Industrie spatiale : la France face à la compétition internationale

Entre la montée de la Chine et l’ascension de nouveaux acteurs, la France cherche à maintenir son statut dans le secteur spatial. Comment la France, dans ce contexte de concurrence accrue, peut-elle tirer son épingle du jeu ?

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Industrie spatiale : la France face à la compétition internationale

Publié le 10 décembre 2023
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Longtemps resté l’apanage de programmes publics militaires ou civils, le secteur spatial s’est ouvert progressivement aux applications commerciales à partir des années 1990, quand l’administration Clinton, désireuse de garder l’avantage d’une base industrielle active, décide d’ouvrir la vente d’imagerie satellite à haute résolution en 1994, puis d’en faire de même avec le système GPS en 1996.

Depuis, la commercialisation du secteur est largement engagée et a vu l’émergence de la vague du NewSpace en référence à l’arrivée de nouveaux acteurs, et notamment de startups qui ont bénéficié jusqu’à présent d’un accès facilité aux financements. Cette commercialisation accrue ne doit pas pour autant cacher une réalité qui veut que la commande publique reste structurante pour le secteur spatial et qui se traduit par une concurrence qui s’intensifie sur deux plans. Entre puissances étatiques, qui redoublent d’effort pour pousser leurs entreprises nationales, mais aussi entre fournisseurs de services commerciaux qui s’insèrent sur des marchés de plus en plus internationalisés.

 

La concurrence dans le secteur spatial est d’abord une compétition entre grandes aires d’influence

D’un côté les États-Unis, leader historique et toujours incontesté de l’aventure spatiale tant institutionnelle que commerciale, et de l’autre la Chine qui a su imposer progressivement un duel qui fait revivre les rivalités de modèle qui existaient du temps de l’URSS grâce à un secteur spatial financé à coups de grands programmes publics et qui irrigue jusqu’à la politique d’influence chinoise du Belt & Road Initiative en Afrique.

Au milieu de tout cela, l’Europe spatiale se veut forte d’une industrie puissante qui prend racine dans près d’un demi-siècle d’activité aérospatiale coordonnée avec en pointe la France, suivie de l’Italie très active sur le marché des lanceurs (Avio) et des satellites (Thales Alenia Space, Leonardo) et d’une Allemagne qui était jusqu’à présent plutôt active sur le marché des satellites (OHB).

C’est sans compter cependant sur une accélération récente de la concurrence intra-européenne à mesure que les opportunités du spatial se font plus lucratives. Cette concurrence est d’abord institutionnelle, avec un jeu de pouvoir qui oppose l’historique Agence Spatiale Européenne (ESA) et la plus récente Agence pour le Programme Spatial Européen (EUSPA) à qui la Commission européenne confie une part croissante des tâches de commercialisation du spatial, dévitalisant en partie l’ESA de ce rôle.

Mais cette concurrence se joue aussi entre puissances spatiales nationales, avec une fragilisation considérable du trio France-Italie-Allemagne en matière d’accès à l’espace. Et si la Conférence ministérielle de l’ESA de novembre 2023 qui réunissait les responsables de ses différents États membres a réussi à maintenir à flot la coopération de ce trio, ce n’est pas sans plusieurs concessions qui vont accroître la concurrence sur le marché de l’accès à l’espace en Europe. En contrepartie d’une rallonge des financements du programme Ariane 6, qui bénéficie largement à la France, l’ESA a en effet acté l’indépendance de la commercialisation des fusées de l’Italien Avio jusqu’à présent commercialisées par Arianespace, filiale d’ArianeGroup à qui il a pu être reproché de ne pas mettre suffisamment en avant les lanceurs d’Avio. L’autre concession, c’est l’ouverture croissante des lancements commandés par l’ESA à de nouveaux modèles de lanceurs, dont l’Allemagne espère profiter.

 

Faut-il s’inquiéter pour l’avenir de notre industrie spatiale nationale ?

À bien des égards, la France semble particulièrement armée pour faire face à cette concurrence croissante. Il faut dire qu’en France nous pouvons nous enorgueillir d’un ensemble d’atouts qui a fait jusqu’à maintenant notre renommée en matière de spatial.

Un héritage historique d’abord, de savoir-faire dans la filière aéronautique qui se transforme en filière aérospatiale à l’après-guerre, à la suite notamment d’une impulsion politique forte du Général de Gaulle qui créé en 1961 le Centre National d’Études Spatiales (CNES) tout en décidant la création du lanceur français Diamant qui, en 1965, mettra en orbite Astérix, le premier satellite français.

Cet héritage s’est construit et se consolide aussi autour d’un spatial dual, à la fois civil et militaire, sous l’impulsion du Commandement de l’Espace créé en 2019. La demande militaire en satellites de télécommunications et d’imagerie couplée au besoin d’accès à l’espace pousse nos industriels à innover constamment. Citons par exemple nos satellites de télécommunications Syracuse, notre Composante Spatiale Optique (CSO) capable de produire de l’imagerie en « extrêmement haute résolution » ou CERES, notre capacité de renseignement électromagnétique. Chacune de ces composantes a été savamment distribuée aux différents grands constructeurs français pour garantir un flux de contrats et maintenir l’excellence de nos industriels qui est mise en concurrence de manière croissante, entre acteurs français grâce notamment aux programmes de France 2030.

Se maintenir à la pointe de l’innovation dans le spatial nous permet aussi d’être à l’avant-garde d’un marché européen de plus en plus demandeur, à mesure que le spatial irrigue des pans entiers de secteurs économiques (automobile, assurance, tourisme, décarbonation) et de la société, avec des applications en matière de santé, d’environnement et de développement de la smart city. C’est aussi un atout pour répondre aux commandes institutionnelles de la Commission européenne, gros pourvoyeur de marchés publics avec ses constellations d’optique Copernicus, de navigation par satellite Galileo, et bientôt de télécommunications avec Iris2.

Enfin, et sans elle rien ne serait possible, notre industrie peut se targuer d’avoir à disposition une filière éducative qui forme un vivier d’ingénieurs de niveau mondial spécialisés dans l’industrie lourde et l’aéronautique avec notamment l’ISAE-Supaéro qui attire aujourd’hui des talents du monde entier, qui nous viennent aussi des États-Unis et d’Asie, à l’heure où la filière aérospatiale ouvre entre 10 000 et 15 000 postes.

 

Comment la France tire son épingle du jeu

Ces atouts sont fondamentaux pour permettre à la France de faire jeu égal si ce n’est outrepasser ses compétiteurs. Et dans cette concurrence désormais mondiale, la France tire son épingle du jeu grâce à la fois à ses leaders industriels historiques mais aussi via un vivier de nouvelles startups prometteuses qui arrivent à se positionner à la frontière technologique du spatial, c’est-à-dire au sommet du savoir-faire mondial en matière d’innovation.

Par ses acteurs historiques d’abord, comme ArianeGroup sur le marché des lanceurs, la France reste un des principaux artisans de la capacité européenne d’accès à l’espace. Et même si elle connait quelques balbutiements avec le programme Ariane 6, il faut rappeler que c’est vers Ariane 5 que les États-Unis et la NASA eux-même se sont tournés pour garantir une mise en orbite la plus précise possible pour le James Web Space Telescope (JWST), une preuve de la reconnaissance mondiale de la fiabilité de nos technologies. Autre exemple en matière de technologie satellitaire cette fois-ci, avec la récente vente de satellites Pléiades Neo par Airbus à la Pologne afin de fournir une capacité en imagerie très haute définition à un pays pour qui les enjeux sécuritaires deviennent de plus en plus critiques à la suite notamment du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

Mais il n’y a pas que nos grands industriels qui font la renommée française. Nos startups du NewSpace s’exportent déjà sur les marchés internationaux. C’est le cas de Preligens, spécialiste de l’analyse algorithmique de données spatiales, notamment pour la Défense, qui est aujourd’hui fournisseur pour le Pentagone aux États-Unis, un client rigoureux qui témoigne des qualités de notre savoir-faire. Citons encore Exotrail dont les systèmes de propulsion électrique innovants ont été choisis par Blue Canyon Technologies, filiale du champion américaine Raytheon pour équiper une mission scientifique de la NASA en 2026.

Forte de ces succès industriels, la France peut aussi pousser son expertise technique au service de son soft power pour concurrencer notamment la Chine sur le continent africain. C’est ainsi par exemple qu’outre un rayonnement scientifique mondial grâce au CNES, la France met à profit ses universités pour accompagner les puissances spatiales émergentes. L’Université de Montpellier forme notamment une première génération d’ingénieurs sénégalais spécialistes de la conception et construction de petits satellites pour amorcer le développement d’un secteur spatial local, une initiative amenée à se répandre dans le monde pour non seulement faire rayonner nos universités, mais aussi adosser de potentiels contrats à ces coopérations techniques et scientifiques.

 

De nouveaux concurrents sont en train d’émerger

Ce serait néanmoins une gageure que de ne pas se méfier de la puissance de frappe de nos nouveaux concurrents.

En Europe d’abord, avec une Allemagne dont l’appareil industriel est en moyenne davantage modernisé qu’en France et plus avancé sur certaines technologies de l’Industrie 4.0 qui pourraient permettre de nouvelles innovations de procédé à même de faire gagner en compétitivité l’industrie spatiale allemande et lui faire rapidement rattraper son retard sur la France. Une puissance qui est aussi financière, sous la forme de capacité d’investissement elle aussi supérieure à la nôtre et qui pourrait faire la différence par un soutien public accru mais aussi une facilité à la levée de fonds en Allemagne qui se veut décisive dans un secteur lourd en besoins d’investissements (CAPEX) et en coûts irrécupérables.

Plus loin à l’Est, l’expertise en sciences des données de nos partenaires européens devrait leur permettre de développer des solutions innovantes d’emploi de la donnée spatiale qui pourrait concurrencer nos acteurs nationaux jusqu’à présent focalisés sur l’amont de la chaîne de valeur du spatial.

Se méfier aussi de la concurrence internationale, pas seulement celle de la Chine ou des États-Unis dont les conditions d’ouverture des marchés demeurent plus restrictives aux nôtres comme l’alertait déjà Paul Lignières dans son ouvrage Le Temps des Juristes (2012), mais de celle d’autres grands du spatial comme l’Inde, et peut être demain certains pays du Golfe qui pourraient attirer une quantité croissante d’industriels et startups grâce un cadre réglementaire et financier avantageux.

 

Le secteur spatial français n’a pas dit son dernier mot

L’enjeu pour la France face à cette concurrence nouvelle est de trouver les moyens de continuer à renforcer le dynamisme industriel du secteur, sur plusieurs plans.

Sur le plan du financement privé d’abord, pour faciliter le développement du capital-risque dans un pays jusqu’à présent plus frileux que l’essentiel de ses concurrents directs, en dépit d’initiatives adossées à nos grands groupes comme Airbus Ventures ou CMA-CGM Ventures.

Par ailleurs, puisque le spatial ne saurait se passer de la commande publique, plusieurs pratiques là aussi venues des États-Unis ont prouvé leur efficacité en matière de mise en concurrence d’acteurs commerciaux par la commande publique, à l’image des DARPA challenges qui mettent en concurrence plusieurs acteurs en ne les gratifiant de contrats que par palier, et à condition d’avoir rempli un strict cahier des charges, ce qui a pour effet de dynamiser considérablement la concurrence.

Ce modus operandi requerra néanmoins une évolution de notre conception du cadre juridique et réglementaire qui doit faciliter la cyclicité des affaires comme peut le faire le droit américain des entreprises en difficultés, largement tirée des enseignements du « Law & Economics » et qui favorise le retournement d’entreprises et qui a pu sauver des acteurs comme américains comme Iridium ou Intelsat, véritables phénix industriels.

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  • Pour rester compétitif, il faut de l’argent public. Le secteur spécial, en dehors des satellites de télécommunications n’est pas commercial mais étatique. Si la France avait beaucoup d’avance, elle l’a perdue par manque de financement. Et l’Allemagne qui n’a jamais investi dans ce domaine, tente de récupérer la connaissance depuis 15 ans en bloquant les programmes ESA sauf si l’Allemagne obtient les technologies clés par transfert de la France. Merkel avait refusé Galileo (GPS européen) si l’Allemagne n’était pas concepteur du satellite. Résultat, le programme a coûté 3 milliards d’€ au lieu d’1 milliards, et Astrium et Thales Alenia Space ont du transférer leurs savoirs gratuitement à OHB pour que ce programme sorte avec plus de 5 ans de retard. L’Allemagne accepte le financement d’Ariane 6 si en plus de sa participation, le moteur Vulcain est produit en Allemagne, acquérant ainsi le savoir faire pour créer un futur compétiteur. Et je pourrais citer pleins d’autres exemples comme l’observation optique terrestre par satellite.
    Le problème de la France c’est qu’au lieu de financer l’avenir, elle préfère financer des électeurs au RSA à vie, des électeurs fonctionnaires inutiles, des médias complices, des aides pour des migrants inexpulsables, des logements sociaux, des transports publics toujours en grève, une armée mexicaine d’enseignants toujours absents, etc, etc. Les pays qui ont développé leur Industrie spatiale comme l’Inde, la Corée du sud, la Chine, Israël, ont choisi entre avenir et clientélisme : le clientélisme comprenant exactement tous les éléments de la liste que la France à choisi.
    Quant au mythe du secteur privé américain, E. Musk se finance en vendant extrêmement chers ses tirs militaires et scientifique en accord avec la NASA et l’État américain. Cela lui permet de financer ses développements et dumper ses lancements commerciaux.

    • Si la France décline dans le spécial, ce n est pas par un manque de financement mais par une gestion bureautique qui a conduit à de nombreux retards et a une gabegie budgétaire
      Encore un libéral qui demande plus d argent magique……

      -1
      • Exactement. Au lieu d’investir l’argent dans le spatial et autres industries d’avenir, la France l’investit dans le RSA et autre clientélisme électoral. Impossible de faire les 2 : nos politiciens ont choisi. Personne ne demande plus d’argent mais ceux qui payent des impôts parce qu’ils travaillent veulent que c’est impôts financent l’avenir pour nos enfants.

  • J’ai l’argent, je veux la technologie, la France fait payer très cher aux Européens l’utilisation du centre spatial de Kourou, ce qui implique des contreparties

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