Orques en captivité : quand l’État ne sait plus sur quel pied danser

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 2
Orques (c) Wikipédia

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Orques en captivité : quand l’État ne sait plus sur quel pied danser

Publié le 14 juin 2024
- A +

Transfert vers un autre delphinarium, ou création d’un chimérique « sanctuaire » : que faire des deux orques du zoo marin d’Antibes, que la Loi de 2021 oblige à faire transférer ?

 

Même au nom des principes écologiques les plus indiscutables, quand l’État s’en mêle, le mieux est souvent l’ennemi du bien. Le comble de l’absurdité technocratique étant, en l’espèce, atteint quand des animaux supposément « protégés » par une loi dédiée au bien-être animal se retrouvent, en quelque sorte, otages de l’incurie de ceux-là mêmes -associations écolos comme pouvoirs publics-, qui clament haut et fort les défendre. Les animaux en question, ce sont les deux dernières orques du Marineland d’Antibes. La loi, du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale interdit notamment la reproduction en captivité et les spectacles de cétacés à l’horizon 2026. Et côté politique, c’est l’actuel ministère de la Biodiversité et de la Mer qui est en charge du dossier, même si la dissolution décidée par le président de la République pourrait rebattre les cartes.

 

Une situation intenable

Reprenons. Le Marineland d’Antibes est aujourd’hui au centre d’une polémique dont seule la France semble détenir le secret. Contraint par la nouvelle loi de se séparer sous peu des cétacés, le zoo marin se retrouve pris entre deux feux. D’un côté, des associations de défense de l’environnement, qui remuent ciel et terre pour que les orques Wikie et Keijo soient transférées au sein de « sanctuaires marins » pour l’heure inexistants et à la viabilité – économique comme écologique – non démontrée. De l’autre, la justice et les services de l’État, devant eux-mêmes arbitrer entre bien-être des animaux, respect des lois et procédures, revendications des associations et intérêts du Marineland, qui demeure une entreprise privée soumise, sous peine de faillite, à des impératifs économiques.

Or, le moins que l’on puisse dire est que l’atmosphère est, depuis quelques mois, plus que morose au sein du delphinarium d’Antibes. Deux des quatre orques du Marineland sont décédées en moins de six mois. Wikie et Keijo, les deux orques restantes, évoluent dans un bassin qui nécessiterait de lourds investissements pour rester aux normes, investissements qui ne seront pas effectués puisque les spectacles devront dans tous les cas cesser d’ici un an et demi. Bref, la situation n’est plus tenable, ni pour le parc ni pour les animaux dont il a la responsabilité. Seule solution : les transférer ailleurs. Le plus simple, si tant est que le déplacement d’animaux marins pesant plusieurs tonnes puisse l’être, serait de transférer les orques, nées en captivité et qui ne peuvent donc pas être relâchées, dans une structure étrangère similaire au Marineland d’Antibes.

 

Sanctuaire ou chimère ?

C’est à ce stade qu’interviennent les associations environnementales. Vent debout contre l’idée d’un transfert dans un autre delphinarium, celles-ci ont déposé un référé devant la justice administrative. Qui leur a provisoirement donné raison, le tribunal judiciaire de Grasse interdisant, le 12 janvier dernier « à la société Marineland de déplacer du parc d’Antibes les […] orques jusqu’au dépôt du rapport d’expertise définitif ».

Comprenant un bilan de santé des animaux et une expertise judiciaire indépendante, ce rapport doit être rendu en septembre. Ce n’est qu’à la suite de la remise de ce document que sera émis, ou pas, un permis d’exportation des animaux conforme à la Convention sur le commerce international des espèces sauvages (CITES). Les associations ne l’entendent pas de cette oreille et proposent une solution alternative : déménager Wikie et Keijo dans un sanctuaire marin.

Problème : une telle structure, pour peu qu’elle soit viable, n’existe pas. Nulle part au monde. Si des projets de sanctuaires ont bien germé en Grèce ou au Canada, ils demeurent à l’état… de projets. Et pour cause : le modèle économique de tels sanctuaires est bancal, l’espérance de vie des animaux concernés atteignant plusieurs décennies, pendant lesquelles ceux-ci nécessiteraient des soins estimés à deux millions d’euros par an. Le modèle environnemental n’est pas davantage sérieux, seuls les zoos marins étant à même d’assurer une qualité de l’eau idoine. Enfin, de tels sanctuaires nécessiteraient l’installation d’infrastructures démesurées (filets, stockage de la nourriture, équipes présentes au quotidien, etc.). Autant d’éléments que semblent ne pas prendre en compte les associations, qui tablent sur un délai de construction d’un an. Irréaliste.

Tellement irréaliste que Daniel Cueff, vice-président du conseil régional de Bretagne, a cru à un poisson d’avril quand certaines ONG ont proposé de créer un sanctuaire dans la rade de Brest. Les expériences menées en Italie ou en Islande se sont, elles aussi, soldées par des échecs, les orques finissant par mourir sans que les millions d’euros dépensés pour elles n’y changent rien.

« Malheureusement, pour l’instant il n’existe rien, et il faudra attendre des années avant qu’un éventuel sanctuaire marin soit créé pour les accueillir », reconnaît Christine Grandjean, présidente de l’association « C’est Assez ! » : et « si ça se fait, il faudra alors des infrastructures, des équipes et d’importants financements pour nourrir, soigner et divertir les orques ».

 

Le ministère à la manœuvre

Pas de quoi, cependant, refroidir les associations qui s’opposent au Marineland d’Antibes. Sous pression, le secrétaire d’État Hervé Berville a donc publié en 2023 un premier appel d’offres portant sur la création d’un éventuel sanctuaire, sans succès. Puis un second en début d’année, précipitamment annulé dans la foulée. Puis, enfin, un appel à manifestation d’intérêt (AMI), une procédure censément plus simple et rapide que l’appel d’offres. Quatre projets de sanctuaires et refuges seraient, à l’heure actuelle, en cours d’examen par les services du ministère : un au Canada, l’autre, lunaire, au large de Brest, et deux autres sur terre. Mais, pour les raisons indiquées précédemment, aucun ne saurait voir le jour à brève échéance.

Les experts du ministère vont donc devoir démêler un sac de nÅ“uds que les pouvoirs publics ont eux-mêmes contribué à nouer. Le secrétaire d’État va-t-il autoriser la délivrance d’un permis de transfert CITES, choix qui aurait l’avantage de régler la question rapidement, mais l’exposerait à l’ire des activistes ? Ou donner une réponse favorable à l’un des projets de sanctuaire, solution qui satisferait les associations mais rendrait incertain le sort des orques, de Marineland et de ses salariés ? En faisant la preuve de son manque de maitrise du dossier, l’État n’en sortirait pas non plus grandi.

 

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Je prévoyais initialement de consacrer ce vingtième volet à la littérature russe. Tolstoï, Dostoïevski, Gogol, Tchékhov, Pouchkine, assez nombreux sont les romans de ces auteurs que j’ai lus. Malheureusement, j’en garde trop peu de traces écrites pour pouvoir proposer quelque chose de suffisamment satisfaisant. C’est pourquoi j’improvise cette évasion bucolique aux parfums de fin d’été.

 

Le Mur invisible, de Marlen Haushofer

Voilà un thème qui est aujourd'hui régulièrement l'objet de scénarios multiples : la fin du monde e... Poursuivre la lecture

Non, tous les voyants économiques ne sont pas au rouge. La France est même le leader européen et mondial dans plusieurs domaines, comme le transport et la logistique. Certains de ses fleurons jouissent même de taux de croissance record.

 

Ils s’appellent CMA-CGM, Modalis, DW Trans, Ezytail, Team Logistic Services, BOA Concept ou encore Jifmar Offshore Services. Ces noms ne vous disent peut-être rien, mais sans eux, la France – voire le monde – ne tournerait pas rond. Qu’elles soient des multinationales ou des PME, ces entr... Poursuivre la lecture

Le 12 juillet 2023, le Parlement européen a voté à une courte majorité le projet de loi sur la restauration de la nature qui prévoit de ramener au moins 20 % des terres et des mers dégradées du Vieux Continent à leur état d'origine d'ici à 2030, et d'ici à 2050 d'étendre ces mesures à tous les écosystèmes qui doivent être restaurés.

D’emblée, il convient de s’interroger sur la notion « d’état d’origine ».

À quel niveau l’Europe situe-t-elle cet état d’origine ? Au Paléolithique, au Moyen Âge, ou avant la révolution industrielle ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles