Crédits : l’auteur Adam Tooze et l’université de Columbia contre les marchés

Une étude des chercheurs de Columbia pointe vers un accroissement du rôle du gouvernement et de la Fed à l’avenir, avec un nouveau système de contrôles et de garanties.

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Crédits : l’auteur Adam Tooze et l’université de Columbia contre les marchés

Publié le 27 septembre 2023
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Une étude de chercheurs de l’université de Columbia, aux États-Unis, attire l’attention de la presse et de blogs au sujet de la finance.

Les chercheurs – d’une des universités les plus réputées du pays – offrent un compte rendu sur le fonctionnement du marché de crédits de court terme, les repos (pour Sale and Repurchase Agreement), une forme de prêt entre banques ou acteurs dans la finance.

Comme le résument les auteurs de l’étude, les régulateurs américains (législateurs, autorités de marché, et Réserve fédérale) travaillent sur une refonte des règles autour de l’émission de crédits entre groupes financiers.

En principe, les régulateurs veulent plus de stabilité du système face aux crises.

Les imprévus et chocs de marché – des krachs aux confinements – mettent de temps à autre en danger le règlement de transactions et le financement du gouvernement. En effet, les prêts de court terme fournissent les liquidités des intermédiaires à l’émission de dette du gouvernement – les agents du Trésor (primary brokers).

Les chercheurs, M. Menand et M. Younger, rappellent dans l’introduction de l’analyse :

« En 2008, la capacité des intermédiaires financiers à fournir des liquidités a connu des soucis en raison de la perte de confiance dans les prêts de court terme qui servent de monnaie (les prêts repo). Par la suite, des changements ont eu lieu dans le système, qui ont attribué un plus grand rôle aux traders à haute fréquence, et aux hedge funds – appelés les shadow dealers. Mais les liquidités générées par ces intermédiaires n’ont pas fait preuve de stabilité en 2020. »

En somme, en raison des crises de liquidités à deux reprises importantes depuis le début du siècle – lors du krach de 2008, et lors de la panique au printemps 2020 -, la banque centrale américaine (la Fed) sert à présent de garant de liquidités de court terme, les repos, en cas de resserrement des conditions de marché.

L’étude des chercheurs de Columbia pointe un accroissement du rôle du gouvernement et de la Fed à l’avenir, avec un nouveau système de contrôles et de garanties.

Ils expliquent :

« Les régulateurs et législateurs travaillent à présent sur une réforme du marché des obligations du Trésor, pour que la dette américaine reste l’actif le plus liquide au monde. »

La presse et les blogs américains sur la finance reprennent le refrain des chercheurs en faveur d’un plus grand rôle dévolu aux autorités dans les crédits de court terme, un mécanisme au cœur de la création d’argent.

Selon les auteurs du rapport, le marché de crédits de court terme fonctionne grâce à l’intervention, de temps à autre, de la banque centrale dans les marchés.

L’octroi de prêts de court terme, – qui permettent aux acteurs dans la finance de lever rapidement des fonds par la vente d’obligations en portefeuille – requiert ainsi des garanties de la part de la Fed, en cas de manque d’offre de prêts dans les repos.

 

Accroissement du rôle de la Fed au fil du temps

L’une des interventions de la Fed contre un manque de liquidités dans les repos remonte à des mois avant la panique sur le virus, en septembre 2019. Le marché des repos subit à ce moment-là un épisode de resserrement.

Le mystère plane encore de nos jours sur l’origine du problème. En principe, elle provient d’une convergence d’événements – une hausse de la tension sur les repos pour absorber les émissions du gouvernement américain sous M. Trump, et la demande de liquidités par les entreprises pour le règlement d’impôts. Néanmoins, l’échéance du paiement des impôts n’a pas mis fin à la crise.

Le graphique de la Fed montre une forte envolée, en septembre 2019, du taux sur les repos (courbe noire), bien au-dessus des objectifs de la Fed (bande grise).

Le rapport de la Fed au sujet de la crise explique :

« Lundi 16 septembre, le taux annualisé sur les repos atteint 2,43 points de pourcentage, soit 0,13 de plus que la veille […]. Le lendemain 17 septembre, les taux sur les repos a atteint plus de 5 points de pourcentage… »

La crise de septembre 2019 marque un tournant vers un changement de rôle à la Fed. Elle sert alors de garant de la liquidité du marché des repos, jusque-là de domaine du privé.

Des mois plus tard, en mars 2020, le choc des confinements autour du monde produit le même type d’événement.

À ce moment-là, les banques refusent de prêter de l’argent, y compris dans le marché du repo, en raison de la montée des risques de faillites et de crise de liquidités.

De nouveau, la Fed entre dans les marchés avec des lignes de crédit et de rachats d’obligations, une source de liquidités de court terme pour le marché.

En résultat, la banque centrale joue à présent un rôle de garant de liquidités de court terme dans le marché des repos.

L’analyse des chercheurs de Columbia défend les interventions de la Fed, et suggère un renforcement du rôle des autorités dans les fonctionnements de la création de crédit à l’intérieur du système.

 

Le wonk en faveur du gouvernement

Dans le jargon des auteurs d’articles et tribunes aux États-Unis, un wonk désigne un obsédé des détails et spécificités d’un domaine en particulier.

En général, il parle de sujets pour lesquels la majorité des lecteurs aura peu d’affinités, en raison de leur excès de précision et d’abstraction.

Un wonk évoque avec affection un savant trop préoccupé des détails pour traiter un sujet au niveau de compréhension du grand public.

Le sujet des taux du marché des repos et l’impact des interventions de la Fed font partie du monde des wonks.

Les auteurs et journalistes dans le domaine de la finance évoquent l’étude avec admiration.

Matt Levine, l’auteur d’une chronique quotidienne chez Bloomberg, conclut de l’étude :

« Les obligations du Trésor ne peuvent jamais être considérées comme des placements classiques de rendement. Elles ont besoin d’un marché liquide avec des acheteurs et des vendeurs. Ces intermédiaires vont avoir besoin de liquidités [qu’ils obtiennent via les repos], ce qui crée des risques, et la Fed va donc devoir offrir des garanties contre ces risques. »

De même, l’historien de marchés et auteur de best-sellers, Adam Tooze, fait l’éloge de l’étude sur son blog. En particulier, il rejette la possibilité d’un marché sans intervention de la Fed, et des autorités politiques. Il appelle à « refondre le marché le plus important au monde […] Tout le monde devrait lire Menard et Younger au sujet du marché des obligations du Trésor ».

Le rapport des chercheurs adopte en effet un point de vue en raccord avec les décisions d’interventions dans le passé, dont en 2008, par exemple.

Selon les auteurs :

La situation [en 2008] n’a été sauvée que grâce à une intervention dramatique par la Fed, qui s’est servie de son bilan pour absorber les ventes d’obligations, et réduire la fluctuation des prix. C’était exactement ce que l’ex-directeur de la Fed, de 1951 à 1970, William McChesney Martin, Jr., avait tenté d’éviter – une intervention directe de la banque centrale pour protéger le financement du gouvernement [en procurant des liquidités pour les vendeurs d’obligations du Trésor].

Selon les auteurs du rapport, le système d’aujourd’hui doit en partie son existence à une intervention de forte ampleur de la Réserve fédérale au cours de l’année 2020.

L’analyse soutient la mise en place d’une augmentation des règles et des garanties pour le marché des crédits de court terme, sous couvert d’un risque de gel des liquidités à l’avenir.

 

Le problème des interventions

La théorie en vogue chez les universitaires et la presse financière montre l’intérêt pour les marchés et le respect des transactions entre particuliers ou entreprises.

En effet, l’octroi de liquidités au marché requiert le travail, le savoir-faire, et les capitaux de quelqu’un. Selon la loi de l’offre et de la demande, il a un coût en proportion de la difficulté de la tâche. Par l’apport de liquidités sans coût, la Fed retire les incitations à l’effort chez les intermédiaires du crédit.

Dans un marché sans intervention, le manque de liquidités, comme lors du resserrement des repos en septembre 2019, envoie un signal aux marchés. Il montre un changement dans l’offre et la demande de liquidités.

De même, la coupure des centrales nucléaires, et la perte de stocks de gaz et de pétrole au cours des confinements ont mené à une pénurie d’énergies. En réaction à un manque d’offre par rapport à la demande, les prix partent à la hausse.

En réaction, les consommateurs d’énergies font des économies. La « destruction de la demande » dans le jargon des économistes, au travers de la fermeture d’usines et la réduction de la consommation des ménages, ramène le marché à l’équilibre. Elle entraîne une baisse des prix de marché.

De même, un resserrement des conditions d’octroi de crédit indique un manque de liquidités, et pousse les acteurs de la finance – dont les agents du Trésor américain – à davantage de retenue.

L’explosion des taux en réaction à une pénurie d’offre de crédits fait partie du fonctionnement d’un marché, tout comme un hausse du prix du gaz survient en réaction à une baisse des stocks à disposition.

 

Mise en cause du marché

L’auteur Adam Tooze, connu pour ses livres traitant de l’histoire des économies – dont Le Salaire de la destruction, au sujet de l’économie sous les nazis – résume les conclusions des chercheurs sur son blog.

Selon lui, les débuts de crise de liquidités en 2019 et 2020 prouvent la nécessité des interventions dans le marché.

Il explique :

Les remous du printemps 2020 ont pris une tournure alarmante et dangereuse. Votre point de vue sur le dénouement – la stabilisation directe aux mains des Fed – dépend de votre vision globale. En effet, vous devez vous rendre compte, d’un point de vue historique, que le système monétaire et fiscal actuel dépend d’une interaction profonde entre l’État et le système financier privé, dans laquelle la banque centrale sert de garant de dernier ressort.

Selon l’interprétation de l’auteur – et de la presse en général – le maintien d’un marché du crédit demande davantage de soutiens et garanties de la part des autorités, et davantage de restrictions sur l’activité des intermédiaires, dans le but d’empêcher un krach.

Le péril d’un effondrement du système financier – tout comme les craintes sur le climat, par exemple – crée le prétexte à un accroissement du pouvoir entre les mains des dirigeants.

La critique des marchés par les chercheurs à l’origine de l’étude, et de l’auteur Adam Tooze, repose sur une méfiance envers les choix des particuliers dans le domaine de l’octroi de crédits et de la gestion du risque. Elle suppose un bienfait de la gestion par les représentants du gouvernement, à la place des acteurs de marché.

Les individus en quête de profits font des erreurs et courent un excès de risques, selon la théorie. Le manque de prudence crée des gels de liquidités, comme en septembre 2019 et en mars 2020.

À l’inverse, les dirigeants ont une préoccupation pour le bien-être de tous, disent-ils. Ils font alors contrepoids aux excès et erreurs des particuliers ou des sociétés de finance (hedge funds, banques, ou assureurs).

Avec le contrôle de la planche à billets, ils offrent des sauvetages de dernier recours, au coût d’une dévaluation de la monnaie. Ils imposent des règles contre les débordements du système.

En somme, le point de vue des chercheurs, de l’auteur Adam Tooze, et de la presse en général, remet en cause l’intérêt d’un système de marché. Ils imaginent des bureaucrates, plus sages que les acteurs du marché, avec la capacité d’améliorer la gestion de risque, et l’équilibre entre l’offre et la demande de crédits.

 

Avantages du marché sur la centralisation

En réalité, le marché a l’avantage sur la prise de décision par une poignée de dirigeants.

Voyez, les crises – dont une perte soudaine de liquidités – font partie du fonctionnement d’un marché. Sans la nécessité des interventions des dirigeants, elles permettent l’éradication des risques, et éliminent les erreurs via les faillites d’investisseurs ou de sociétés.

L’avantage d’un système de marché provient de la neutralité vis-à-vis des calculs des politiciens, ou du point de vue de la presse et de l’électorat en général (qui n’a pas de connaissance sur le sujet). Il attribue les récompenses et capitaux en fonction de l’efficacité des intervenants, et non en raison des préférences de ministres et fonctionnaires.

Comme le dit M. Tooze, le marché des crédits de court terme est peut-être « le marché le plus important au monde ».

En effet, les marchés du crédit touchent des millions de participants, entre les particuliers en quête d’un prêt, les entreprises en besoin de financements, ou les investisseurs à la recherche de rendement.

Les décisions de millions d’individus, en réaction aux signaux de prix dans le marché, mènent à une distribution des ressources au mieux pour l’ensemble. Une hausse du taux d’intérêt sur les repos pousse les intermédiaires à réduire le rythme de recours à la dette de court terme.

Elle incite à l’abaissement des dépenses et du financement de la dette du gouvernement dans l’immédiat. Par contre, la réaction de la Fed retire le signal des prix. Elle crée l’illusion d’une abondance de capitaux, et incite à plus de création d’argent.

Une organisation des ressources selon l’avis d’une poignée – voire de plusieurs dizaines de milliers – de bureaucrates et de chercheurs n’a pas d’avantages par rapport à un système de marché.

Au contraire, elle élimine les bienfaits de la prise de décision par les millions d’acteurs dans l’économie, selon leurs propres jugements.

En conséquence, les personnes à l’origine d’un excès de risque, ou d’une inefficacité de marché, ne font pas faillite, et ne quittent pas la scène.

Elles conservent même des postes, et la capacité de créer plus de gâchis !

Les auteurs de l’étude, par contre, préfèrent la centralisation.

Ils écrivent :

Le financement du gouvernement américain est depuis longtemps emmêlé avec le fonctionnement du système monétaire, si bien que la liquidité dans les obligations du Trésor dérive, en grande partie, d’interventions politiques. En d’autres termes, la liquidité du marché de la dette publique ne survient pas de façon naturelle, à la suite de l’action du secteur privé. Elle provient des efforts des agents du gouvernement.

Le célèbre auteur Adam Tooze reprend, sur son blog, le point de vue des chercheurs. Il écrit :

« Vous pouvez raisonnablement demander un système de crédit bancaire dans lequel la banque centrale joue un rôle de garant encore plus transparent. Vous pouvez aussi raisonnablement préférer une nouvelle version du partenariat public-privé dans le système bancaire, avec de nouvelles règles, de nouveaux participants, et de nouveaux garants. Par contre cette fabuleuse analyse de M. Menand et M. Younger montre qu’il est pure fantaisie d’imaginer un système monétaire et fiscal basé sur une séparation de l’État et des marchés, avec un marché de capitaux libre et un système de création de crédit privatisé. »

En fait, le marché arrive à plus d’efficacité dans l’usage des ressources que les autorités.

En effet, il ne cède pas aux besoins en financements du gouvernement. Il ne plie pas devant la popularité – auprès de la presse, du gouvernement, et de l’électorat – de crédits à taux proches de 0 %.

Il gère les ressources selon la réalité de l’offre et de la demande, et du mérite de l’usage des capitaux par chacun.

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