Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

La Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire et sur l’Alliance atlantique.

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Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

Publié le 8 octobre 2023
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Par Romain Delisle
Un article de l’IREF

En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé Vers l’armée de métier, sur l’état de l’armée française, et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies.

À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.

Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.

En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.

Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».

 

Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État

En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire.

Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.

À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. En fait, l’armée a été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.

Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes, ou la mécanique aéronautique.

En vingt ans, les équipements ont également fondu.

L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’Air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines, comme celui des drones ou des stocks de munitions.

 

Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030

Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse.

Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…

La Loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 milliards d’euros consacrés aux équipements, contre 172 pendant la période de la précédente loi.

Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’Air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar, et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui feu).

Autre exemple : la Marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines, soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la deuxième ZEE (zone économique exclusive) mondiale…

Il est patent que le gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 milliards), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 milliards), et ce au détriment du combat direct.

Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.

En somme, la Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du XXIe siècle.

Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».

[1] Dont le titre était : Une invasion est-elle encore possible ?

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  • Le socialisme français a toujours été contre l’armée. Si la guerre en 39 a été si rapidement perdue c’est parce que des socialistes étaient au pouvoir et leurs actions, déjà et comme toujours, commandées par l’URSS. Rappelons qu’avec le Pacte germano-soviétique, Staline n’avait aucun intérêt à empêcher Hitler d’envahir la France. Mais nos gogoles socialistes au pouvoir se sont laissés berner dans un contexte mondial explosif où il aurait fallu réarmer (tous connaissaient la puissance de l’armée allemande). Depuis Mitterrand (qui avait mis comme Ministre de la Défense une taupe russe), nous sommes dans le même contexte. Et que dit Moscou à nos amis socialistes : faites la paix, pas la guerre, moi, je m’occupe de la guerre. Donc nos camarades appauvrissent le pays pour être réélus au dépend de notre armée entre autres. Nous avons une armée plus faible que l’armée turque qui n’a pas peur de prendre nos navires comme cible en Méditerranée pour protéger ses livraisons d’armes à la Libye.
    En cas de guerre, qui va défendre la France ? Sûrement pas les jeunes bi-nationaux des banlieues qui fuiront vite fait vers leurs pays d’origine de l’autre côté de la Méditerranée. Pour toucher des allocations, Ok, pour piller les magasins, Ok. Mais pour le reste, oubliez.

  • La « nouvelle ligne maginot » ne dissuade que d’une attaque nucléaire. Elle n’empêcherait nullement une invasion conventionnelle car alors une riposte nucléaire entrainerait l’annihilation. « Better red than dead ». Il n’y pas cependant de solution car les finances sont à sec.

  • Un livre d’anticipation, il avait totalement raison l’invasion est d’actualité, ils s’appellent migrant, sans papier, capitaliste soi-disant sans origine, l’invasion a bel et bien commencé

  • il s’agit dune competence régalienne..
    donc on a ce pour quoi on vote…
    on peut s’etonner d’incoherences.. exposer ce qui ne colle pas..

    on peut d’etonner que l’ameée passe après des dépenses non normalement régaliennes..

    mais le mot ultime reste au président..

    si le peuple vote majoritairement sur la dissolution de l’armée..c’est son droit..

    la défense de la souveraineté du pays est dans les mains du peuple souverain.

    • Malgré le respect que j’ai pour les militaires.. je suis gêné par le « nous autres militaires » » comme si militaire était une identité.. une qualité propre à certains…surtout quand la conscription a cessé il ya peu..

      « s’accaparer » la compétence militaire. d’ailleurs implique le risque d’etre désigné coupable en cas de défaite;.or le militaire fait son devoir .;avec les moyens qui lui sont alloués..sa dignité est là pas dans la victoire ou la défaite mais dans le service.

      la grande muette…on désapprouve on démissionne …

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