Pourquoi le drame de Tchernobyl

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Réacteur n°4 de Tchernobyl (c) Wikipédia

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Pourquoi le drame de Tchernobyl

Publié le 28 avril 2024
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Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl connaissait un accident majeur qui allait ébranler l’URSS et le monde du nucléaire. Au sujet des causes de cet accident, de nombreux propos farfelus circulent. Retour sur les erreurs et les malfaçons qui ont conduit à la catastrophe.

Nous publions ici le thread Twitter réalisé par The Final Frontier.

 

Bon, ce soir, comme promis, un thread sur la catastrophe de Tchernobyl. On va en gros voir ce qu’il s’est passé, et surtout pourquoi ça s’est passé.

Pour beaucoup de gens, Tchernobyl est la preuve que l’énergie nucléaire est par nature dangereuse et incontrôlable, mais quand on se penche dessus, ce qui est surtout frappant, c’est le niveau absolument délirant de stupidité qui a mené à cet accident.

 

Petite présentation de la centrale

La centrale nucléaire Lénine, située à Prypiat, au nord de Tchernobyl, était équipé de quatre réacteurs de type RBMK, de 3000 MW thermique, pour 1000 MW électrique.

Et le RBMK, c’est un truc un peu particulier.

Disons que ce réacteur avait quelques choix d’architecture un peu… étonnants. Je préfère dire choix que défaut, parce que un défaut, c’est quelque chose de non voulu à la base.

Là non, ils étaient conscients de ce qu’ils faisaient.

Problème numéro 1

C’est un réacteur qui utilise le mélange graphite/eau.

Dans les réacteurs occidentaux, type REP, on utilise de l’eau qui circule autour des crayons de combustible, et qui sert à la fois de modérateur (qui ralentit les neutrons) et de caloporteur.

Un modérateur sert en gros à ralentir les neutrons pour favoriser la réaction en augmentant la capacité d’absorption des noyaux combustible. Ça permet de tourner avec une concentration en uranium 235 pas trop élevée, et donc de ne pas trop enrichir le combustible.

Le problème de l’eau, c’est qu’à partir d’un certain niveau de modération, l’hydrogène qu’elle contient mange les neutrons au lieu de les ralentir, ce qui fait que l’on ne peut pas tourner avec de l’uranium très faiblement enrichi ou naturel (avec 0,7 % d’U235)…

Il faut au minimum enrichir à 3-4 %. Or, enrichir de l’uranium, ça coûte cher, et les Soviétiques voulaient éviter ces coûts.

Pour descendre encore plus bas, il faut changer de modérateur, soit remplacer l’eau par de l’eau lourde (mais ça coute très cher), soit utiliser du graphite. Le problème, c’est que le graphite, c’est solide, et ça ne fait donc pas vraiment un bon caloporteur.

Pour cela ils ont gardé un peu d’eau dans le cœur pour extraire la chaleur.

En gros, le cœur était un énorme bloc de graphite où sont percés des canaux où se trouvent les crayons de combustible, et où de l’eau circule.

Réacteur nucléaire

Mais utiliser de l’eau dans le cœur pose un « léger » problème, à ce niveau de modération des neutrons, elle mange surtout ces derniers, et à sa présence limite la réactivité.

Le souci, c’est que si cette eau se met à bouillir, la vapeur étant moins dense, il y a donc moins d’eau dans le cœur, et donc plus de neutrons disponibles pour la réaction en chaîne, qui accélère, produisant plus de chaleur, faisant s’évaporer plus d’eau…

Donc encore plus de neutrons de neutrons disponibles… vous avez compris. C’est un cercle vicieux qui fait que le réacteur peut s’emballer en cas d’ébullition.

On dit que le réacteur a un coefficient de vidange positif.

Sur nos REP, c’est l’inverse, l’ébullition étouffe la réaction en chaîne (coefficient de vidange négatif).

Et quand en Occident, on a construit des réacteurs au graphite, on a remplacé l’eau par du gaz pour justement éviter cette instabilité liée à l’évaporation de l’eau… Même si le gaz est bien moins efficace pour ça, et que ça se traduit par des réacteurs bien plus gros et chers.

Mais pour les Soviétiques, visiblement, ça allait…

Au passage, les opérateurs n’étaient pas au courant de ce petit défaut, classé secret défense.

Problème numéro 2

Le RMBK est un réacteur à eau bouillante, c’est-à-dire un réacteur où c’est directement l’eau primaire qui est convertie en vapeur (et non pas deux circuits comme pour le REP).

 

L’avantage, c’est que ça évite les coûteux échangeurs de chaleur (au prix d’un blindage de la salle des turbines, la vapeur étant légèrement radioactive)

Inconvénient : le « petit » souci du coefficient de vidange positif.

En effet, dans ce cas, les seules choses qui empêchent l’eau portée à presque 300°C de bouillir dans le cœur, c’est la hauteur de la colonne d’eau au-dessus de ce dernier, le maintien de la pression, et la circulation via les pompes primaires. Perdez massivement l’un des trois, et l’eau va bouillir dans le cœur, augmentant la puissance faisant bouillir encore plus d’eau… ça s’emballe. Bref, c’est génial comme truc.

Vous la sentez absolument pas venir la catastrophe là ? Non sérieusement, il faut quel niveau de je-m’en-foutisme pour se dire qu’un réacteur à eau bouillante avec un coefficient de vide positif, c’est une bonne idée… ?

Problème numéro 3

Il n’y a pas d’arrêt d’urgence.

Pour contrôler cette horreur, les barres de commandes, absorbant les neutrons, ne peuvent pas être actionnées rapidement, il faut plus de dix secondes pour les insérer complètement… Ajoutez à ça que :

1- elles ont un bout en graphite (qui limite la quantité d’eau dans le tube guide) qui augmente la réactivité au début de l’insertion (ce bout représente 4,5 m sur la grosse dizaine de mètres des barres).

2- elles peuvent se coincer dans leur tube de guidage si le réacteur est trop chaud.

Problème numéro 4

L’ensemble n’a pas d’enceinte de confinement pour contenir les rejets radioactifs en cas de problème (trop cher à construire)

« Pas besoin, les réacteurs soviétiques sont fiables si pilotés correctement » d’après les autorités…

Vous la sentez venir la catastrophe, là ?

L’accident

Maintenant que l’on a fait la présentation du matériel, on va parler un peu du déroulement de l’accident, et là aussi il y a deux trois trucs qui ne vont pas… (pas du tout).

En gros, l’accident s’est produit sur un test de sûreté sur le réacteur numéro 4 de la centrale. L’objectif de ce test était de montrer que le réacteur pouvait se fournir en électricité de manière autonome en cas de pertes des lignes électriques (test d’îlotage).

L’alimentation électrique est nécessaire pour faire tourner les pompes qui assurent l’évacuation de la puissance résiduelle (c’est d’ailleurs ce scénario de perte totale d’électricité, et donc des pompes, qui a conduit à l’accident de Fukushima).

Le test a été plusieurs fois reporté en raison de problèmes sur le réseau, le réacteur devant assurer alors les besoins en électricité.

Cela a produit de la confusion, et les opérateurs n’ont pas évalué correctement l’énergie produite par le réacteur durant les dernières heures avant le début du test. Or, évaluer cela est nécessaire pour connaître la quantité de xénon 135 dans le cœur. Le xénon 135 est un poison neutronique, qui a pour effet d’étouffer la réaction en chaîne s’il y en a trop.

Et ce qui devait se produire se produit, lors de la baisse de puissance, le xénon s’est accumulé, et le réacteur a calé…

Selon certaines sources, l’effet déstabilisant lié au xénon ne serait pas si important, ce dernier aurait été consommé dans les dernières minutes.

 

Bon là, la procédure logique à appliquer aurait dû être d’arrêter le test, de redémarrer les pompes sur le réseau ou les diesels de secours, et d’attendre simplement que le xénon disparaisse pour redémarrer (ça prend quelques heures à quelques jours tout au plus)

Le souci ici, c’est qu’ils n’ont pas vraiment fait, ils ont décidé de tenter de redémarrer de force le réacteur pour continuer le test…

Petit aparté : le redémarrage d’un réacteur empoisonné au xénon est instable, la réactivité, et donc la puissance, augmente au fur à mesure que ce dernier est brûlé par le flux de neutrons, et plus la puissance augmente, plus le xénon est brûlé vite…. (risque d’emballement)

Revenons à nos opérateurs. Il se trouve que dans un premier temps, ils n’arrivent pas à relancer la réaction en chaîne, le temps passe et le réacteur ne redémarre toujours pas, mais pendant ce temps-là, la puissance résiduelle est toujours là.

Cela a pour effet que le niveau commence à baisser pas mal, et que la température du cœur devient assez haute, bref que la faible marge à l’ébullition fond comme neige au soleil.

Finalement, dans un souffle de bon sens, les opérateurs vont alors… désactiver les sécurités pour retirer le plus de barres commandes pour enfin faire redémarrer le réacteur et poursuivre le test….

Et cette fois ci, ça marche, et même un peu trop bien…

Quand le réacteur redémarre, en raison du coefficient de vidange positif, de la perte de la marge à l’ébullition, de la destruction du xénon, et du manque de barre de commande, la réaction s’emballe totalement.

Les mesures montrent que la machine est montée à plus de 30 000 MWth, soit plus de dix fois sa puissance de conception, là le réacteur étaient devenu incontrôlable, tout se met à vibrer et des caches de protections sont éjectés.

Tout comme il n’y a pas de vrai arrêt d’urgence, même lorsque les opérateurs appuient sur le bouton d’arrêt (le fameux AZ-5), le mouvement des barres est trop lent, et elles finissent par se coincer à cause de la chaleur laissant juste leur point de graphite dépasser.

Ce qui s’est produit ensuite n’est pas difficile à deviner, le combustible a fondu, la pression de la vapeur est devenue énorme et à 1 h 23, le 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 explose comme une cocotte-minute surchauffée, dispersant au passage une bonne quantité de son contenu.

Par la suite, le graphite, composé de carbone, s’enflamme au contact du corium formé par le combustible qui a fondu, produisant un gros nuage de fumée toxique remplie d’iode 131 et de césium 137 qui va contaminer la moitié de l’Europe.

Des pompiers sont rapidement dépêchés sur place, mais vu que l’incendie du graphite est entretenu par plusieurs dizaines de corium, ce n’est pas trop efficace.

Les doses de radiations reçues par ces derniers sont énormes, ce qui conduira à la mort de 31 de ces derniers.

Pour ce qui est des habitants de la ville voisine de Prypiat, il faudra attendre 36 heures avant que les Soviétiques décident enfin de les évacuer.

Sinon, il faudra attendre la détection du nuage par la centrale de Forsmark en Suède pour que les Soviétiques admettent enfin que l’accident a eu lieu.

Des dizaines milliers de liquidateurs seront envoyés sur place déblayer les gravats pour tout remettre dans le trou du réacteur et nettoyer le plus gros (avec souvent un équipement pas adapté et recevant au passage de bonnes doses).

Au final, un sarcophage en béton sera par la suite construit par-dessus le réacteur endommagé, puis un second en acier en 2015 (payé en partie par la communauté internationale).

Quant aux rejets, l’iode rejeté est responsable de plusieurs milliers de cancers de la thyroïde à proximité dans les pays de l’Est, les populations n’ayant pas eu accès à de l’iode stable, et les autorités n’ayant pas retiré du marché les produits contaminés.

Après, je ne m’étale pas plus sur la gestion de la catastrophe, parce que je ne suis pas vraiment calé là-dessus.

Si vous voulez plus d’info, allez voir les threads de @Mangeon4 et @TristanKamin

Voilà, j’espère que thread vous a plu.

Merci de m’avoir lu.
Si vous avez des questions, surtout n’hésitez pas

#nucleaire #Tchernobyl

 

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  • Merci pour ce rappel utile.
    Les conséquences ne sont pas abordées, mais on peut consulter le site de l’IRSN.
    Juste un point sur lequel il est utile de revenir.
    Il est désolant de voir encore circuler la fable sans cesse rabâchée dans les médias telle que « le nuage de Tchernobyl s’est arrêté aux frontières ».
    Le SCPRI de l’époque n’a jamais caché la circulation du nuage en Alsace, dans les Alpes, en Corse. Il a seulement dit que la hausse observée de la radioactivité n’était pas de nature à entraîner un problème de santé publique. Par ailleurs tous les centres CEA concernés (à Cadarache par exemple), entre autres établissements, ont remarqué le passage du nuage grâce aux alarmes placées en sortie de ventilation des labos actifs (ce qui prouve en passant la grande sensibilité des mesures de surveillance). Il se trouve que les normes SANITAIRES n’étaient pas les mêmes en Allemagne et en France, ce qui fait que certains produits de consommation alimentaire ont été retirés de la vente de l’autre côté de la frontière. C’est probablement en s’appuyant sur ce constat que les opposants au nucléaire et des journalistes  en mal de lectorat ont volontairement mal traduit et transformé les faits pour colporter cette contre-vérité. Tout au plus peut-on reprocher aux autorités nucléaires et radiologiques de l’époque un manque de communication, ou de « pédagogie » comme on dit aujourd’hui, et regretter des écarts entre les normes sanitaires de pays riverains (ce qui ne veut pas dire que les normes moins strictes étaient préjudiciables pour les consommateurs).

    • Non, non, l’histoire du « nuage arrêté à la frontière » est un exemple d’effet Mandela (faux souvenir), je crois avoir vu quelque part qu’une idée approchante avait été évoquée dans un bulletin météo quelques jours après la catastrophe, avant d’être oubliée. Le message des autorités en France a toujours été : le niveau de radioactivité est plus élevé que la normal, mais est inférieur aux normes et ne remet pas en cause la consommation de légumes.
      La chaîne Le Point Genius a fait une vidéo sur le sujet, si je ne m’abuse.

    • Si certains (Noël Mamère, Michelle Rivasi, …) le citèrent comme l’auteur du mythique canular « le nuage s’est arrêté à la frontière française », le Pr Pellerin a systématiquement porté plainte pour diffamation et a gagné tous ces procès.

      Une plainte contre X déposée en 2001 par l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) et la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRad) entraîne une enquête qui met seul le Pr Pellerin mis en examen pour « tromperie aggravée ».
      
Après 10 ans de procédure et d’enquête, un non-lieu est prononcé par la cour d’appel de Paris qui dispose que la catastrophe nucléaire de 1986 n’a pas eu de conséquence sanitaire mesurable en France.

      Le 21 novembre 2012, la Cour de cassation confirmait le non-lieu mettant définitivement hors de cause, l’ancien patron du SCPRI. »
      Décédé le 3 mars 2013, le Pr Pellerin aura donc été, de son vivant, totalement réhabilité dans son honneur.

  • Article intéressant. Merci.

  • Les commentaires sont fermés.

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