Le voisinage oriental de l’UE est-il prêt pour l’élargissement ?

Les tensions et conflits continus aux frontières de l’UE soulèvent des questions. L’Ukraine, les Balkans et la Moldavie cherchent tous à se rapprocher de l’UE, mais à quel coût pour la cohésion européenne?

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Le voisinage oriental de l’UE est-il prêt pour l’élargissement ?

Publié le 12 août 2023
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La guerre en Ukraine a ravivé l’intérêt pour le voisinage de l’Union européenne, car il semble même que l’on envisage sérieusement de permettre à l’Ukraine d’entrer dans l’Union européenne. Auparavant, il s’agissait d’une pure fiction.

Dans un long article sur les chances d’adhésion de l’Ukraine, le Financial Times rapporte :

« Fin juin, au cours d’un petit-déjeuner à l’hôtel Amigo cinq étoiles de Bruxelles, les dirigeants les plus puissants de l’Union européenne ont entamé des discussions sérieuses sur la manière de faire entrer l’Ukraine dans le club ».

Il s’agissait des chefs de gouvernement des dix plus grands États de l’Union européenne en termes de population, dont la France, l’Allemagne, la Pologne et la Roumanie.

Selon le journal, « la réunion a mis en évidence une chose : elle a confirmé qu’une idée qui aurait pu sembler absurde il y a encore 18 mois est désormais prise au sérieux ».

Évidemment, « de nombreux fonctionnaires et diplomates des États membres s’interrogent en privé sur la possibilité que cela se produise réellement ». Outre la guerre en cours, il y a le fait que l’Ukraine serait le cinquième plus grand membre de l’Union européenne, et de loin le plus pauvre, sans parler de la corruption endémique.

Le journal explique que l’on pourrait régler ce problème en supprimant les droits de veto, mais il est évident que cela ne tient pas compte des réalités diplomatiques et politiques. Ce n’est pas comme si les payeurs nets de l’Union européenne se laissaient volontiers mettre en minorité par les bénéficiaires nets.

En outre, la mise en minorité des démocraties européennes sur des questions sensibles, telles que l’immigration, a déjà alimenté de profondes tensions. Il est tout à fait étrange que les partisans d’une fédéralisation toujours plus poussée de l’Union européenne ne semblent pas comprendre que cela sape le projet même qu’ils veulent renforcer.

 

Les Balkans occidentaux

Outre l’Ukraine, il y a les « six Balkans » : Serbie, Monténégro, Macédoine du Nord, Bosnie-Herzégovine, Albanie et Kosovo.

Les questions en jeu avec l’Ukraine paraissent beaucoup plus réalisables ici. Malheureusement, les pays concernés, dont certains ont obtenu le statut officiel de candidat à l’Union européenne, n’ont pas fait beaucoup de progrès en ce qui concerne le respect des critères d’adhésion à l’Union.

La Serbie est bien sûr le pays le plus en vue des six. Il y a deux mois, des manifestations de grande ampleur ont eu lieu contre son gouvernement, déclenchées par deux fusillades de masse au début du mois de mai. Les manifestants ont accusé le gouvernement d’alimenter une culture de la violence, ainsi qu’une atmosphère de désespoir et de division.

Les manifestants ont accordé une attention particulière aux médias serbes, qu’ils considèrent comme étant contrôlés par le gouvernement. Ils ont donc exigé la démission de tous les membres de l’agence de régulation des médias audiovisuels, qu’ils considèrent comme complices de la promotion de la violence, y compris à l’encontre des dissidents politiques.

Dans son évaluation de la Serbie, Reporters sans frontières (RSF) note que « les journalistes font régulièrement l’objet d’attaques politiques instiguées par des membres de l’élite dirigeante et amplifiées par certaines chaînes de télévision nationales ».

RSF précise :

« Alors que la Serbie dispose d’une des législations les plus avancées en matière de médias, avec une Constitution qui garantit la liberté d’expression, les journalistes travaillent souvent dans un environnement restrictif, y compris une censure auto-imposée. Les réglementations prescrivant la manière dont les procureurs et la police doivent réagir lorsque des journalistes sont attaqués ont donné des résultats positifs dans certains cas. Toutefois, le pouvoir judiciaire, qui traite de nombreuses questions liées aux médias, y compris les poursuites stratégiques contre la participation publique (SLAPP), doit encore prouver son indépendance et son efficacité dans la protection de la liberté de la presse ».

À cela s’ajoutent les tensions entre le Kosovo et la Serbie, qui se sont ravivées récemment à la suite d’élections municipales qui, selon le Kosovo, se sont déroulées conformément à la lettre de la loi, mais ont été boycottées par une grande partie de la minorité serbe vivant dans le nord du Kosovo. En conséquence, le taux de participation n’a été que de moins de 4 %. L’approche adoptée par le Kosovo pour installer les maires nouvellement élus a été vivement critiquée par l’Union européenne, qui a même imposé des sanctions au Kosovo.

Cela montre à quel point la région reste instable. L’expert des Balkans Gerald Knaus prévient même : « aujourd’hui, la Serbie et le Kosovo sont au bord de la catastrophe ».

Et nous n’avons même pas mentionné la situation en Bosnie, où de hauts responsables serbes bosniaques ont récemment été soumis à des sanctions américaines pour avoir sapé l’accord de paix de 1995. Heureusement, l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Monténégro semblent être sur une voie beaucoup plus durable.

 

La Moldavie

Enfin, il y a la Moldavie, coincée entre la Roumanie et l’Ukraine, dont une partie du territoire est occupée par la Russie.

Malgré les nombreux défis auxquels le pays est confronté avant de pouvoir rejoindre l’Union européenne, il s’est vu accorder le statut de candidat à l’Union européenne en juin 2022.

Selon Victor Chirila, ambassadeur de Moldavie en Roumanie, la réforme de la justice sera l’un des chapitres les plus difficiles des négociations d’adhésion avec l’Union européenne, étant donné la forte résistance au sein du système.

Ici aussi, la situation des médias est très préoccupante. Une fois de plus, Reporters sans frontières a averti que « les principaux médias, tels que TV6, NTV Moldova et Prime TV, sont entre les mains des dirigeants politiques », soulignant en outre que les licences de six chaînes de télévision considérées comme pro-russes ont été suspendues depuis décembre 2022.

En réponse, la campagne « Stop Media Ban » a été lancée, et certains des journalistes victimes de l’interdiction se sont même rendus de Moldavie au Parlement européen pour protester et demander que leur cause soit prise en compte.

L’initiateur de la campagne, Alexei Lungu, détaille la situation problématique des médias dans le pays dans une lettre adressée aux députés européens :

« Stop Media Ban est une association de journalistes et de membres des médias créée à la suite de l’interdiction générale des médias sur six chaînes de télévision en Moldavie. Le 16 décembre 2022, la Commission pour les situations exceptionnelles a rappelé nos licences de diffusion en continu, accusant nos chaînes de diffuser de la propagande russe et de ne pas présenter « suffisamment » la guerre en Ukraine.

En réalité, nos chaînes ont été interdites parce que nous nous exprimons lorsque notre gouvernement est dans l’erreur. Nous ne restons pas silencieux lorsque l’opposition prend des mesures pour améliorer la vie de la communauté. Comme l’exige le code de la profession de journaliste, nous présentons toujours toutes les facettes de l’histoire, mais il arrive que nos dirigeants élus refusent de parler à la presse qu’ils considèrent comme « d’opposition ».

Fondamentalement, selon le groupe, le problème est que « alors que notre gouvernement revendique l’engagement de la Moldavie envers les valeurs européennes et l’avenir de l’Europe, il ne respecte pas les valeurs fondamentales de la liberté de la presse et de l’Etat de droit dans le pays. […] En février 2023, un sondage auprès de la population moldave, Baromètre sociopolitique, a montré que 68 % des personnes interrogées pensent que la décision de la Commission pour les situations exceptionnelles de suspendre les licences des six stations de télévision est un abus de la part du pouvoir actuel. »

Le contexte général est celui d’une lutte de pouvoir permanente dans le pays entre les forces russes et occidentales, dont les médias libres sont l’une des victimes. La présidente du pays, Maia Sandu, soutient l’adhésion à l’Union européenne, mais le mois dernier, la politicienne pro-russe Evghenia Guțul a réussi à devenir la nouvelle gouverneure ou « başkan » de la région moldave autonome de Gagaouzie, ce qui indique que rien n’est donné.

En février, la présidente Sandu a déclaré que l’Ukraine lui avait remis un document décrivant les « plans russes visant à déstabiliser et à renverser le pays », prétendument en créant un mécontentement par le biais de campagnes de désinformation et en déclenchant une crise nationale par une série d’attaques terroristes. Même s’il est vrai, ce document pourrait bien être utilisé pour restreindre davantage la liberté de la presse dans un pays où la situation des médias est déjà problématique.

Tout cela montre qu’en dépit du scepticisme de nombreux électeurs européens, le voisinage oriental de l’Union européenne a encore beaucoup de progrès à faire avant qu’un nouvel élargissement n’ait une chance de se produire.

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  • Ce qui nous manque, c’est une vision politique de notre avenir, aussi bien en France qu’en Europe : la gestion de technocraties gestionnaires à vue est désolante, inutilement coûteuse et souvent dangereuse (voir l’accroissement insensé et simultané de nos prélèvements et de la dette pour financer des chèques électoraux). Alors pourquoi étendre une Europe qui ne vise qu’à accroître sa domination institutionnelle au profit de fonctionnaires dorés sans apporter autre chose qu’une zone de libre échange ouverte à tous vents et de plus en plus vulnérable ? Encore un référendum en vue qui sera dénié comme on l’a déjà vécu ?

    • L élargissement de l UE vers l est est inexorable. Les populistes freinent des 4 fers en faisant pression sur politiques apeurés qui ne font rien
      Le manque de courage des populations européennes font que les promesses dans les balkans ont vingt ans
      De petits pays comme la macédoine l Albanie et le Monténégro peuvent de suite intégrés l UE puis préparer un calendrier très précis pour les autres sur 10 ans
      Nous devons donner une perspective claire à tous ces pays qui sinon continueront un jeu malsain avec les russes
      Voilà une vision politique ambitieuse européenne
      Évitons ce populisme de replis sur soi qui souvent se termine très mal pour les peuples qui s y adonnent

  • Il me semblait avoir lu dans le traité de Lisbonne que désormais, toute nouvelle adhésion à l’UE serait soumise à référendum. Sans doute ai-je rêvé puisque l’adhésion de l’Ukraine est quasi enclenchée, comme celle de la Turquie et je ne me souviens pas avoir voté pour. Remarquons, comme l’écrit Roven que si le référendum ne donne pas la bonne réponse, on passe outre, alors? C’est donc un système particulièrement opaque qui a été mis en place dans lequel le peuple n’a rien à dire. L’Europe est devenu ainsi un glacis, une marche, entre les USA et la Russie « à l’insu de notre plein gré »!

  • Tous les empires meurent d’une trop grade extension qui réduit continument la cohérence par trop de divergences. Il est déjà visible que l’Europe est sur ce chemin et il faut cesser ce phantasme d’un peuple européen couvrant tout le continent. Il faut au contraire fragmenter l’Europe autour de ces noyaux traditionnels: ensemble greco-romain, empire habsbourgeois, ligue hanséatique, … et puis créer une zone de libre échange entre ces constructions politiques

  • Les Européens feront ce que les Américains leur ordonneront de faire.

    • C’est fini, ils ne le feront plus, parce qu’ils n’en auront plus les moyens. Accueillir de nouveaux pays signifie les abreuver d’aides et garantir leurs frasques avec une caution, or elle ne représentera plus rien. Les révisions des notes des agences de notation des 2 ou 3 ans à venir vont menacer et frapper les piliers de l’UE. Il ne servira plus à rien aux USA de soutenir l’élargissement pour mieux affaiblir l’économie européenne, le but est en passe d’être atteint, et il ne servira à rien non plus aux nouveaux pays de rejoindre une UE en pleine déconfiture, surtout à un moment où la Russie deviendra attractive.

      • Actuellement les pays de l est espèrent ardemment à rejoindre l UE qui a les .moyens de les accompagner car ils ont seulement qq millions d habitants hormis l Ukraine
        Vous êtes un digne représentant de ce populiste égocentrique qui donne comme seul horizon le repli sur soi
        Et vous vous dites libéral !!!!!

        -2
        • L’attaque personnelle montre l’inanité de votre raisonnement et votre absence d’arguments réels. L’UE n’a pas les moyens. Il suffit de regarder les chiffres de la croissance projetée pour les années qui viennent, notamment en Allemagne qui est censée en être le moteur. L’argent des autres est en train de s’épuiser à vitesse grand V. Si vous voulez aider les Kosovars ou les Moldaves, montez une fondation avec votre propre argent plutôt que de faire nommer plus de fonctionnaires bruxellois payés avec le nôtre.

          • Ou sont donc vos fameux arguments ????
            Seulement une opinion partisane du moindre effort, du repli sur soi hexagonal et de la peur de l avenir
            Quelle magnifique perspective pour un libéral
            Quel enthousiasme !!!!

            -2
        • Non, l’UE n’a pas les moyens. Les grands pays sont très endettés. Tout ce qu’elle sait faire, c’est faire fonctionner la planche à billet pour éviter de devoir demander son avis au peuple.

  • C’est l’Europe lasagne qui convient avant tout à son personnel politique. Le principe en est simple: on en rajoute chaque fois une couche et on dilue au passage les pouvoirs et les responsabilités (comme celles qui ont trait à votre facture d’électricité, par exemple) . Chaque citoyen de l’UE est donc super représenté: il dispose de deux ministres des affaires étrangères, de trois présidents (Manu, Charlie et Ursula dans le cas des français), d’une fine équipe bien soudée de 27 commissaires et d’une floppée de parlementaires avec bien sûr tous les zombies attachés à ce beau monde pour le conseiller. Le même citoyen se trouve évidemment aussi redevable d’une dette à la fois au niveau national et au niveau européen. Nos amis suisses et anglais depuis peu, appartiennent décidément à la catégorie des pingres et des méchants populistes pour se refuser de tels avantages.

  • Trop d’ Europe a non seulement déjà tué l’Europe mais aussi l’indépendance , la souveraineté, la liberté des pays membres. C’et une grosse usine à gaz : nous sommes allés trop loi en nombre et en compétences. Le grand bénéficiaire est l’ Allemagne qui est le maître de l’Europe. A 6 ( même avec l’Allemagne), l’entente était plus facile d’autant plus que l’Europe avait moins de compétences. Oui à des ententes européennes nombreuses mais limitées en compétences, et une ferme attitude vis à vis de l’Allemagne

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