La saga pétrolière sud-africaine des barils enfouis d’Ogies, dans l’impasse depuis près de dix ans, pourrait se dénouer à Genève

La réserve pétrolière d’Ogies pourrait rapporter 500 millions de dollars à l’État sud-africain. S’il arrivait à remettre la main dessus..

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La saga pétrolière sud-africaine des barils enfouis d’Ogies, dans l’impasse depuis près de dix ans, pourrait se dénouer à Genève

Publié le 23 décembre 2023
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En Afrique du Sud, dans la ville d’Ogies, située près de Johannesburg, se trouve une réserve de pétrole brut longtemps oubliée, appartenant à l’État sud-africain. Six à huit millions de barils y sont encore enfouis sous terre, dans une ancienne mine à charbon, après avoir été stockés par le régime de l’apartheid à la fin des années 1960. Cette réserve pourrait rapporter environ 500 millions de dollars américains à l’État. S’il arrivait à remettre la main dessus…

 

Retour sur l’affaire d’Ogies

Le South Africa’s Strategic Fuel Fund (SFF) tente en effet d’accéder à ces réserves depuis 2014. Depuis qu’il a attribué à la société Enviroshore Trade and Logistics, basée à l’époque à Durban, un contrat pour extraire le brut et nettoyer les boues pétrolières. Mais près de dix ans plus tard, le projet est à peine amorcé, bien qu’Enviroshore – rebaptisée entretemps Uwoleya Environmental Services avant d’être liquidée – ait reçu près de deux milliards de rands (environ 98,5 millions de francs suisses) pour couvrir ses frais de fonctionnement. Malheureusement, cette somme semble avoir été détournée vers un réseau opaque de comptes bancaires étrangers et d’entités locales sud-africaines. Si une telle malversation était avérée, ce serait un pillage d’une ampleur monumentale, digne de l’époque révolue des colonies…

Deux personnages baigneraient au cœur de ce scandale : un ancien banquier d’affaires basé à Genève et un magnat de l’immobilier de Durban, sur la côte Est de l’Afrique du Sud. Tous deux étaient alors à la tête d’Enviroshore.

Après avoir remporté le contrat Ogies, ils ont emprunté, via Enviroshore, six millions de dollars à Vitol SA, le principal négociant en pétrole de Genève. Cette somme était destinée à couvrir leurs frais de fonctionnement. Cela ne semblant pas suffire, ils ont utilisé leurs contacts au sein du gouvernement de Jacob Zuma, alors président de l’Afrique du Sud, pour obtenir un nouveau prêt de 300 000 barils de pétrole brut du SFF. Enviroshore a ainsi été autorisée à vendre ces barils, à condition que les recettes soient utilisées exclusivement pour le projet Ogies, et remboursées dans un délai maximum de « six mois – quelle que soit la quantité de produit récupérée à Ogies ». Equinoxe Investments SA, société genevoise appartenant à l’ancien banquier privé, a alors fourni à la SFF une garantie de bonne fin en avril 2015, garantissant qu’Enviroshore rembourserait les 300 000 barils à la SFF selon les termes de l’accord de prêt.

Enviroshore a ainsi réussi à vendre ces barils à Mercuria Energy Trading SA, un important négociant suisse, pour 14,65 millions de dollars. Suite à cette transaction, en avril 2015, les dirigeants de Mercuria ont trouvé un accord de stockage avec le SFF qui leur permettait de prendre livraison du pétrole brut à une date ultérieure. L’idée était d’attendre que les prix soient plus élevés, afin de maximiser la revente. Du moins, le pensaient-ils… Car, vers décembre 2017, la SFF a empêché Mercuria d’accéder aux barils. Motif : il s’agissait de « stocks stratégiques de carburant  » de l’État. La SFF avait en effet résilié les contrats d’Enviroshore en mai 2017, sur le prétexte que cette compagnie n’avait ni remboursé le prêt ni fait de progrès significatifs dans le cadre du projet Ogies. Lésée, Mercuria a alors lancé une action en justice contre la SFF, car cette dernière, au moment de l’achat, avait fourni une confirmation écrite que les barils n’étaient pas grevés et qu’Enviroshore avait le droit de les vendre. Des représentants de la SFF se sont alors rendus en Suisse pour rencontrer le dirigeant d’Equinoxe et réclamer un paiement au titre de la garantie de bonne fin. En vain. Equinoxe et son dirigeant n’ont jamais remboursé la SFF, ni rempli leurs obligations de garantie.

 

Des opérations douteuses

L’histoire ne s’arrête pas là. Mercuria est loin d’être la seule compagnie ayant subi un préjudice. Les deux partenaires, en tant que directeurs d’Enviroshore Project Financing Limited, société basée cette fois à l’île Maurice, ont également levé 40 millions de dollars supplémentaires fin novembre 2017 auprès d’investisseurs internationaux de Genève et de Singapour. En omettant apparemment de divulguer dans le mémorandum d’information et la data room les deux mises en demeure adressées par la SFF à Enviroshore, et qui résiliaient ainsi tous les accords et contrats. Il semblerait que l’ancien banquier privé n’ait pas non plus révélé que la SFF lui avait demandé par écrit, mais aussi en personne dans ses bureaux, le remboursement intégral du prêt.

La banque Absa a également prêté à Enviroshore environ cinq millions de dollars supplémentaires, intérêts compris. Cette fois, on trouve comme co-garants du prêt le magnat immobilier sud-africain et son fils, directeur et actionnaire de Multiply Group, société de capital-investissement de premier plan à Durban.

Toutes ces opérations semblent d’autant plus douteuses que le fondateur d’Envisohore, Arthur Potts, n’a pas hésité à affirmer devant la justice que les deux partenaires ont mis au point un plan visant à extraire de l’argent d’Afrique du Sud vers la Suisse, tout en sachant pertinemment ce qui était dû à la SFF.

De son côté, Enviroshore affirme qu’elle ne peut pas rembourser ses créanciers parce que les fonds auraient été dépensés pour le projet Ogies. Affirmation difficile à croire à la vue des rares progrès réalisés, alors que les deux associés ont levé environ 60,65 millions de dollars. Malgré cette somme, ils n’auraient donc pas réussi à extraire un seul baril de pétrole de l’ancienne mine, près d’une décennie plus tard. Comment est-ce possible ? Et, surtout, où est passé cet argent ? Aurait-il servi à financer des intérêts personnels ?

 

Une affaire d’évasion fiscale ?

Les réponses à ces questions ne sont pas encore claires. Pour l’instant, il semblerait que des millions de dollars auraient transité vers divers comptes bancaires liés aux deux hommes et répartis dans le monde entier. On en trouve notamment dans les îles anglo-normandes, à Dubaï et à l’île Maurice. Autre détail troublant : les transferts de plusieurs millions repérés entre les différentes sociétés des deux partenaires.

De plus, Equinoxe et GCChart Limited, une autre société de l’ancien banquier genevois, ont également soumis à Enviroshore des factures d’un montant total d’environ trois millions de dollars, prétendument pour des services liés à l’organisation de la vente de 300 000 barils à Mercuria. Cependant, d’autres documents montrent que ces trois millions de dollars auraient en fait été destinés au projet de luxe Domaine D’Orsay SA, dans la station de ski Villars-sur-Ollon. Station où, ironiquement, le CEO de Mercuria possède un chalet… De plus, une déclaration sous serment d’Arthur Potts indique que la vente des 300 000 barils à Mercuria a été organisée par lui-même et Oliver Hancock, négociant chez Mercuria, ce qui laisserait penser que les factures d’Equinoxe et de GCChart émises à l’intention d’Enviroshore correspondraient à des services fictifs. La société Conduit Investments Limited, basée dans les îles anglo-normandes et propriété du magnat immobilier de Durban, a également versé à la société Equinoxe Investments un montant supplémentaire d’environ 1,3 million de francs suisses destinés au Domaine d’Orsay, mais les accords contractuels n’ont toujours pas été signés par le Sud-Africain. Ce qui pourrait renforcer les soupçons sur le rôle exact joué par son associé genevois dans ce montage financier.

Pour ne rien arranger, cet argent semble avoir été sorti d’Afrique du Sud et envoyé en Suisse sans l’approbation de la Reserve Bank of South Africa Exchange Control, et sans déclaration de revenus dans ce pays. Si tel était le cas, il s’agirait d’une violation des lois locales sur le contrôle des capitaux, pratique tout à fait illégale. Et qui pourrait également s’apparenter à de l’évasion fiscale en vertu du droit suisse ! Or, Equinoxe et son propriétaire genevois auraient disposé et bénéficié d’au moins trois millions de dollars qui auraient appartenu à Enviroshore…

La liste est longue ! Les deux partenaires doivent aujourd’hui faire face à de sérieuses accusations. Il conviendra naturellement à la justice de déterminer si cet imbroglio résulte, au minimum, d’une importante malversation financière ou, au pire, d’une fraude pure et simple. Car, bien qu’Enviroshore/Uwoyela ait depuis été liquidée, les enquêtes et les procédures judiciaires se poursuivent.

Les avocats représentant les investisseurs lésés lors de la levée de fonds de 40 millions de dollars ont ainsi déposé des plaintes contre les différentes parties, notamment pour la non-divulgation d’informations primordiales, dont les deux lettres de résiliation de SFF, datant de mai 2017, et des documents établissant que la SFF avait visité l’ancien banquier privé dans les bureaux d’Equinoxe Genève pour réclamer le remboursement dû selon les termes du contrat.

Le cabinet de conseil en finance et en gestion des risques Kroll a également été engagé par des investisseurs internationaux pour réaliser un audit judiciaire complet, et découvrir ce que sont devenus ces millions. Le liquidateur d’Enviroshore, quant à lui, réclamerait à l’ancien banquier privé genevois de payer au moins les trois millions de dollars que ses sociétés suisses semblent avoir fait sortir illégalement d’Afrique du Sud, alors qu’en tant que bénéficiaire effectif d’Equinoxe, il était le garant de la bonne exécution de la vente à Mercuria des 300 000 barils de pétrole brut de la SFF.

 

Incompétence ou criminalité ?

La véritable nature de cette débâcle sera bientôt connue. Quelle qu’en soit la cause, le coût caché pour l’Afrique du Sud est déjà conséquent. Non seulement les deux hommes ont fait perdre près d’une décennie à cet État et l’ont empêché d’accéder à ces réserves de pétrole qui pourraient être utilisées au profit de la nation, mais ils ont également prolongé le risque écologique important que les réserves inaccessibles font peser sur l’environnement d’Ogies.

Car l’objectif du projet d’extraction n’était pas seulement d’accéder au pétrole pour des raisons financières ou énergétiques, mais aussi de le nettoyer et d’éliminer les risques de contamination des cours d’eau souterrains des environs. Les terres situées au-dessus du pétrole brut sont utilisées pour la culture du maïs. Une eau polluée aurait donc des effets directs sur la population et le bétail.

Aucun de ces risques ne semble avoir gêné les deux partenaires qui, par ineptie ou par cupidité, auraient donc spolié les investisseurs, privé l’État des réserves de carburant qu’il possède et exposé les habitants d’Ogies à des années de pollution souterraine. Tout cela, peut-être, pour le bénéfice financier de leurs propres projets…

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  •  » Si une telle malversation était avérée, ce serait un pillage d’une ampleur monumentale, digne de l’époque révolue des colonies… » surprenant commentaire à propos de pays où dirigeants déchus après dirigeants déchus – ou leurs enfants – sont richissimes et poursuivis pour corruption, détournements etc…

  • « ces réserves de pétrole qui pourraient être utilisées au profit de la nation ». Ah ça c’est sûr, on y croit fort. Si seulement l’état avait pu accéder à ces barils, la situation des sud africains se serait améliorée!
    Enfin, je veux dire deux sud africains au lieu d’un et d’un suisse.

  • Ce qui confirme que ce magnifique pays qu’est la Suisse n’est qu’une plate-forme de recyclage d’argent salle. Il sert aux trafiquants de tout bord et aux politiciens de tous les pays (même français). Alors tout va bien. Dormez tranquille.

    -1
    • Le secteur de la finance suisse ne représente que quelques pourcents du PIB suisse. Donc bon, même sans ça, ils sont quand même deux fois plus riches que nous (sans compter que la France doit aussi faire sa part pour l’argent sale provenant d’Afrique de l’ouest). Il y a donc une autre explication…

  • Les commentaires sont fermés.

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