Une victoire sanglante et fragile : comment Kidal a été prise par Wagner

Kidal, bastion des Touareg et ville-symbole de l’opposition à la junte malienne vient d’être conquise. Mais la guérilla ne fait que commencer.

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Une victoire sanglante et fragile : comment Kidal a été prise par Wagner

Publié le 15 novembre 2023
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Combien de temps Kidal restera-t-elle aux mains de la junte de Bamako et de ses alliés ?

Kidal, bastion des Touareg et ville-symbole de l’opposition à la junte malienne vient d’être conquise. Dans un communiqué victorieux, le Conseil National de Transition (nom du gouvernement de la junte malienne) évoque un « moment historique et mémorable de l’histoire du Mali » et « une victoire nette et sans bavure ». La prise de Kidal revêt un intérêt stratégique indéniable pour la junte et pour le groupe Wagner, qui souhaitent éliminer toute résistance à l’expansion de leur mainmise au Sahel. Cependant cette victoire n’a pas été « sans bavure » et le « moment historique » pourrait ne pas durer.

 

Les faits : déroulé de l’attaque

Mardi 14 novembre, aux environs de deux heures de l’après-midi, 500 mercenaires russes de Wagner accompagnés de forces armées maliennes sont entrés dans Kidal sur une trentaine de véhicules blindés de marque chinoise.

Le combat aurait duré deux heures. C’est la bataille aérienne qui a été décisive : le pilonnage de la ville a été opéré par des avions de chasse, cinq hélicoptères MI 24, trois drones turques bayraktar BT2 et une dizaine de petits drones kamikazes iraniens téléguidés par les mercenaires de Wagner. Tous les pilotes seraient des Russes.

La démultiplication des frappes aériennes a provoqué le repli des mouvements du Cadre Stratégique Permanent (CSP) en charge de la défense de la ville.

L’entrée des Wagner par le sud de la ville aurait enfin été facilitée par le Groupe d’Autodéfense Touareg Imghad et Alliés (le GATIA), mouvement armé de la tribu des Imghad dirigé par le Général Alhaji Ag Amo et allié au régime malien.

 

Une victoire sanglante : les exactions continuent

Une vingtaine de civils, dont des femmes et des enfants auraient été tués par ces attaques aveugles. Plusieurs véhicules transportant des familles en fuite vers l’Algérie auraient été pris pour cible par des avions des forces armées maliennes.

Depuis le 14 novembre, de nombreux témoins locaux rapportent une démultiplication des frappes de drones sur des hameaux touareg proches de Kidal.

Certains noms de civils victimes des crimes de guerre sont déjà connus : ainsi Ouguenat Ag Telelé (commerçant), sa petite fille de quatre ans (nous ignorons son nom) et Awinane Ag Achkounine (étudiant en psychologie) ont perdu la vie mardi soir à Tekankante, localité située à 45 km au nord de Kidal lors d’une attaque de drone. À Kidal, de nombreux pillages sont aussi rapportés.

 

Une victoire des Wagner revendiquée par les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger

L’issue de cette attaque n’aurait pas été possible sans le soutien décisif des mercenaires Wagner (qui selon des sources locales représentaient 80 % des éléments entrés hier à Kidal) ni sans l’aide de soldats du Niger et du Burkina Faso présents au QG des opérations des Forces Armées Maliennes de la région de Gao, en appui à la stratégie. L’ancienne base de la MINUSMA n’aura pas tardé à trouver un nouvel emploi.

Dans un communiqué en date du 14 novembre, le gouvernement de la junte du Burkina Faso, qui participe à l’alliance Liptako-Gourma, s’est réjoui de la « libération de Kidal ». Le junte nigérienne s’est fendue d’un communiqué le lendemain, reprenant les mêmes termes et réitérant son attachement à l’Alliance des États du Sahel (autre nom de l’alliance Liptako-Gourma formée entre les trois régimes putschistes de Bamako, Ouagadougou et Niamey).

Pour de nombreuses sources, l’intervention des mercenaires russes aurait surtout pour objectif de s’emparer des sites d’orpaillage contrôlés jusqu’à présent par les mouvements du CSP, notamment à Tessalit et à Kidal. Il s’agirait là du deal qu’ils auraient conclu avec la junte de Bamako.

 

Une victoire à la Pyrrhus : la guérilla ne fait que commencer

La junte malienne et ses alliés de Wagner et de l’alliance Liptako-Gourma pourront-ils maintenir durablement leur contrôle sur Kidal ? Depuis le départ de Barkhane, les Wagner et les FAMa se livrent à un massacre systématique des Touareg : il leur sera impossible de s’attirer les sympathies de la population ou d’imposer le narratif d’une libération.

En outre, il est difficile de savoir comment réagiront les Touareg issus des corps constitués des juntes alliées du Mali, notamment au Niger où de nombreux Touareg sont membres de la gendarmerie. Enfin, si Kidal a été prise, les combattants Touareg du CSP n’ont pas été défaits. Il faut s’attendre à des tentatives de reconquête.

La guérilla ne fait que commencer.

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  • La fin justifie les moyens dans ces pays. Visiblement, ces gouvernements n’aiment pas prendre des gants avec leur population : si on ne peut pas bombarder ou gazer (comme en Syrie) ses concitoyens, à quoi ça sert de gouverner ! C’est sans aucun doute l’erreur de la France. Elle aurait dû tout pilonner à la mode Wagner et se faire payer sur la bête en faisant main basse sur les richesse locales. Au lieu de ça, elle a fait attention aux populations et a dépensé des millions d’euros du contribuable Français. Visiblement, la France a encore des réflexes colonialistes que n’ont pas les Russes et qui sont appréciés pour cela.

    • La junte malienne en avait ras le bol du gouvernement français qui lui demandait d arrêter la corruption massive dans ses rangs sans oublier le respect des droits de l homme
      Au moins avec les russes de wagner plus aucun soucis
      Les massacres et la corruption flambent……

  • A l’évidence, ces Russes sont des méchants : ils font la guerre, risquent leur peau, et savent se faire payer ensuite. Que n’ont-ils été à l’école de notre civilisation, avec ses armées pleines de « capacité de gesticulation » (l’expression était de Mitterrand) ? Mais qu’importe le Mali pourvu qu’il y ait des Maliens en France ?

  • Une intervention déterminante du groupe Wagner et de l’armée Malienne totalement équiper par les Russes et leurs alliés apparemment certains voisins du Mali, l’auteur n’explique pas pourquoi Kidal a une telle importance stratégique

    • Lorsque l armée française est intervenue en 2013, Kidal a été laissée aux mains des touareg
      Cet accord implicite faisait bondir les FAMA et la junte de Bamako

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