L’inflation est-elle sous-estimée pour tenir compte de « l’effet qualité » ?

Mesurer la qualité pour nuancer l’évolution des prix part d’une bonne intention. Mais cette méthode souffre de défauts qui conduisent à sous-estimer l’inflation réelle. L’opacité des statistiques officielles empêche cependant de connaître l’ampleur du problème.

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L’inflation est-elle sous-estimée pour tenir compte de « l’effet qualité » ?

Publié le 2 septembre 2023
- A +

Outre les effets de substitution dans le comportement des consommateurs, l’une des principales sources de distorsion dans la mesure de l’inflation est le changement de qualité des biens et des services.

 

Au-delà du prix, l’importance de la qualité

Les changements de qualité sont subjectifs.

Pour l’un, par exemple, le passage au self-service et aux caisses automatiques est une bénédiction. On gagne du temps, du moins si l’on sait comment utiliser les automates, et il n’est plus indispensable de communiquer avec d’autres personnes si on ne le souhaite pas. Pour d’autres, c’est une contrainte et un signe clair que la qualité des services a baissé dans de nombreux domaines.

Malgré ce problème fondamental, des efforts sont faits pour saisir les changements de qualité de la manière la plus objective possible, et les intégrer dans la mesure de l’inflation.

Les résultats de la commission américaine Boskin au milieu des années 1990 ont donné une impulsion décisive à des ajustements explicites de la qualité. L’argument était que l’inflation était surestimée parce que les nombreuses améliorations qualitatives n’étaient pas suffisamment prises en compte. La commission a estimé l’erreur de mesure à environ un demi-point de pourcentage par an.

Depuis lors, les ajustements qualitatifs explicites se sont de plus en plus imposés dans la mesure de l’inflation. Dans la littérature spécialisée, on discute beaucoup des ajustements de qualité dits hédoniques, dans lesquels la valeur monétaire d’un changement de qualité est estimée dans une analyse de régression.

 

L’ordinateur, plus cher et plus puissant, est-il inflationniste ?

Imaginez un ordinateur avec une puissance de calcul de 3 GHz et un prix de vente de 500 euros.

Le modèle suivant remplace l’ancien ordinateur. Il coûte 600 euros, mais a une puissance de calcul de 3,5 GHz. Pour la plupart des utilisateurs, c’est une amélioration de la qualité. Sinon, ils ne paieraient pas plus cher en moyenne pour des ordinateurs plus puissants.

Dans notre exemple, l’augmentation pure et simple du prix entre l’ancien et le nouveau modèle est de 20 %. Mais on paie 20 % de plus pour un meilleur produit, donc le taux de renchérissement réel est plus faible. Les statisticiens se demandent maintenant quelle est la valeur d’une augmentation de la puissance de calcul de 3 GHz à 3,5 GHz. Ils estiment la valeur monétaire moyenne de cette amélioration sur une gamme de produits similaires tels que d’autres ordinateurs, des ordinateurs portables, des tablettes, etc. Ils estiment de combien les ordinateurs sont en moyenne plus chers lorsqu’ils ont 0,5 GHz de puissance de calcul en plus. Peut-être parviendront-ils à la conclusion que la valeur monétaire moyenne est de 80 euros. Dans ce cas, ce n’est plus le prix en magasin du nouveau modèle – 600 euros – qui sera comptabilisé dans les statistiques, mais le prix ajusté de 520 euros. On obtient ainsi un taux d’inflation de 4 % seulement, au lieu de 20 %.

On le voit, une approche formelle comme l’analyse de régression ne garantit pas l’objectivité. Mais même en supposant que la valeur monétaire des changements de qualité soit correctement évaluée, cette approche reste problématique pour au moins deux raisons pratiques.

 

La double mesure de l’effet-qualité sous-estime la hausse des prix

D’une part, les produits de haute qualité ont déjà un effet de baisse des prix indépendant de l’ajustement explicite de la qualité.

Lorsqu’un nouveau produit de haute qualité arrive sur le marché, il fait généralement baisser les prix des produits concurrents de moindre qualité qui sont également inclus dans l’indice. Lorsqu’Apple a lancé l’iPhone en 2007, une part importante de la demande du marché s’est déplacée des téléphones portables et des appareils photo numériques traditionnels vers l’iPhone. Les entreprises concurrentes n’ont pu assurer la vente de leurs produits qu’en baissant considérablement leurs prix.

Ainsi, les innovations de produits poussent déjà l’indice d’inflation vers le bas via le comportement de substitution des consommateurs, sans que l’on adapte explicitement les prix. Si l’on baisse en plus le prix en magasin observé, on risque de dépasser l’objectif et de sous-estimer l’inflation des prix.

 

Amélioration ou dégradation de la qualité ? Deux poids, deux mesures

D’autre part, il existe une distorsion dans la perception des changements de qualité.

Si Apple lance un MacBook plus rapide, ou un iPhone avec un meilleur appareil photo, le monde entier en est informé. Une amélioration de la qualité est activement communiquée par le fabricant. De plus, elles sont très souvent mesurables quantitativement – en gigahertz ou en pixels – et peuvent donc être prises en compte assez facilement dans une analyse de régression.

Mais bien sûr, de nombreux produits présentent aussi des dégradations de la qualité. Celles-ci sont toutefois dissimulées par les fabricants. Aucun producteur n’a intérêt à informer ses acheteurs potentiels que des matières plastiques de moindre qualité sont utilisées pour le boîtier ou le câblage du nouveau modèle d’ordinateur. Si l’ordinateur ne fonctionne alors sans problème que pendant deux années au lieu de cinq, cela n’est pas pris en compte dans les statistiques. Les prix ne sont pas revus à la hausse en conséquence.

Les améliorations de la qualité qui, avec l’ajustement explicite des prix, conduisent à un taux d’inflation déclaré plus bas, sont donc davantage prises en compte que les dégradations de la qualité qui conduiraient à des taux d’inflation officiels plus élevés. Il est donc probable que les ajustements explicites de la qualité, de plus en plus répandus, créent un biais qui conduit à une sous-estimation de l’inflation des prix.

 

Pourquoi ne pas informer le consommateur ?

S’il y a déjà eu un biais vers le haut dans la mesure de l’inflation, comme la commission Boskin a cru le découvrir, il pourrait maintenant s’être transformé en un biais vers le bas.

Bien entendu, cette question ne pourra jamais être résolue de manière définitive.

Mais il serait certainement instructif de savoir quelle est l’influence globale des ajustements de qualité explicites. Malheureusement, il n’existe aucune information à ce sujet, car les autorités ne fournissent pas les données nécessaires. Même les offices statistiques compétents déclarent ne pas pouvoir calculer l’effet global des ajustements de la qualité, car ils ne disposent pas non plus des données nécessaires. Seuls les prix après ajustement de la qualité sont accessibles au public, mais pas les données brutes utilisées.

La mesure officielle de l’inflation n’est manifestement pas soucieuse de transparence.

On gagnerait beaucoup à mettre à la disposition du public et de la communauté des chercheurs aussi bien les données brutes observées que les données ajustées à la qualité, avec toutes les pondérations qui évoluent au fil du temps. Si les données sur les prix collectées sont utilisées consciencieusement pour mesurer l’inflation – ce que nous supposons tous -, elles existent quelque part sous une forme traitée.

À l’heure de la numérisation et du big data, la publication des données ne devrait pas poser de problème insurmontable.

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  • Bof. C’est un moyen de vendre très cher des fonctionnalités nouvelles dont personne n’a l’utilité, et de présenter ça comme une amélioration du niveau de vie. Votre nouveau smartphone fait des photos avec une définition double de l’ancien, et seulement 40€ de plus. La clé USB pour les stocker sur votre ordinateur a le double de capacité et coûte seulement 10€ de plus. La fibre pour pouvoir les envoyer à votre copain sans attendre les 30 minutes de l’ADSL, c’est juste 9.99€ par mois de plus. Tout ça pour un selfie où on verra mieux que vous avez un bouton sur le nez…

  • L’inflation réelle est celle qui se porte sur les produits du quotidien : alimentation, énergie, logement (incluant le loyer, les réparations courantes comme l’heure de réparation du plombier par exemple, les charges…). Le reste n’est qu’un artifice pour en faire baisser la valeur.
    Qui achète un I-phone, une télé, une voiture tous les jours ? Personne.
    Les dépenses uniques ou exceptionnelles (voyage, achat de voiture, de maison, etc) n’ont pas lieu d’être comptabilisées dans un indice de dépenses courantes. Ces dépenses unique ou exceptionnelles doivent avoir leur propre indice.
    La minoration dans l’indice de leur valeur pour cause d’amélioration du produit ne devrait pas être prise en compte. Soit on rachète le même produit parce que celui qu’on possède est en panne, soit on rachète un produit plus performant pour se faire plaisir. Les dépenses plaisir n’ont pas à être présentes dans l’indice général car elle ne correspondent pas à un besoin.
    Si on est obligé d’acheter un produit plus performant parce qu’il n’existe plus de produit équivalent à celui qu’on doit changer (ex voiture), alors le total du Delta coût doit entrer dans l’indice concerné.
    Tous ces « petits calculs » mesquins sont le fruit de nos édiles qui cherchent le moyen de minimiser notre baisse de niveau de vie.

  • hmmm…
    Mais cette méthode souffre de défauts qui conduisent à sous-estimer l’inflation réelle.

    ce genre de phrase me plonge dans la perplexité.
    si il ya UNE façon de mesure l’inflation… eh bien..

    L’inflation est un concept flou dont le vague est utilisé par qui cherche à l’instrumenaliser. typiquement les « producteurs » de monnaies.

    une des prétendues mission de la BCE est de maintenir des prix stables.. ce qui laisse songeur..

    le vrai débat doit porter s r LA monnaie et son instrumentalisation.. pas l’inflation..

  • La plupart des biens dont la qualité ou les performances augmentent significativement ou rapidement (informatique, téléphonie, tv, petit ou gros électroménager…) coûtent moins cher aujourd’hui qu’hier. Au pire : conservation du prix en euros courants, donc baisse en euros constants.
    A l’inverse, sur l’alimentaire, il y a inflation sans gain de qualité.
    Autre manière d’aborder le problème. Le nombre d’heures nécessaires pour se payer tel ou tel produit. Constat sans appel. Depuis les années 70, tout a baissé. Sauf l’immobilier à Paris.
    Bref. L’inflation corrigée de la qualité ? Autant discuter du sexe des anges.

  • Ce que l’auteur oublie de dire c’est qu’un ordinateur à 500 € aujourd’hui est valorisé à 50 € année 2000; mais allez chercher un ordi à 50 euros dans un magasin … La qualité n’est pas une valeur intangible, l’exigence aussi évolue, souvent forcée, pour reprendre l’exemple de l’ordinateur, prenez un engin avec 50 Mo de Ram et chargez la page contrepoints.org, vous comprendrez. L’inflation historique, c’est à dire purement monétaire, s’analyse non sur les produits de consommation, qui du reste ne sont pas pérennes, mais sur les terres, les actifs, les dots, dont les prix figurent sur les actes anciens manuscrits. Le prix du magnétophone à cassettes a baissé pendant sa période d’existence, il n’existant pas avant, il n’existe plus, pourtant sa baisse impacte l’inflation entre les périodes. Curieux, non ?

  • Comme souvent je partage votre avis cher Karl-Friedrich Israel mais cette fois pas totalement je l’avoue .
    Vous avez raison de dire qu’il est mal tenu compte des ajustements qualité dans le calcul de l’inflation mais à vrai dire il me paraît acceptable de soutenir que la grande majorité des consommateurs est étanche à la finesse de cette distinction . Ainsi donc il ma paraîtrait préférable de définir , pour l’ensemble des organismes français comme étrangers , une méthode de mesure qui rendrait les données comparables d’un pays à l’autre et mesurer ainsi l’impact d’une politique économique au regard d’une autre .
    Par ailleurs je voudrais souligner le silence observé par chaque organisme de mesure , comme chaque gouvernement , sur les effets complets de l’inflation sur le pouvoir d’achat.
    Le consommateur de base entend dire que l’inflation affecte les produits alimentaires à hauteur de 16% mais que tout va bien puisque l’inflation régresse à 4.8 % en Aout . Le consommateur en déduit que tout va mieux mais ne mesure pas le temps qui sera nécessaire à la reconstitution du pouvoir d’achat perdu car c’est cela qui lui est dissimulé . L’inflation a des effets lourds sur le pouvoir d’achat des ménages auxquels on cache assurément le temps qui sera nécessaire pour en éliminer les effets c’est pourtant bien ce qui interesse le plus les consommateurs .
    Une fois de plus l’opacité des chiffres gouvernementaux joue allègrement de la crédulité des consommateurs qui ne sont pas tous experts en economie .
    Merci Karl-Friedrich Israel pour vos articles .

  • Les commentaires sont fermés.

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