Pourquoi l’irrigation du maïs divise-t-elle en France ?

Irrigation et changement climatique : les débats autour de la culture du maïs.

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Pourquoi l’irrigation du maïs divise-t-elle en France ?

Publié le 9 mai 2023
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Une belle polémique comme on les aime…

Le 14 avril 2023, la députée France Insoumise Aurélie Trouvé a fourni le matériau pour la pige de quelques fact-checkeurs, surtout ceux ravis de l’aubaine pour écrire des choses « gentilles » sur une journaliste de talent, Mme Emmanuelle Ducros, du quotidien L’Opinion. Les contributeurs aux réseaux sociaux membres de son « fan-club » (ironie) ont vivement apprécié l’occasion d’exprimer leur Schadenfreude. Et quelques-uns ont succombé à leur propension maladive aux propos dénigrants, insultants et haineux.

La chaîne Public Sénat a retenu des propos de Mme Aurélie Trouvé :

« 25 % de l’eau consommée en France est consommée par la culture du maïs. […] On a un vrai problème de modèle agricole. On ne peut pas continuer à cultiver du maïs dans les régions trop sèches pour cela. »

Mme Emmanuelle Ducros a contesté, ce qui a donné lieu à quelques échanges acrimonieux avec Mme Aurélie Trouvé sur Twitter.

Dans la presse, il y a donc eu, notamment :

  • le 17 avril 2023, sur L’Alsace (et d’autres quotidiens régionaux), un plutôt bon « Le maïs représente-t-il 25 % de l’eau consommée en France ? »
  • le 20 avril 2023, sur France Info, « La culture du maïs utilise-t-elle 25 % de l’eau consommée en France ? », avec en chapô et résumé : « Selon « une estimation plausible », cette activité utiliserait environ 18 % de l’eau consommée dans le pays, avance un chercheur de l’Inrae. »
  • le 20 avril 2023 également, sur TF1, « Un quart de l’eau consommée en France sert-il à la culture du maïs ? »
  • le 24 avril 2023, dans Le Monde, « L’irrigation du maïs représente-t-elle un quart de l’eau douce consommée en France ? », avec en chapô : « La députée Aurélie Trouvé (LFI) a provoqué de vives réactions en affirmant que le maïs irrigué consommait 25 % de l’eau douce. Si le chiffre exact est difficile à estimer, l’ordre de grandeur est correct. »

 

La ligne générale a été de convaincre les lecteurs que le chiffre de Mme Aurélie Trouvé est bon, tout en ne l’étant pas vraiment.

Elle a peut-être trouvé ce chiffre dans un (intéressant) article du Monde du 16 septembre 2005. Alternativement, à en croire des explications fournies après coup, elle l’a articulé à la louche (l’agriculture « consomme » 57 % du total et le maïs représente la moitié de la surface irriguée, donc…).

L’ordre de grandeur est-il correct ? Des 25 % estimés aux 18 % également estimés et proposés dans des factchecking, l’écart est – n’est que de – quelque 40 %.

 

Eau « prélevée » et eau « consommée »

Il est vrai que la question n’est pas simple et que les sources de données chiffrées sont assez fluctuantes. Il y a aussi eu des confusions entre l’eau « prélevée » et l’eau « consommée ». Selon le site gouvernemental Notre Environnement :

« Les prélèvements correspondent à l’eau douce extraite de sources souterraines ou de surface, pour les besoins des activités humaines. En France, on estime qu’environ 33 milliards de m³ sont prélevés chaque année (hors hydroélectricité) dont 80 % dans les eaux de surface. Les prélèvements se répartissent entre le refroidissement des centrales électriques (51 %), les canaux de navigation (16 %), la production d’eau potable (16 %), l’agriculture (9 %) et les autres activités dont l’industrie (8 %).

D’un point de vue statistique, la consommation d’eau ou prélèvements nets correspond à la partie de l’eau prélevée et non restituée aux milieux aquatiques : il s’agit principalement de l’eau évaporée ou incorporée dans le sol, les plantes ou les produits. Elle est estimée à 4,1 milliards de m³ par an, soit 12 % des prélèvements. La part d’eau consommée est très variable selon les usages : l’agriculture est la première activité consommatrice avec 58 % du total, devant l’approvisionnement en eau potable (26 %), le refroidissement des centrales (12 %), les usages industriels et autres (4 %). Cette répartition est très variable selon les territoires. »

Mais cela reste assez rudimentaire. L’eau d’irrigation est comptée intégralement comme eau « consommée », alors qu’une partie retourne au milieu d’origine par infiltration – c’est aussi souvent le cas pour les fuites des canalisations d’adduction d’eau potable… et de notre urine.

 

Alors, 25 % ? 18 ? Et si c’était 11,5 % ?

Sur Twitter, M. Benoît Rouillé, responsable de projets à l’Institut Élevage, s’est livré à un calcul plus précis sur la base de chiffres tirés de sites gouvernementaux, notamment de l’agriculture et de l’environnement.

Déjà, la part du maïs grain et semence dans la surface totale irriguée n’est plus que de 32 % (ou 34 % selon le tableau suivant). Et M. Benoît Rouillé évite l’erreur qui consiste à imputer une quantité d’eau égale à chaque culture. Il aboutit à… 11,5 % de l’eau « consommée ».

Selon la partie « Pratiques de culture et d’élevage » du document d’Agreste:

« Les légumes, les vergers, le soja, le maïs et les pommes de terre sont les cultures qui demandent le plus d’eau. En 2020, 34 % des surfaces de maïs sont irriguées (contre 40 % en 2010), près de 40 % des superficies de pommes de terre et de soja (contre 51 % en 2010 pour le soja), la moitié des surfaces de verger et plus de 60 % des surfaces de légumes. »

 

Le maïs valorise l’eau d’irrigation

Ce débat est très largement stérile.

Tout d’abord, le maïs est la plante largement cultivée ayant besoin de la plus petite quantité d’eau pour produire un kilogramme de matière sèche. C’est aussi celle qui produit les meilleurs rendements (en moyenne quinquennale 2017-21 en France, selon FAOstat, 90,6 quintaux/hectare pour le maïs, contre 70,7 quintaux/hectare pour le blé – et 52,7 quintaux/hectare pour le sorgho dont il sera question ci-dessous).

On rétorquera sans doute que les besoins en eau du maïs s’expriment en été, quand il pleut le moins (et qu’il faut remplir les piscines… y compris celles des opposants à l’irrigation). Mais les investissements dans l’irrigation sont précisément amortis dans les meilleurs conditions… quand les plantes ont besoin d’eau !

Si l’on excepte les cultures spécialisées (légumes, fruits, vignes, pommes de terre, semences), le maïs valorise le mieux, en termes économiques, les mètres cubes d’eau apportés par l’irrigation.

Le rapport CGEDD n° 012819-01, CGAAER n° 19056 « Changement climatique, eau, agriculture, Quelles trajectoires d’ici 2050 ? » contient un intéressant tableau portant sur une région particulière du Sud-Ouest.

Il montre la supériorité du maïs par rapport au blé pour l’efficience de l’eau, ainsi que du maïs irrigué par rapport au maïs pluvial. Les 1500 m3 d’évapotranspiration qui séparent les deux modes de culture sont valorisés à 2,5 kg/m3. Ou 1 kg de grain (à 85 % de matière sèche) pour 395 litres d’eau, ou encore 1 kg de matière sèche pour 464 litres d’eau (c’est un chiffre proche de celui qu’on trouve sur une illustration ci-dessus).

 

Fabuleux maïs

Fabuleux maïs – Histoire et avenir d’une plante  est un excellent ouvrage de M. Jean-Pierre Gay, de 1984, édité par l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM).

Cette plante est effectivement fabuleuse, tant par ses caractéristiques agronomiques que par sa valorisation économique et sociale. L’alimentation humaine, cruciale dans certaines parties du monde, est un débouché limité en France, au contraire de l’alimentation animale (prélude à l’alimentation humaine). Les utilisations industrielles sont nombreuses, certaines insoupçonnées. Il est aussi utilisé pour l’énergie, mais la France n’autorise que la méthanisation des cultures intermédiaires de couverture.

La France exporte aussi quelque 45 % de son maïs grain vers les autres pays membres de l’Union européenne, largement déficitaires, générant un excédent commercial de un milliard d’euros.

Il est du reste intéressant de revenir au « La culture du maïs irrigué utilise 25 % de l’eau consommée » du journal Le Monde de septembre 2005 : « « Sans irrigation il n’y aurait pas de jambon de Bayonne, pas de poulet des Landes, pas de foie gras« , rappellent les responsables agricoles », écrivait Mme Gaëlle Dupont.

Et de conclure : « M. Sicard, qui est maire de Chenon (Charente), préconise une gestion commune entre agriculteurs, collectivités, et associations. « La création de ressources nouvelles doit être faite dans l’intérêt général », affirme-t-il. »

 

Les temps ont bien changé

Mais ces qualités sont devenues des vices rédhibitoires pour les contempteurs d’une agriculture « productiviste » et « industrielle », les rêveurs et promoteurs d’un « changement de modèle agricole », les détracteurs de l’agriculture animale, protecteurs autoproclamés des droits des animaux et autres adeptes du véganisme, et maintenant les pleureuses du changement climatique et prêcheurs de l’apocalypse hydrique.

En résumé, « On a un vrai problème de modèle agricole » selon Mme Aurélie Trouvé…

D’aucuns préconisent le remplacement du maïs par le sorgho, censé être plus vertueux, plus résistant à la sécheresse et plus adapté aux conditions annoncées par les Philippulus du changement climatique. Mais le sorgho n’est pas une plante miracle ; il a aussi besoin d’eau en été… S’il l’était, il aurait été adopté à grande échelle depuis longtemps par les agriculteurs (voir ici les explications d’un éleveur)…

 

Le maïs est un faiseur de pluie

Dans la conjoncture politique et médiatique actuelle, l’agriculteur irrigant – et surtout le maïsiculteur irrigant – apparaît comme un accapareur, un voleur d’eau.

On ne saurait nier l’existence de conflits d’usage – actuels ou en devenir (si nous n’y remédions pas) – dans certaines régions et localités. Ni l’intérêt pour les agriculteurs et la société tout entière d’une évolution vers des systèmes de culture et d’irrigation plus économes en eau.

Mais l’irrigation du maïs est devenue un totem. Irrigatio maydis delenda est !

À l’inculture des décideurs et des faiseurs d’opinion – et dans le cas de la NUPES la stratégie de conflictualisation tous azimuts – s’ajoute un problème sémantique : le maïs – ou toute autre plante cultivée – ne « consomme » (pratiquement) pas d’eau !

L’eau évapotranspirée – pour produire de la matière… sèche – finit dans des nuages, qui produisent des pluies, qui alimentent des plantes en eau, qui rejettent de l’eau dans l’atmosphère…

Et le maïs est particulièrement doué dans cet exercice.

Comme l’explique M. Laurent Denise, chercheur indépendant sur le lien entre eau, climat et biodiversité, gérer l’eau agricole, c’est gérer un cycle, pas un volume. « C’est avec des champs verts qu’on fait pleuvoir, c’est avec des champs secs qu’on fabrique des déserts. »

 

Il faut développer le stockage de l’eau et l’irrigation

Cela rejoint une des recommandations du rapport « Changement climatique, eau, agriculture – Quelles trajectoires d’ici 2050 ? » :

« D’une façon générale, la mission considère que la réponse au changement climatique nécessite un changement de modèle agricole, plus économe en eau et protecteur des sols et, partout où cela est possible, la mission est favorable au renforcement de la ressource en eau pour l’irrigation, dans le respect du renouvellement de la ressource et du bon état des milieux. »

 

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  • Merci Mr HEITZ pour cette remise à jour des vraies réalités que les forcenés idéologues écolos ne voudront même pas lire. J’ai coutume de répéter cette maxime : « Les choses n’avancent pas par la volonté des hommes, elles avancent par la force des choses ». Au train où vont les choses, notre dépendance alimentaire aux importations aura vite fait de nous ramener au temps où les citadins venaient mendier de la nourriture dans les fermes. Je crains que dans cette situation il ne fera pas bon se présenter comme écolo !

  • Tout ça, c’est du blablabla. Il faut cesser de cultiver et d’élever en France. Et quand le peuple aura vraiment faim (et froid puisqu’il ne pourra bientôt plus se loger) comme en Russie en 1915, enfin il élira un gouvernement communiste, et enfin nos écolos seront aux manettes pour rééduquer par des camps dans les campagnes à défricher à main nue ; comme l’on fait Lénine, Staline, Mao, Hochinmin, Pol Pot, Castro… Il suffit de lire l’histoire, d’appliquer la méthode et d’attendre son heure. Tous les moyens d’accès au pouvoir y ont été validés. D’ailleurs Maduro est le dernier à avoir appliqué la méthode et à avoir confirmé qu’elle marche. Même Mélenchon a été le féliciter pour ça.

  • La mode est au manque d’eau, d’ailleurs, ils vont taxer les puits.. Mais sans doute pas vider les piscines du maître de l’elysee… Comment une telle escroquerie sous notre climat Atlantique peut exister ?… Justement, il pleut, comme c’est étrange…..

  • L’UE et les élus français préfèrent gaver les grosses exploitations et l’agrobuseness de grosses subventions . Les petites structures beaucoup plus nombreuses récoltent des miettes ,le cout administratif pour remplir les dossiers les découragent largement . Quant aux pays en développement la caste dirigeante s’en moque et préfère multiplier les a aides financières aux ssociations humanitaires de la bourgeoisie qui se donne bonne conscience. Gare au réveil des populations ponctionnées de fiscalité

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