Harry Markowitz : le vrai Mozart de la finance

Le visionnaire de l’économie et lauréat du prix Nobel, Harry Markowitz, est décédé à l’âge de 95 ans. Ses recherches révolutionnaires sur l’investissement boursier ont bouleversé le monde de la finance.

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Harry Markowitz : le vrai Mozart de la finance

Publié le 13 juillet 2023
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Selon un communiqué de l’Université de Californie à San Diego, le lauréat du prix Nobel d’économie 1990, Harry Markowitz, est décédé ce 22 juin à l’âge de 95 ans.

Le professeur Markowitz était connu pour ses recherches révolutionnaires sur les achats d’actions, qui ont changé la conception traditionnelle des investissements de portefeuille boursier.

Son article « Portfolio Selection » (sélection de portefeuille boursier), publié dans le Journal of Finance en 1952, a bouleversé la pensée conventionnelle sur l’investissement, qui à l’époque consistait simplement à choisir des actions d’un groupe de sociétés considérées comme ayant les meilleures perspectives.

 

Milton Friedman et Jacob Marschak

Le professeur Markowitz est né le 24 août 1927 à Chicago.

Au lycée, il s’est intéressé à la physique et à la philosophie. Il a ensuite suivi un programme de premier cycle de deux ans à l’Université de Chicago et a obtenu un diplôme en arts libéraux en 1947. Il y est resté pour poursuivre un master en économie, qu’il a obtenu trois ans plus tard.

Il s’engage alors dans un doctorat en économie, toujours à l’Université de Chicago, qui était déjà la première université au monde dans cette discipline.

De la poursuite de ses recherches est né un intérêt pour l’application des méthodes mathématiques aux problèmes des marchés boursiers. Ses deux directeurs de thèse, le futur prix Nobel d’économie Milton Friedman et le professeur Jacob Marschak, l’encouragent dans cette voie.

 

Modern Portfolio Theory

Connu comme le père de la théorie moderne de sélection de portefeuille (ou théorie moderne du portefeuille), le professeur Markowitz s’est inspiré des statistiques et des mathématiques de l’époque pour introduire la théorie selon laquelle le meilleur choix de portefeuille est celui qui minimise le risque pour un rendement attendu donné.

Si cette idée paraît extrêmement simple – et elle l’est ! –, il faut cependant introduire quelques concepts parfois contre-intuitifs pour la réaliser.

Le rendement est simple à définir : il suffit de considérer les plus-values et les dividendes d’une action donnée.

En revanche, il était moins facile de reconnaître que l’on peut quantifier le risque : il prend la forme de la variance (ou de l’écart-type) des cours de bourse d’une action donnée. Par définition, plus les cours d’une action varient d’une séance boursière à une autre et plus cette action est risquée.

Considérons un cas pratique : prenons, par exemple, un portefeuille composé d’actions Apple (AAPL), Amgen (AMGN) et American Express (AXP), les trois premiers composants du Dow Jones Industrial Average (DJIA).

Le professeur Markowitz cherchait le portefeuille P(x, y), composé de x% d’actions Apple, de y % d’actions Amgen et de (1-x-y) % d’actions American Express, qui minimise les variations de la valeur de P(x, y) pour un rendement donné.

Le rendement du portefeuille est simplement x fois le rendement d’AAPL plus y fois le rendement d’AMGN plus (1-x-y) fois le rendement d’AXP.

Si AAPL a un rendement moyen de 3 %, si AMGN a un rendement moyen de 6 %, et si AXP a un rendement moyen de 9 %, nous pouvons construire des portefeuilles dont le rendement moyen sera compris entre les deux extrêmes.

Le risque est plus compliqué à définir : il fait intervenir la covariance (ou la corrélation) des prix des trois actions.

Dès que le nombre d’actions augmente et dès que l’on introduit l’idée de vente à découvert, on peut construire une multitude de portefeuilles pour un rendement annuel donné. Le professeur Markowitz nous dit exactement lequel choisir.

C’est là que nait la puissance des idées du professeur Markowitz : à moins que les prix des actions des trois sociétés évoluent parfaitement de concert, il existe des proportions x et y toujours non-nulles telles qu’un portefeuille composé des trois actions a un risque plus faible que chacune des trois actions prises séparément.

En d’autres termes, à chaque niveau de rendement correspond un portefeuille – qui comprend une portion non-nulle de tous les actifs disponibles – qui « bat » tous les actifs pris séparément ainsi que tous les autres portefeuilles construits avec des répartitions aléatoires.

Ces « meilleurs » portefeuilles forment une parabole qu’on appelle la frontière efficiente ou frontière de Markowitz.

Les actifs individuels sont à l’intérieur de cette enveloppe : pour un niveau de risque donné, ils sont tous en dessous de la frontière de Markowitz.

En français, pour un actif donné ayant son propre risque, il existe une foultitude de portefeuilles qui ont le même niveau de risque, mais un rendement supérieur. L’un d’entre eux a le meilleur rendement possible – à ce niveau de risque – et il est situé sur la partie supérieure de la frontière bleue.

La théorie moderne de sélection de portefeuille nous indique comment calculer la part de chaque actif.

 

Extensions

Le professeur Markowitz a été le premier à appliquer ces méthodes aux avantages de la diversification de portefeuille, introduisant le monde à une nouvelle façon de penser et à de nouveaux types d’investissement.

Cette percée s’est maintenant diffusée dans tous les aspects de la gestion de patrimoine.

 

Le ratio de Sharpe

Le professeur William F. Sharpe a réalisé en 1966 que si, en plus du marché des actions, il existe un marché obligataire avec un actif sans risque – typiquement les bons d’État à court terme – nous pouvons combiner les portefeuilles de la frontière bleue avec cet actif sans risque, que j’ai représenté par une étoile verte.

L’actif sans risque ayant un risque égal à 0,00, il est par définition même sur l’axe des ordonnées.

Il existe un portefeuille « spécial », marqué d’une étoile bleue sur mon graphique, qu’on appelle le portefeuille tangentiel, ou portefeuille optimal, ou portefeuille de marché.

Un portefeuille de marché est un portefeuille qui se situe au point où la frontière efficiente est tangente à la droite du marché des capitaux (CML). Cette droite passe par le point de l’actif sans risque.

On peut alors investir notre argent dans n’importe quelle proportion de l’actif sans risque et du portefeuille optimal.

La pente de la droite verte s’appelle le ratio de Sharpe.

 

Capital Asset Pricing Model (CAPM)

Le professeur Sharpe a étendu cette idée et proposé le Capital Asset Pricing Model (CAPM).

Le CAPM est un modèle de calcul de prix d’un titre ou d’un portefeuille individuel. Ce modèle étend les résultats du professeur Markowitz et montre comment le marché doit évaluer les titres individuels par rapport à leur classe de risque.

Il permet de calculer le rapport rendement vs. risque pour n’importe quel titre par rapport à celui du marché global.

 

De nombreux modèles dérivés

Une autre extension relativement récente de la théorie moderne de sélection de portefeuille ajoute les coûts de transaction et les impôts à ce modèle.

Une hypothèse du modèle initial – les rendements gaussiens – ont également fait l’objet de nouveaux raffinements pour tenir compte des évènements importants mais rares comme les crises financières.

Enfin, les mathématiques du modèle ont été étendues à l’analyse intertemporelle où l’on rebalance constamment le portefeuille au fil du temps comme dans le modèle « intertemporal CAPM » (ICAPM) du professeur Robert Merton.

Même s’il existe de nombreuses critiques de la sélection de portefeuille, les théories concurrentes et plus récentes – comme par exemple le modèle d’évaluation par arbitrage (ou Arbitrage Pricing Theory) sont en fait des réactions aux travaux du professeur Markowitz, sans lequel elles ne seraient jamais nées.

Le fait notable qui émerge de ces quelques innovations – parmi tant d’autres que nous n’avons pas le temps de conter ici – est qu’elles ont souvent été couronnées par le prix Nobel, comme pour les professeurs Sharpe et Merton.

J’ai longtemps enseigné ces idées dans les années 1990 à l’Université Paris-Dauphine car elles font partie des bases : aujourd’hui, n’importe quel étudiant de second cycle en économie bancaire ou en finance apprend cette théorie, ses variantes et ses critiques.

 

Succès en affaires

Non content de ses succès académiques, le professeur Markowitz a eu une carrière professionnelle à des postes importants dans de nombreuses entreprises prestigieuses comme la RAND Corporation et International Business Machines Corp. (IBM).

Il a fondé plusieurs entreprises. Son plus grand succès est certainement CACI – une entreprise de consultants hi-tech – qu’il a fondé avec Herb Karr et qui emploie aujourd’hui 23 000 personnes qui réalisent 6,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires.

Grâce à ses fonds personnels importants, le professeur et sa femme sont devenus de généreux donateurs à l’Université de Californie à San Diego (UCSD). En particulier, ils ont donné plus de 6 millions de dollars pour le Barbara and Harry Markowitz Fellowship ainsi que sa médaille du prix Nobel qui se trouve aujourd’hui à la bibliothèque de la fac.

La mémoire du professeur Markowitz va donc perdurer, non seulement à travers ses travaux, qui ont créé une nouvelle frontière en sciences – dont le nom porte toujours l’adjectif « moderne » plus de 70 ans après la première publication ! –, mais aussi grâce aux activités charitables rendues possibles par ses succès en affaires.

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  • Avatar
    The Real Franky Bee
    13 juillet 2023 at 8 h 01 min

    S’il a eu une belle carrière académique, ses théories sont largement dépassées sur le plan scientifique. S’appuyer sur le postulat que les individus prennent des décisions parfaitement rationnelles, c’est déjà partir dans le décors dès les premières lignes. Le drame de l’économie et de la finance classique, c’est d’avoir sacrifié la réalité au profit de jolis modèles qui permetaient de croire qu’on était aussi crédibles que les physiciens, ce qui a d’ailleurs valu les sarcasmes des mêmes physiciens. Aujourd’hui, le fameux portefeuille de marché du CAPM est constitué d’une poignée d’actions technologiques américaines, que tout le monde détient en quantité, et assis sur des hypothèses de croissance totalement ubuesques. Ça finira aussi bien que l’utilisation de la loi gaussienne pour les produits dérivés et la titrisation.

  • Lorsque vous écrivez : »Cette percée s’est maintenant diffusée dans tous les aspects de la gestion de patrimoine. ». Je ne sais pas où vous avez vérifié cette affirmation.
    Ce n’est certainement pas dans les contenus pédagogiques des diplômes en GP et chez les CGP dits indépendants où auraient-ils pris des cours de finances ?

  • Les commentaires sont fermés.

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