« Apprendre des expériences étrangères » #4 : L’Irlande. Un modèle peut-être inimitable mais d’une très grande efficience économique

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« Apprendre des expériences étrangères » #4 : L’Irlande. Un modèle peut-être inimitable mais d’une très grande efficience économique

Publié le 15 août 2024
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La France est mise en demeure d’assainir ses finances publiques. Sa note a été dégradée par la troisième grande agence financière en mai 2024. Son ratio de dette est de 50 points supérieur au critère de convergence des 60 % (dette publique sur PIB), et son déficit public est au-delà des 3 %. Parmi les pays qui ont réussi à assainir leurs finances publiques tout en améliorant leur Production Intérieure Brute par habitant, il y a les pays scandinaves (Suède, Danemark, Norvège) qui ont réduit leurs ratios de dépenses de 5 à 10 points et l’Irlande.

 
L’originalité de l’Irlande, c’est qu’il s’agit d’un pays au ratio de dépenses publiques déjà faible en 1995, et qui a décidé de le réduire encore. Il est le plus faible de l’Union européenne, avec 24,38 % en 2021.

C’est cette histoire que cet article souhaite raconter afin d’en comprendre les raisons et de savoir si, dans les années à venir, la France peut s’inspirer de cette expérience de politique économique. Car outre la forte baisse des dépenses publiques en tendance, ce qui frappe, c’est la très forte hausse du ratio de dépenses publiques en 2010 à la suite de la crise de 2008, et le décrochage du PIB par habitant de la France vis-à-vis de l’Irlande (Figure 1).

Désormais, le PIB par habitant français est deux fois et demi moins élevé que celui de l’Irlande. En 1995, il était 1,3 fois supérieur au PIB par habitant irlandais.
En 2022, il représente seulement 40 % du PIB irlandais. Le décrochage français vis-à-vis de l’Irlande peut-être qualifié de majeur. En remontant encore en arrière et en se plaçant dans l’imaginaire collectif, on associe l’Irlande à des terres agricoles peu fertiles et à l’épisode dramatique de la famine de 1848 qui a provoqué l’immigration massive. Qu’est-ce qui peut bien expliquer ce que l’on peut appeler un miracle économique ?

 

Le miracle économique irlandais

Comme la science ne croit pas au miracle, l’histoire de l’économie irlandaise et de la politique économique conduite par les gouvernements irlandais doivent pouvoir nous aider à rendre rationnel une trajectoire unique en son genre en Europe et dans le monde.

 

Figure 1

Histoire comparée du PIB par habitant et des ratios de dépenses publiques de l’Irlande et de la France (1995-2021)

Sources : OCDE. Dépenses publiques totales sur PIB en % (Government expenditure percent of GDP). Lien consulté le 03/06/2024. Pour les données PIB par habitant (GDP per capita) utilise le site de la Banque Mondiale. Lien consulté le 03/06/2024.

À partir de 1994 et jusqu’en 2008, l’Irlande a enregistré des taux de croissance de son PIB de 5,9 % par an. Un certain nombre d’observateurs estiment que la croissance irlandaise est la conséquence i) des aides publiques européennes et ii) de son dumping fiscal.

La crise de 2008 aurait même montré l’insoutenabilité à long terme de cette stratégie de développement (Pelletier et Peyronel 2015 [1]).

Ce jugement n’énonce pourtant pas les vraies raisons de cette expansion sans précédent de l’économie irlandaise. Les aides européennes ont bien eu un effet positif sur la croissance irlandaise, mais elles n’expliquent qu’une très petite part de la prospérité du pays. Elles ont effectivement permis de moderniser les infrastructures du pays, mais ne représentent qu’un quart, au plus un demi-point de la croissance annuelle (Sharry et White 2000, p.372 [2]) d’un taux moyen de 8 % l’an sur la période 1987-2004. Il est important aussi de rappeler que la Grèce et le Portugal ont aussi bénéficié d’aides européennes d’un montant aussi important avec des résultats bien différents. Enfin, à partir de 2006, l’Irlande est devenue un contributeur net de l’Union européenne. Le rebond post crise des subprimes conduit par ailleurs à ne plus traiter l’Irlande comme un pays qui profite de l’Europe. L’Irlande a inventé un véritable modèle de développement durable.

 

La conséquence de choix de politique économique

Ce modèle se met en place progressivement, mais peut trouver ses origines dans l’avènement au pouvoir d’un gouvernement dirigé par Charles Haughey, et soutenu par le Parti Fianna Gael que l’on peut qualifier de libéral conservateur et pro-européen. Ce parti gouverne encore l’Irlande, puisque le chef du gouvernement irlandais Simon Harris y appartient.

En 1987, le ministre des Finances qui engage le pays dans la stratégie dite du Tallaght est Ray Mac Sharry. Il s’agit de diminuer les dépenses publiques et de réduire la dette afin de financer une politique de baisses d’impôts et de renforcer la compétitivité prix et hors prix des entreprises produisant sur le sol irlandais.

Le miracle irlandais n’a rien en ce sens de surprenant. Il est la conséquence d’une politique de libre échange accompagnée d’une politique fiscale et réglementaire adaptée (O’Grada 1997[3]).

Il rappelle qu’ouvrir ses frontières en augmentant l’impôt et/ou l’impôt réglementaire, c’est s’interdire, d’une part, de bénéficier des gains de la mondialisation et creuser d’autre part, le déficit de sa balance commerciale.

La politique financière de l’Irlande est en ce sens l’une des clés de son succès économique car elle crée des conditions fiscales favorables à la production. La baisse des impôts et de l’impôt sur les sociétés en particulier, ainsi que la baisse des dépenses publiques sont les principales marques de ce modèle de développement.

Dès 1980, les entreprises manufacturières puis financières se sont vu appliquer un taux d’imposition dérogatoire de 10 % sur leurs bénéfices, ce qui a rendu l’Irlande attractive fiscalement pour les investissements directs étrangers (IBM, Intel, Hewlett Packard, Dell, Microsoft, Pfizer, Abbott, Guidant, Metronic, etc.).

La culture d’entreprise pro-marché des Irlandais a aussi été un déterminant de la localisation des investissements directs étrangers (IDE) sur le territoire irlandais. Il ne s’agit pas seulement de réduire les dépenses publiques, l’objectif des politiques conduites est d’augmenter la productivité des euros publics engagés. Il s’agit de faire plus avec moins.

Les plans de 2011-2013 et de 2014-2016 sont de bonnes illustrations de cette capacité à faire des réformes dans le secteur public.

Le plan 2011-2013 a réduit les effectifs et les budgets des administrations publiques sans détériorer la qualité des services publics.
Le plan 2014-2016 a modernisé le management public et permis d’importants gains de productivité. Il s’est organisé, tout d’abord, autour du programme Jobpath. Ce programme était porté par le département de la protection sociale et visait le retour à l’emploi des chômeurs. Il a aussi soutenu le renforcement du e-gouvernement via la distribution de cartes numériques permettant d’accéder à de nombreux services publics, la politique du guichet unique et des services partagés. Parmi ces services partagés, il y a eu la paie des agents publics PeoplePoint (pour la gestion des ressources humaines et des pensions), et MyPay (pour la gestion de la paie des collectivités locales).

Toutes ces mesures ont créé des conditions favorables aux entreprises. Elles leur ont donné les moyens d’exploiter au mieux les bénéfices de la mondialisation et du marché unique. En 1987 le ratio export/ PIB était de 50% [4]. En 2000 il était de 80% (Barrett 2004[5], p.32).

 

Leçons pour la France

La principale leçon que donne l’Irlande à la France est qu’elle a su bénéficier de son appartenance à l’Union européenne, non pas parce qu’elle a touché des aides publiques, mais parce qu’elle a su mettre en œuvre une politique qui a permis d’exploiter au maximum les bienfaits du marché et de la mondialisation. Le marché unique a généré trois fois plus de croissance que les Fonds structurels (Sharry et White 2000, p.161).

La politique de baisse des dépenses, de recherche constante de gains de productivité dans le secteur public et de faibles taux d’imposition apparaît ainsi comme une condition du succès de la politique libre échangiste. Alors que la France a vu son score de libertés économiques légèrement baisser sur la période 1995-2024 passant de 64,4 à 62,5, l’Irlande a au contraire renforcé son score de liberté, passant de 68,5 en 1995 à 82,6 en 2024. Ce qui fait de ce pays l’un des plus respectueux des libertés économiques dans le monde et a fortiori dans l’Union européenne.
[1] Pelletier, M., et V., Peyronel 2015. La crise ? Quelle crise ? sous la direction de Martine Pelletier et Valérie Peyronel, Introduction. Une crise oui, mais quelle crise ? Études irlandaises, 40 (2), 7-14.

[2] Mac Sharry, R., and P., White 2000. The making of the Celtic Tiger. The inside story of Ireland’s boom economy, Cork, Mercier Press.

[3] O’Grada, C., 1997. A Rocky Road, the Irish Economy since the 1920s, Manchester University Press.

[4] On entend par échanges de biens et de services les transactions portant sur les biens et services entre les résidents et les non-résidents. L’indicateur est mesuré en millions de dollars USD aux niveaux de prix et PPA de 2015 et en pourcentage du PIB pour les échanges nets, et en croissance annuelle pour les exportations et les importations. Les données sont basées sur le Système de Comptabilité Nationale de 2008 (SCN 2008) pour tous les pays de l’OCDE. Lien (consulté le 21/01/2022)

[5] Barrett, S.D., 2004. Privatisation in Ireland, CesiFo Working Paper n°1170, April.

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  • L Irlande a mene une politique fiscale très très pro business pour attirer de nombreux sièges sociaux d entreprises multinationales
    Par ailleurs c est un petit pays de 5 millions d habitants comme les pays scandinaves ( hormis la Suède 10 millions)
    Les petits pays européens doivent impérativement avoir une politique pro business forte pour pouvoir rivaliser avec leurs grands voisins et se faire entendre
    Sinon ils sont marginalisés au sein de l UE

  • De pays le plus pauvre d’Europe, colonisé durant des siècles par la Grande-Bretagne, l’Irlande est de nos jours dans le top 3 des pays les plus riches en compagnie du Luxembourg et de la Suisse!

    -1
  • “qui a provoqué l’immigration massive”

    l’émigration massive

  • L’Irlande était un des pays les plus pauvres d’Europe il y a encore 50 ans de cela. De nos jours il est un des plus riches avec la Norvège, la Suisse et le Luxembourg. Il y a donc des leçons à en tirer! Mais pas pour les politiciens géniaux français!

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