Le projet de monnaie des BRICS s’accélère

Les BRICS donnent un coup de pied dans la fourmilière financière internationale en proposant une nouvelle monnaie adossée à l’or pour remplacer le dollar américain. Cette manœuvre audacieuse pourrait modifier le statu quo, en particulier si d’autres pays à la marge de l’économie occidentale décident de se joindre à eux.

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Le projet de monnaie des BRICS s’accélère

Publié le 20 juillet 2023
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Par Thorsten Polleit.

 

Le vendredi 7 juillet 2023, les médias financiers ont annoncé que les BRICS (c’est-à-dire le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) allaient mettre en œuvre leur projet de création d’une nouvelle monnaie internationale pour les échanges et les transactions financières, et que cette nouvelle monnaie serait adossée à l’or.

Plus récemment, le 2 juin 2023, les ministres des Affaires étrangères des BRICS – ainsi que des représentants de plus de douze pays – se sont réunis au Cap, en Afrique du Sud (ce qui est intéressant, au Cap de Bonne Espérance). Il a notamment été souligné qu’ils souhaitaient créer une monnaie d’échange internationale. Il s’agit sans aucun doute d’une entreprise dont les conséquences pourraient être considérables.

Après tout, les BRICS représentent environ 3,2 milliards de personnes, soit environ 40 % de la population mondiale, avec une production économique combinée presque aussi importante que l’économie des États-Unis d’Amérique. De nombreux autres pays (tels que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Iran, l’Algérie, l’Argentine et le Kazakhstan) pourraient vouloir rejoindre le club des BRICS.

L’objectif des BRICS est de réduire leur dépendance économique et politique à l’égard du dollar américain, en remettant en cause « l’impérialisme du dollar américain ». À cette fin, ils veulent créer une nouvelle monnaie internationale pour les transactions commerciales et financières, qui remplacerait le dollar américain en tant qu’unité de transaction.

La raison en est évidente. L’administration américaine a utilisé à maintes reprises le billet vert comme une « arme géopolitique » et s’est engagée dans une sorte de « guerre financière » : Washington sanctionne les pays ennemis en leur refusant l’accès au marché des capitaux en dollars, mais surtout en les excluant du système de paiement international centré sur le dollar.

Le gel des réserves de devises de la Russie (l’équivalent de près de six cents milliards de dollars américains est actuellement en jeu) a déclenché une sonnette d’alarme dans de nombreux pays non occidentaux. Il a rappelé à un certain nombre d’entre eux que la détention de dollars américains s’accompagne d’un risque politique. Cela a incité beaucoup d’entre eux à restructurer leurs réserves de change internationales : détenir moins de dollars américains, passer à d’autres monnaies (plus petites), mais surtout acheter davantage d’or.

Mais comment les BRICS pourraient-ils s’éloigner du dollar américain ? Bien qu’aucun détail ne soit encore disponible sur la manière dont la nouvelle monnaie des BRICS pourrait être structurée, cela ne devrait pas nous empêcher de spéculer sur ce qui nous attend.

Les BRICS pourraient créer une nouvelle banque (la « banque des BRICS »), financée par les dépôts d’or de leurs banques centrales. Les avoirs en or physiquement déposés figureraient à l’actif du bilan de la banque des BRICS et pourraient être libellés, par exemple, en « or des BRICS », un or représentant un gramme d’or physique.

La banque des BRICS peut alors accorder des prêts libellés en or des BRICS (par exemple, aux exportateurs des pays des BRICS et/ou aux importateurs de biens de l’étranger). Pour financer les prêts, la banque BRICS conclut un contrat de crédit avec les détenteurs d’or BRICS : les détenteurs d’or des BRICS acceptent de transférer leur dépôt à la Banque des BRICS pour, par exemple, un mois, un an ou deux ans, en échange d’un taux d’intérêt. En outre, la banque des BRICS peut également accepter d’autres dépôts d’or de la part d’investisseurs internationaux, qui peuvent ainsi détenir des dépôts d’or des BRICS (portant intérêt).

L’or des BRICS pourrait désormais être utilisé par les pays des BRICS et leurs partenaires commerciaux comme monnaie internationale, comme unité de compte internationale dans les transactions commerciales et financières mondiales. D’ailleurs, la nouvelle monnaie-or de facto n’aurait même pas besoin d’être physiquement frappée, mais pourrait être et rester une unité uniquement comptable, tout en étant remboursable sur demande.

Les exportateurs des BRICS et des autres pays membres devraient toutefois être disposés à vendre leurs marchandises contre de l’or BRICS au lieu de dollars américains et d’autres monnaies fiduciaires occidentales, et les importateurs des pays occidentaux devraient être disposés et capables de payer leurs factures en or BRICS.

Comment obtenir de l’or des BRICS ? Les personnes qui demandent de l’or BRICS doivent, soit obtenir un prêt d’or BRICS auprès de la Banque BRICS, soit acheter de l’or sur le marché et le déposer auprès de la Banque BRICS ou d’un dépositaire désigné, et le dépôt d’or est alors crédité sur son compte sous la forme d’or BRICS.

Par exemple, dans les opérations de paiement, les dépôts d’or BRICS de l’importateur de marchandises (détenus, par exemple, auprès de la Banque BRICS) sont crédités sur le compte de l’exportateur de marchandises (également détenus auprès de la Banque BRICS ou d’une banque correspondante ou d’un dépositaire d’or).

Cependant, la transition, l’utilisation de l’or des BRICS comme monnaie de transaction et de commerce international, aurait très probablement des conséquences considérables :

(1) Elle conduirait vraisemblablement à une (forte) augmentation de la demande d’or par rapport aux niveaux actuels, avec une augmentation (substantielle) non seulement des prix de l’or mesurés en dollars américains, en euros, etc. mais aussi dans les monnaies des BRICS.

(2) Une telle augmentation du prix de l’or dévaluerait le pouvoir d’achat des monnaies officielles – non seulement le dollar américain mais aussi les monnaies des BRICS – par rapport au métal jaune. De même, les prix des biens exprimés dans les monnaies fiduciaires officielles monteraient probablement en flèche, dévalorisant le pouvoir d’achat de toutes les monnaies fiduciaires existantes.

(3) Les pays BRICS accumuleraient des réserves d’or dans la mesure où ils ont, ou auront, des excédents commerciaux. Ils seraient vraisemblablement les gagnants du « changement de monnaie », tandis que les pays présentant des déficits commerciaux (en premier lieu les États-Unis) seraient les perdants.

 

Avoirs officiels en or des BRICS, en milliards de dollars US, T1 2023

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Source : Refinitiv : Refinitiv ; calculs propres. Les réserves d’or des BRICS s’élevaient à 5 452,7 tonnes au premier trimestre 2023 (valeur de marché actuelle d’environ 350 milliards de dollars US).

Ces quelques considérations montrent déjà à quel point le thème de la « création d’une nouvelle monnaie commerciale internationale soutenue par l’or » pourrait être perturbant : les BRICS pourraient bien déclencher des changements semblables à des glissements de terrain dans la structure économique et financière mondiale. Quoi qu’il en soit, il sera intéressant de voir comment les pays BRICS entendent procéder lors de leur réunion du 22 au 24 août à Johannesburg, en Afrique du Sud.

 

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  • La règle d’airain de la monnaie qui mesure l’économie de son pays émetteur ou participant (Bric’s) va automatiquement reprendre ses droits et l’émancipation souhaitée ne sera pas au rendez-vous. L’administration américaine a certes été trop loin dans son arme-dollar mais elle doit y réfléchir et n’est pas prête d’abdiquer.
    Les mois à venir seront édifiant. La monnaie est d’abord un moyen de mesure qui permet l’échange ensuite elle servira de moyen de réserve.

  • De toutes façons, un pays qui n’a pas une balance commerciale équilibrée (ou une puissance militaire forte pour faire payer sa protection) n’a pas de solution miracle en manipulant sa monnaie. Quand ces pays voudront acheter une marchandise payable en dollars, il faudra bien qu’il se procurent ces dollars et donc qu’ils aient quelque chose à vendre en échange car les détenteurs de dollars (ou ceux qui peuvent créer du dollar) n’accepteront pas en paiement une monnaie suspecte. Les pays pauvres ont en effet une fâcheuse tendance à imprimer de la monnaie et à créer une inflation monstrueuse faisant dégringoler vite la valeur de leur monnaie.

    • Bonjour, Je sais pas si vous avez remarqué, mais quand vous achetez des produits, c’est très souvent marqué « made in china » ou « made in RPC » en petit en bas a droite… Et même pour les produits fabriqués localement, de plus en plus de sous ensembles viennent d’Asie.

      Si on considère en sus que les chinois commencent à maitriser la fabrication de voitures, fusée, satellites, IRM… le dollar n’est plus indispensable pour acheter quelque chose: Les brics peuvent maintenant courtcircuiter le réseau commercial américain ou européen et acheter directement sur le lieu de fabrication en monnaie locale ou dans leur propre monnaie (ce qui explique l’échec des sanctions contre la Russie).
      L’erreur majeure a été de délocaliser la production, et par conséquent le savoir faire, qui contribue à la véritable richesse d’un pays (surtout quand on n’a pas de richesses naturelles…) . Les Suisses l’ont bien compris!

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