Une histoire des économistes d’Aix-Marseille de Jean-Yves Naudet

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Une histoire des économistes d’Aix-Marseille de Jean-Yves Naudet

Publié le 3 juillet 2024
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Une histoire des économistes d’Aix-Marseille (Presses Universitaires d’Aix-Marseille), Jean-Yves Naudet, professeur émérite d’économie de l’Université d’Aix-Marseille, nous offre une peinture historique de l’évolution de l’enseignement et de la recherche de l’économie dans son alma mater et l’académie de la ville d’Aix, et à Marseille sur plus d’un siècle.

 

Le tour de force de Jean-Yves de Naudet consiste à faire un va-et-vient permanent entre le microcosme provençal et ses institutions (université, académie, société) d’une part et l’évolution des idées en la matière au niveau national, d’autre part. Ce faisant, le professeur aixois nous invite également à une découverte fascinante de l’émergence et la propagation des idées libérales au sein de la communauté des économistes.

Il serait évidemment bien présomptueux dans cette rapide revue de synthétiser la richesse des multiples épisodes de la vie intellectuelle provençale que Jean-Yves Naudet analyse avec force détails, bien souvent croustillants – comme cette rencontre quasi-pagnolesque à l’Académie d’Aix entre le grand poète provençal Frédéric Mistral et Louis Cabantous, juriste et premier professeur aixois à dispenser des cours d’économie politique à l’université (en 1843, soit trente-cinq ans avant son apparition dans les programmes officiels !). Quelques exemples thématiques pourront ainsi donner au futur lecteur l’envie de découvrir ce « petit monde » et ses liens avec l’histoire des idées.

Tout d’abord, on ne sera pas étonné de la part de l’éminent spécialiste de la Doctrine sociale de l’Église de poser la morale comme fil rouge dans sa série de portraits : l’économie est en effet inséparable de la morale, et c’est presque un devoir pour les catholiques, par exemple, comme le pensait déjà l’économiste Claudio Jannet, d’étudier la science économique, de peur qu’ils ne se laissent séduire par « des opinions et entrainements irraisonnés ». L’ancien doctorant aixois Jannet rejoint naturellement l’école d’Angers et son chef, monseigneur Freppel, qui contribue au débat intra-catholique sur le rôle de l’État et des risques du socialisme d’État, en défense de la propriété, de la liberté économique, encadrée par la morale chrétienne, et de la famille. Jannet fera avancer la Société catholique d’économie politique et sociale. Chez le premier titulaire de la chaire d’économie à Aix, Alfred Jourdan, on retrouve également que « sans respect de la morale, l’économie ne peut fonctionner, car la confiance n’existe pas et sans confiance, les échanges ne peuvent fonctionner ».

À lire aussi : 

Doctrine sociale de l’Église et libre marché

Ensuite, l’économie est également inséparable du droit, comme Jean-Yves Naudet lui-même n’a d’ailleurs cessé, de la même manière que pour la morale, de le professer durant sa propre carrière de professeur et d’intellectuel – et économiste dans une faculté de droit !

En effet « impossible d’étudier l’économie indépendamment de son cadre juridique et institutionnel » comme le défendait Alfred Jourdan dans ses cours, faisant de lui peut-être « un ancêtre lointain de l’analyses économiques du droit et des institutions ». Et si le droit est « la véritable science de la vie, c’est-à-dire la science de la liberté », « l’économie politique est la science de la liberté appliquée à l’industrie humaine », étant bien compris que « toute liberté implique l’idée de responsabilité », thèmes ô combien libéraux résumés magnifiquement dans ces tournures percutantes.

Les débats vigoureux jaillissent sous nos yeux animés par la plume de Jean-Yves Naudet. Libéralisme contre socialisme d’abord – évidemment ! Pour Jannet par exemple, et selon le commentaire d’un collègue, l’économie politique bien comprise serait « le meilleur auxiliaire de la religion contre le socialisme qui va être la grande hérésie du XXe siècle ». Car c’est bien la prise de conscience des risques du socialisme, qui engendrerait ses monstres soviétiques, et autres, le siècle d’après. Tout donner à l’État c’est en effet, notamment pour la jeunesse (déjà !) « sacrifier la liberté, son ancienne idole, dans des conceptions sociales qui rendraient l’État maître absolu… ». Pour Jourdan à nouveau, la question du rôle de l’État est la ligne de démarcation entre économistes et socialistes.

Au fil des pages on apprend ainsi comment, par exemple, la société d’études économiques de Marseille a contribué à former les élites économiques locales à l’économie et… à dissuader les « classes laborieuses » des tentations révolutionnaires ! Il n’est ainsi pas étonnant que la société ait participé à la création d’une section locale de la Ligue du libre-échange. Car, sans surprise, les débats portent également sur Libre-échange vs. Protectionnisme, ce dernier étant – déjà ! – présenté comme « intelligent » par certains, notamment à l’académie d’Aix.

Ce sont aussi les querelles de pouvoir entre Aix et Marseille, avec un épisode saisissant sur la bataille des facultés que le professeur aixois fait revivre sous nos yeux, nous rappelant à quel point l’évolution du marché des idées dépend aussi de ces rapports de pouvoirs dans et entre les institutions académiques.

Si les « anciens économistes » tiennent une place de choix dans cette recherche, Jean-Yves Naudet propose un tableau de chaque économiste d’Aix-Marseille jusqu’à 1970, fournissant ainsi une enquête fouillée à la valeur inestimable qui ravira également l’historien.

À lire aussi : 

Promenade chez les économistes d’Aix-en-Provence

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