ça se traduit comme il suit : le politique en s’adressant à la majorité prise comme un tout diminue ses chances de mobiliser l’électeur même en promettant la lune3 là où une segmentation intelligente de son marché électoral (retraités, fonctionnaires, industriels, etc.) augmente ses chances d’accéder aux magistratures suprêmes.

Constituer une majorité devient donc pour le politicien l’art de « coaliser les coalitions » en leur promettant à toutes des cadeaux électoraux (ou des biens politiques).

Exercer le pouvoir

Seulement, après la campagne électorale, ça se complique. D’un côté, il y a les vaincus, qui ne peuvent espérer aucun bénéfice, mais qui doivent au contraire s’attendre à supporter le coût matériel, moral et symbolique des avantages attribués aux groupes d’intérêts gagnants, et de l’autre, les vainqueurs, qui vont désormais s’astreindre à rétribuer les affidés en essorant le plus de perdants possible.

En effet, pour augmenter les bénéfices des différents individus coalisés pour gagner, la « coalition de coalitions » a tout intérêt de se réduire au minimum syndical. En limitant le nombre de personnes à rétribuer, elle augmente mécaniquement la part individuelle de bénéfices de chacun de ses membres, puisque dans le même geste, elle augmente le volume de la coalition perdante qui va servir de vache à lait4.

Ajoutons à cela que les biens recherchés par les coalitions en compétition au moment de l’élection sont relativement rares pour beaucoup de prétendants. Il y a forcément beaucoup moins de biens politiques disponibles que de coalitions à rétribuer, ce qui accroît à la fois la compétition au sein même de la coalition gagnante pour les obtenir et la valeur respective desdits biens.

Bavard pendant la campagne, avare pendant son mandat

Ainsi, le politicien en campagne promet au plus possible de coalitions d’intérêts et de collaborateurs et s’empresse de revenir sur ses promesses une fois le poste convoité obtenu afin de maximiser sa fonction d’utilité. Bien entendu, on peut imaginer que nos politiciens nationaux ne raisonnent pas en ces termes, et que contrairement aux autres professions, l’altruisme et le sens du devoir priment sur l’ambition et l’appât du gain au pays enchanté de la politique.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est le genre de pari que la plupart de nos concitoyens prennent chaque fois qu’ils se déplacent aux urnes. Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’en suis venu à penser qu’il est plus raisonnable de croire aux licornes et aux fantômes.

 

  1. Mises (Ludwig von), The Clash of Group Interests and other essays, New York, Richard M. Ebeling Editor, 1978.
  2. Olson (Mancur), Logique de l’action collective, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2011.
  3. Comme l’a fait le candidat Newt Gingrich aux primaires républicaines américaines en 2012.
  4. De Jasay (Anthony), Political Philosophy, Clearly. Essays on Freedom and Fairness, Property and Equalities, Indianapolis, Liberty Fund, 2010, p. 11./note
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  • Belle description de pourquoi je ne me déplace plus pour voter depuis longtemps. Ou une explication du déficite démocratique de la France.

  • Très bon article. A chaque élections, nous assistons donc à un phénomène d’hystérie et d’hallucination collective dont le militant est le symbole le plus inquiétant.

  • Je trouve la conclusion défaitiste, fataliste même… Quelle meilleure alternative au vote ?
    Je lis les programmes quand même et je cherche à me faire une synthèse du personnage. Quel orientation donnera-t-il à la présidentielle ? Je n’attends pas que chaque point de son programme soit appliqué fidèlement. Il ne pourrait pas, il n’est pas un autocrate.
    Quand bien même, on sait qu’ils promettent beaucoup et exécuteront qu’une partie de leurs promesses… Jouer au loto présidentielle me laisse quand même une toute petite chance de gagner alors que de croire en des licornes et des fantômes ne mène nulle part.

  • Merci pour cet article qui incite à la réflexion sur l’utilité du vote des citoyens pour élire notre représentation politique.
    Pourquoi s’étonner du non respect des promesses électorales destinées à des électeurs qui font semblant d’y croire ?
    Il en serait autrement si notre constitution venait à prévoir une possibilité de remise en question d’un mandat politique, quel qu’il soit, par l’effet d’un référendum citoyen initié par ces mêmes citoyens.
    La démocratie libérale de la Confédération Suisse pourrait être une source d’inspirations….

  • À partir du moment où la politique est un métier constitué d’une suite de CDD, la seule solution pour un politicien est de lancer des promesses comme des hameçons bien garnis dans une eau poissonneuse.
    Chaque promesse permet de faire naitre à celui qui y est sensible un espoir, ou l’exaltation du moment.
    Comme quoi les promesses politiques n’engagent ceux qui y croient.

  • ça sonne juste mais en vérité ce processus est connu des gens voire espéré, ce qui m’horripile c’est la mise en avant constante par les politiciens de l’intérêt commun et que la communauté c’est la masse des gens « modestes ».
    ce qui choque c’est que la politique est vendue pour ce qu’elle n’est pas.

    Si tout le monde sait qu’ on vote pour un politicien pour des intérêts personnels clairement obtenus au détriment des autres pourquoi pas? Melenchon a ce mérite : il déclare on va vider les poches des riches et il peut le faire car l’idée s’est imposée chez beaucoup que tout enrichissement se fait au détriment des autres. .

  • marrant tiens ; je crois plus au fantôme et au père noël qu’aux belles paroles des uns et des autres , c’est dire …..

  • J’entends.
    Derrière un président il y a ceux qui tirent les ficelles. Ceux qui dans les alternances se retrouvent à manœuvrer en arrière plan. Dixit le chef des inspecteurs des finances Jean-Pierre Rouyet pour n’en citer qu’un à titre d’exemple. Rarement médiatisés ces manipulateurs de l’ombre façonnent à l’envie notre pays se servant de nos présidents comme miroir aux alouettes. Naturel que les électeurs se sentent largués et que ce petit pouvoir citoyen de porter sa voix aux urnes, semble vain. Ce n’est pas seulement un homme que nous devrions supporter, mais un groupe d’hommes préalablement constitué, avec des compétences propre en lien avec leur fonction. C’est l’organigramme du gouvernement tout entier qui devrait être présenté. Je hais cet effet pochette surprise qui fait que l’on ne dévoile le jeu qu’une fois en place. Je ne crois qu’un homme seul puisse mener la barque. C’est un projet commun. Pour cela il faut changer de république, et le seul homme à l’heure actuel ayant assez de cran pour bousculer les institution est un socialiste qui n’a pas froid aux yeux et c’est de cela dont nous avons besoin. C’est l’homme providence.

  • il y a belle lurette que notre démocratie n ‘en est pas une.

    redonner le pouvoir au Citoyen c lui permettre d être réellement représenté cad à la proportionnelle

    c aussi lui demander son avis en un référendum pour chaque grande décision à prendre pour le pays

    c des hommes et femmes salariés comme tout le monde
    sans privilèges chargés de faire appliquer ce que les citoyens auront choisis pour le pays pour kes 30 ans à venir et non dans l immédiateté de 5 ans

    c la non reconduite de mandat politique et retourner à la société civile
    pour un politicien

    déjà ça changerait beaucoup de choses.

    • « il y a belle lurette que notre démocratie n ‘en est pas une. »
      — Dites ça aux syriens et aux nord-coréens, ça leur fera surement plaisir…

      Par contre je vous rejoins sur la proportionnelle : il nous faut une assemblée (au choix, sénat ou AN) élue à 100% proportionnelle.

      Par contre pour les référendums à tout va, vous irez vraiment voter 2x par mois si jamais ça arrivait ?
      Vu la quantité d’absention aux élections existantes, je doute de l’efficacité d’une sur multiplication des référendums.
      Après, ça marche en Suisse, donc pourquoi pas ?

  • Il y a du vrai.

    Mais ce n’est pas tout le réel.

    D’abord parce que les motivations se l’homme sont mêlées. Peut-on vraiment croire que de Gaulle, qu’on l’aime ou non, n’était motivé que par les ressorts mis en avant par l’auteur ?

    Et puis il y a un horizon de temps. Se faire élire, bien, mais peut-être aussi faudra-t-il se faire réélire.

    Et une partie des électeurs a de la mémoire. Sarkozy l’a appris à ses dépens. Comme les élections se jouent souvent à la marge….

  • Le problème des abstentionnistes, c’est que malgré leur position héroique, quelqu’un sera élu quand même… Alors certes le système est en faillite, mais on le remplace par QUOI, exactement? … Quand l’auteur aura réfléchi à la question, il pourra se présenter lui-même, n’est-ce-pas? Comme il y croit très fort, il n’aura aucun mal à convaincre ses concitoyens et susciter une vague historique de soutien!

    • En mon sens, la meilleure façon de prendre en compte le (non)vote absentioniste, et aussi les votes blancs, est d’introduire la notion de Quorum : pour que l’élection soit validée, il faut un minimum de X voix exprimées. Sinon, quels que soient leurs résultats, les candidats sont éliminés et on repart pour un tour.

      Exemple : 40M d’électeurs inscrits -> Quorum à 20M. Si le total des suffrages exprimés est inférieur, aucun canditat n’est qualifié pour le second tour, et on recommence avec de nouveaux candidats.

  • Pas d’accord. L’idee evoquée dans cet article stipulant que les politiciens coalisent pour etre elus n’est vraie que pour 5 des principaux partis (PS, UMP, ecologie, LR, en marche)
    mais avec la diversité des candidatures, dont plusieurs redondantes sur certaines idées (exemple avec LO et NPA) je pense que la coalition n’est pas une idee mauvaise en soi ni une option a rejetter.

  • « Une fois les élections passées, rares seront les promesses tenues »:
    – Les sujets évoqués sont en général sans rapport avec les vrais problèmes. Donc faciles à oublier puisque non coeur de débat.
    – Aucun engagement de résultat sur les points évoqués et pas de règle/loi contraignante. Donc assez facile d’incriminer les « circonstances » si nécessaire.
    – La politique est un métier assimilé à du commerce. Donc soumise aux même contraintes que pour tordre le bras à un fournisseur, pression, menace, délais de paiement…
    – Utilisation de termes abscons et phrases à tiroir. Facile d’expliquer si nécessaire que l’on a rien compris, que l’on a mal interprété ou que le texte est sortir de son contexte.
    Comme l’a dit un fraudeur internationalement connu, si vous avez compris ce que j’ai dit c’est que je me suis mal exprimé.

    • Toute l’erreur est dans le type d’élection.
      On élit un homme – ou une femme – pas un parti ni un projet.

      Toute promesse sur un programme est de fait fausse et non avenue.
      On devrait plutot se concentrer sur les valeurs, les capacités et les personnalités des candidats, plutot que sur un cahier des charges qui sera obsolète 6 mois plus tard.

  • Il y a 10 candidats au poste de gouverneur de la province €uropeenne France , 1 seul se présente à l élection présidentielle de la France libre !

  • Pourtant, l’électeur avisé peut faire le bon choix : http://www.zerocratie.org/p/le-guide-de-lelection.html

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