Conservateurs et progressistes, au coude-à-coude contre Darwin

Le gouvernement conservateur indien a rayé Darwin des programmes scolaires. Pour Leonardo Orlando, cette décision entre en résonance avec le rejet des progressistes occidentaux de la théorie de l’évolution.

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Conservateurs et progressistes, au coude-à-coude contre Darwin

Publié le 13 juillet 2023
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Les écoliers et collégiens indiens n’entendront plus parler de Charles Darwin.

Le gouvernement nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi vient d’éliminer des programmes scolaires la théorie de l’évolution du naturaliste britannique. Seuls les rares lycéens qui continueront leurs études après 16 ans, et qui choisiraient une spécialisation en biologie, découvriront pour la première fois la théorie qui offre l’explication la plus solide de notre présence sur Terre et fournit le cadre unificateur de toutes les sciences de la vie.

De prime abord, ce bannissement de Darwin par un gouvernement nationaliste hindou peut sembler étrange : contrairement aux trois grands monothéismes, dans l’hindouisme, il n’y a pas un récit créateur des humains face auquel la théorie de l’évolution constituerait un problème. On pourrait s’attendre ainsi à ce qu’un gouvernement nationaliste modifie les programmes scolaires en Histoire pour exclure des contenus gênants pour son récit (ce que le Premier ministre Modi a bien sûr déjà fait), mais l’exclusion de Darwin paraît surprenante.

Pourtant, la politique religieuse de Modi s’attaque depuis plusieurs années déjà à la science en général, et à la théorie de l’évolution en particulier.

En 2018, le ministre de l’Éducation Satya Pal Singh affirma que la théorie de Darwin était « scientifiquement incorrecte ». Petit problème : comme l’explique le biologiste Jerry Coyne dans Why Evolution is True, malgré les millions d’occasions de prouver que la théorie de l’évolution est incorrecte, nous n’avons pas encore trouvé une seule instance qui viendrait la falsifier : au contraire, toute observation ou expérimentation la touchant de près ou de loin ne fait que la confirmer.

 

La théorie de l’évolution dans le viseur du progressisme occidental

Pourquoi cet acharnement contre Darwin ?

Pour mieux comprendre le bannissement de Darwin en Inde, nous pouvons tout simplement nous tourner chez nous, en Occident. Car le plus ironique dans cette histoire indienne est que la même presse progressiste européenne et anglo-saxonne qui s’est (à juste titre) scandalisée par la décision de Modi d’écarter Darwin des programmes scolaires, se livre elle-même à un exercice presque quotidien de déni de la théorie de l’évolution.

En France, par exemple, c’est Le Monde qui aborde la décision de Modi, soit le même journal qui traite des questions de genre dans une approche contraire à ce que la théorie de l’évolution nous apprend sur les différences comportementales entre les hommes et les femmes, et qui consacre même une chronique hebdomadaire aux questions sexuelles basée sur le déni de la manière dont l’évolution a façonné la sexualité masculine et féminine.

De même, au Royaume-Uni en 2018, le quotidien The Guardian se montrait horrifié des propos du ministre de l’Éducation indien quant à la réalité scientifique de la théorie de l’évolution, mais seulement quelques mois auparavant, dans ses propres colonnes, ce journal traitait de « sexiste » James Damore, l’ingénieur de Google licencié en 2017 pour avoir mentionné la part de la biologie et de l’évolution dans des choix professionnels différents des hommes et des femmes.

La presse n’est que le reflet d’un phénomène plus vaste en Occident relatif au déni de la théorie de l’évolution, lequel affecte surtout le milieu qui devrait être pourtant son plus grand défenseur : l’université.

Au printemps 2022, l’Europe offrait son propre spectacle de bannissement de Darwin : l’université Humboldt de Berlin annule la conférence qu’une biologiste allait donner sur le sexe dans une perspective évolutive ; l’université des Îles Baléares annule la présentation d’un livre sur le même sujet écrit par deux chercheurs en psychologie ; et Sciences Po Paris annule le cours sur les approches évolutives du genre que Peggy Sastre et moi-même allions enseigner.

Ces cas n’ont rien d’isolés, car ils se produisent de plus en plus aux États-Unis, au Canada ou en Amérique latine.

Ils ne sont pas nouveaux non plus : depuis les années 1970, les chercheurs ayant voulu incorporer la perspective évolutive dans l’étude du social ont été harcelés et agressés, comme l’entomologiste Edward O. Wilson, ont subi des cabales ignobles, comme l’anthropologue Napoléon Chagnon, ont reçu des menaces de mort et ont dû être mis sous protection policière, comme le biologiste Randy Thornhill et l’anthropologue Craig Palmer.

Cette situation semble être en train d’empirer : une étude conduite auprès de plus de 500 chercheurs en biologie, psychologie, et anthropologie appartenant à tous les continents conclut qu’en 2020, la résistance aux approches évolutives du comportement humain est supérieure à celle que les mêmes auteurs de l’étude ont pu constater dix ans auparavant – et cela malgré les immenses avancées scientifiques dans ces domaines pendant la même période.

 

Une convergence des luttes d’un nouveau genre

Pourquoi les conservateurs religieux en Inde et les élites progressistes en Occident convergent-ils dans leur déni de la théorie de l’évolution ?

La raison est probablement que, comme l’énonce le philosophe Daniel Dennett dans Darwin’s Dangerous Idea, la théorie de Darwin est un « acide universel » qui « ronge à peu près tous les concepts traditionnels, et laisse dans son sillage une vision du monde révolutionnée, avec la plupart des repères anciens toujours reconnaissables, mais transformés d’une manière fondamentale ».

Cette transformation est dangereuse pour tous les dogmes, parce qu’elle les anéantit.

En montrant l’unité de l’espèce humaine, la théorie de Darwin démolit les politiques ethniques de certains nationalistes, tels ceux du gouvernement indien. De même, accepter que nos comportements, nos préférences et nos pensées reflètent les mécanismes de sélection naturelle ayant agi sur nos ancêtres, abat la croyance que les êtres humains sont des pages blanches forgées purement par la socialisation, comme le prétendent de nombreux progressistes, notamment ceux qui détiennent des chaires universitaires – comme le dénoncent les biologistes Jerry Coyne et Luana Maroja.

Si dans le passé la résistance à Darwin provenait principalement des créationnistes religieux, aujourd’hui, elle est incarnée surtout par ceux qui considèrent les humains comme une exception. Comprendre les êtres humains à la lumière des principes de la théorie de l’évolution nous montre l’unité de notre espèce, aussi bien avec les autres humains qu’avec la nature dans son ensemble, et nous fait comprendre qu’il existe des forces qui nous habitent et qui dirigent, malgré nous, des questions essentielles de notre être telles que les émotions, la moralité ou encore les caractéristiques des personnes qui nous attirent sexuellement.

Les ennemis des Lumières, de droite ou de gauche, en Orient ou en Occident, combattent avec acharnement Darwin car aucune de leurs fables ne peut résister à la théorie de l’évolution : l’étudier équivaut à se libérer de la tutelle que les autorités, religieuses, morales ou politiques, veulent exercer sur les individus et sur la société.

 

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  • Je pense que déjà les progressistes pense annuler la génétique au lycée qui inscrit l’aliénation inaltérable du gène XY pour les hommes et XX pour les femmes car cette science détruit leur théorie du genre. Pourquoi cette volonté de nier la science, si ce n’est dans une prise de pouvoir sur l’être humain

  • Les « progressistes » ne sont qu’une autre forme de totalitaires s’appuyant sur une autre forme de religion. Il est donc normal qu’il y ait des convergences. J’éviterais cependant d’utiliser le mot conservateur pour désigner les obscurantistes traditionalistes. Le conservatisme n’est pas contre le progrès, il essaie seulement de ne pas rejeter systématiquement les bons acquis du passé. Le changement c’est bien mais à condition que ce soit pour un mieux ! Il est compréhensible que les « progressistes » soit contre les lois naturelles car justement ils veulent imposer leurs lois et donc souhaitent une page blanche pour cela.

    • Tout à fait d’accord avec vous : le mot conservateur n’est pas une insulte, pas plus que le progressisme est une vertu.

      • Conservateur c’en est une. Un dicton le prouve : il n’y a que les imbéc.les qui ne changent pas d’avis.
        Ha ha !

    • Quant à moi, j’évite d’utiliser le mot progressiste pour designer un gauchiste bas du front, par respect pour nos ancêtres politiques du temps des Lumières.

  • J’ai le regret de n’avoir pas lu le livre d’un certain Didier Raoult sur l’évolution et les virus, curieusement absent dans l’article
    https://www.lepoint.fr/debats/et-si-darwin-s-etait-trompe-12-12-2011-1406407_2.php

  • L’Occident progressiste contre Darwin ?
    J’ai pris peur ! Mais ouf ! C’est l’oeuvre d’un sophiste, limite gros mytho.
    Mais après tout… Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? (Paul Valéry)

  • Commentaires sur l’article concernant l’évolution darwinienne, dont l’enseignement va cesser en Inde.

    Les raisons invoquées par l’auteur seraient que l’évolution des femelles et des mâles serait contraire à la théorie du genre, selon laquelle il n’y a pas de déterminisme génétique initial du sexe ou plutôt du genre (puisqu’ils confondent genre et sexe).
    On se trompe complètement parce que Darwin a publié son livre « l’origine des espèces » vers 1860 ; la traduction en français a été faite en 1876 (j’en possède heureusement un original :traduction de la sixième édition par ED. Barbier, 1876) alors que la théorie chromosomique de l’hérédité date de 1905. A la même date, on découvrait la différence chromosomique entre femelles et mâles, d’abord chez la Drosophile (la mouche du vinaigre, outil n°1 de la génétique de l’époque) et rapidement chez les mammifères.
    Chacun sait maintenant que les mâles de mammifères sont hétérogamétique XY alors que les femelles sont homogamétiques XX. En revanche, beaucoup d’exemples de différenciation sexuelle décrits par Darwin sont tirés des oiseaux. Justement, la situation des oiseaux est inversée et ce sont les femelles qui sont hétérogamétiques ZW alors que les mâles sont ZZ (Darwin ne le savait pas).
    Darwin a expliqué la différenciation sexuelle secondaire (beauté, plumes etc.)(cfr p94 à 96) par la compétition entre mâles pour assurer la descendance, le nombre de descendants étant plus important chez les mâles doués de ces caractères ; donc l’évolution tend à généraliser les caractères sexuels secondaires attribuant un avantage aux mâles qui les possèdent. Ce système est efficace pour les mammifères comme pour les oiseaux. Il ne dépend donc pas de la nature homogamétique ou hétérogamétique des chromosomes du mâle.
    La deuxième erreur est de penser qu’il peut y avoir une sélection séparée portant sur les femelles. Même les gènes localisés sur X sont transmis de la mère une fois sur deux à un bébé mâle, et à chaque bébé femelle. On pourrait objecter que le chromosome Y suit la seule lignée mâle et pourrait donc être l’objet d’une sélection sexuelle. Il n’y a pourtant que très peu de gènes sur Y.
    En réalité, la sélection darwinienne porte sur les populations comportant les individus des deux sexes qui transmettent et échangent leurs gènes. La différenciation sexuelle ne dépend que de la relation de gènes portés par X et les gènes du reste du génome ; il s’agit donc d’un effet de doses (il y a cependant des mécanismes compensateurs de l’effet de dose !).
    Je pense donc que si la raison invoquée en Inde pour arrêter d’enseigner l’évolution darwinienne n’est pas qu’elle est contraire à la théorie du genre, mais sans doute parce qu’elle supprime la nécessité de recourir aux dogmes, de la même manière que dans nos pays, il y a maintenant environ 120 ans. Mais alors, pour rester logique, il faut arrêter aussi d’enseigner la génétique et la biologie moléculaire.

  • « … la théorie de l’évolution nous montre l’unité de notre espèce, aussi bien avec les autres humains qu’avec la nature dans son ensemble » : oui …. mais Charles Darwin (1809-1882) a exprimé sa théorie de l’évolution du vivant dans son livre « L’origine des espèces » en 1859. Or, ce n’est qu’en « 1953 qu’à eu lieu la découverte de la double hélice de la molécule d’ADN avec un alphabet à quatre lettres A,T,C,G en 1953 par James Watson et Francis Crick (ce qui leur valut le prix Nobel de Médecine en 1962) ». Ce qui veut dire que Charles Darwin n’avait aucune idée de l’existence des allèles, c »est-à-dire ces segments d’ADN (ou gènes) qui codent pour les caractères spécifiques d’un organisme. Les allèles sont des variants d’un gène. Chaque individu est génétiquement unique. Un génotype se réfère à la combinaison de gènes et d’allèles d’un individu, et l’interaction de ces gènes se manifeste dans le phénotype dont les caractères sont déterminés par l’action des facteurs du milieu au cours du développement de l’organisme ». En d’autres termes, la Nature qui a horreur de l’uniformité, de l’absence de variété qui débouche sur la « monotonie » (« unicité de ton ») a créé de la diversité chez le vivant (y compris le vivant humain) qu se traduit par des groupes spécifiques (écosystèmes) à tel ou tel milieu d’existence (de vie). Ces variétés, l’humain les appelle « espèces » dans le règne végétal, et « races » dans le règne animal auquel appartient naturellement l’humain lui même.

  • Sinon, il y a ça: https://www.amazon.fr/Dépasser-Darwin-Didier-RAOULT/dp/2259211143
    Et évidemment, on va nous dire que c’est un charlatan…
    Même Newton a été contredit.

  • Je ne vois pas le rapport avec les conservateurs… c’est pour faire comprendre aux gens que le trumpiste c’est mal ?
    L’Inde est un régime religieux… et les progressistes qui dénoncent Darwin font parti d’une secte… Il faudrait peut être plutôt chercher du côté de la religion du coup…

  • Avatar
    The Real Franky Bee
    14 juillet 2023 at 8 h 13 min

    Très bon billet. Ce problème de perte de vitesse de la science est parfaitement illustré par la gue-guerre youtubesque entre Idriss Aberkane et Thomas Durand. D’un côté l’hyperdocteur bidon et complotiste qui remettrait en cause Darwin si ça servait son petit business. De l’autre, l’auto-proclamé zététicien qui profite de sa micro-notoriété pour mettre en avant un projet idéologique woke totalement hors-sujet. Dans les deux cas, la science a bon dos. À droite, la tentation de tout contester, y compris le consensus scientifique, qui ne peut être à les croire qu’une manipulation de « l’État profond ». À gauche, la volonté de tout déconstruire par un un raisonnement intellectualiste extrême et d’imposer ainsi la dictature des idées. Un seul gagnant dans tout cela : la défiance.

  • le progressisme est un curieux concept.. car le progrès est essentiellement subjectif..

    nous sommes tous conservateur et progressiste à la fois je pense.. mais nous ne nous accordons pas sur quoi conserver et qu’est qui est progrès…

    en clair si on évite ces concrets ..il n’y pas d’article e à écrire..

    et ce n’est pas non plus être « contre » darwin ou contre la science.
    un fait existe on ne peut être que contre une opinion.. pas contre un fait.

    c’est le choix de mentir ou de refuser de regarder pour voir..

    un société entière qui ment..et qui le sait… mais qui continue par conformité et crainte de son voisin …
    quand on enclenche ce genre de machine.. elle peut vous bouffer.

  • Les commentaires sont fermés.

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