Discours de Poutine : un keynésianisme nationaliste et militaire

Une forme de keynésianisme nationaliste et militaire a été mis en avant par Poutine dans son discours à la Douma.

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Discours de Poutine : un keynésianisme nationaliste et militaire

Publié le 22 février 2023
- A +

Hier, Vladimir Poutine s’est adressé à la Douma, l’Assemblée nationale russe. Discours très attendu, il marque l’anniversaire du début de l’invasion de février 2022. Si le président russe n’annonce pas de mesures exceptionnelles concernant l’« opération spéciale » en Ukraine, ses propos sont instructifs sur la direction interne que prend la Russie.

La majorité du discours met l’accent sur le développement et le futur de la Russie à l’aune du conflit ukrainien. Si l’on retrouve l’idée de prendre ses distances avec l’Occident qui aurait profité de la Russie, c’est le modèle économique promu par Poutine qui est plus apparent que jamais. Une forme de keynésianisme nationaliste et militaire où l’État, bien que ne rejetant pas l’économie de marché en soi, intervient activement pour pousser de grands projets de développement.

Si l’interventionnisme économique de l’État est aussi monnaie courante en Occident, le modèle promu par Poutine se distingue par des valeurs nationalistes et rejetant l’Occident, tout en rapprochant le pays de la Chine.

 

Une Russie traditionnelle et militarisée

Le président russe a mis l’accent sur les valeurs de la Russie. Rejetant un Occident jugé décadent (Poutine déclare que « la pédophilie est la norme en Occident »), il prône un discours sociétal clairement réactionnaire (toujours selon Poutine, « le mariage est une union entre un homme et une femme »).

Plus importante encore est la dimension militariste qui domine les propos de l’autocrate. Même si l’action russe en Ukraine est toujours présentée comme une action antiterroriste, Poutine est conscient que la Russie est de fait dans un conflit de haute intensité. Cela l’amène à prôner un modèle économique tourné vers la guerre avec un investissement et une intervention de l’État accrus, notamment dans les secteurs visant à soutenir l’armée.

Il annonce la création d’un fonds spécial pour assurer un soutien financier aux combattants et à leur famille. Mais surtout, il appelle au renforcement du complexe militaro-industriel et à un soutien pour les travailleurs de ces industries comme par exemple des logements et des aides.

Le président a aussi axé ses propos sur la reconstruction et le développement des régions du Donbass annexées en 2022. Il a annoncé des programmes de planification d’infrastructures visant à développer le pays. Rejetant l’influence jugée délétère de l’Occident, il souhaite une économie davantage tournée vers le marché intérieur et vers le reste du monde. Poutine réaffirme que la Russie est une civilisation est qu’elle doit être considérée comme telle.

 

La guerre fortifie l’État

Ce discours est encore une preuve que la guerre tend à renforcer l’interventionnisme de l’État au détriment de l’économie de marché et de l’individu. Dans Du Pouvoir, Histoire naturelle de sa croissance, Bertrand de Jouvenel pointe la manière dont la guerre conduit au renforcement des pouvoirs du commandant et du chef au détriment des libertés sociales.

La Seconde Guerre mondiale a conforté la puissance de Staline en URSS, mais aussi, dans une moindre mesure, de l’État fédéral américain (qui s’était déjà renforcé durant la « red decade » rooseveltienne). L’émergence de ce que Eisenhower appela le complexe militaro-industriel en est une des conséquences, couplée à la guerre froide.

Dès lors, le conflit ukrainien n’a pas affaibli l’emprise de Poutine sur la Russie, mais au contraire est en train de lui donner un prétexte et une situation favorable à son renforcement.

 

Un tournant vers la Chine ?

Ce tournant vers une économie de marché contrôlée rapproche Moscou du modèle chinois d' »économie socialiste de marché ». Ce système combine l’existence d’un capitalisme avec un contrôle autoritaire de l’économie. Ce dernier se faisant au prétexte collectiviste de « l’intérêt général » du pays et de ses valeurs.

Au final, ce discours acte le tournant du régime russe vers le modèle chinois et sa prise de distance vis-à-vis de l’Occident. Reste à voir quelles seront les conséquences pour l’économie russe et pour l’économie mondiale.

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  • un ex du KGB membre du parti…

    De gaulle on a constaté que ce n’etait pas un dictateur et quand il disait la grandeur de la france…il y croyait peu ou prou… plus exactement ils s’en faisait une idée qui incluait de quitter le pouvoir pour l’achever..il avait des valeurs.. et pour beaucoup on doit remercier de nous avoir donner une constitution maislibérale..et de ne pas en avoir abusé.. ce qui me laisse dubitatif…

    j’ai idée que demain matin poutine peut tenir un discours communiste ..universaliste..avec les mains tendues à l’occident…

    -3
    • c’est vrai de macron aussi bien entendu..MAIS…macron doit recevoir l’assentiment des votants..

      • Non, Macron doit juste s’arranger pour ne pas avoir de concurrent crédible au moment des élections. Aucune différence avec la nomination à la tête du PCC, par exemple.

  • Cher Alexandre,
    Attention, il faut prendre les citations directement de la traduction anglaise du Kremlin. Concernant la pedophilie : »Look what they are doing to their own people. It is all about the destruction of the family, of cultural and national identity, perversion and abuse of children, including pedophilia, all of which are declared normal in their life. »
    Et effectivement, une rapide recherche internet vous montre que c’est bien le cas.

  • La paille et la poutre, encore une fois. Et on ne parle pas de la liberté de la presse et des merveilleux robots inventés par les Occidentaux pour laisser passer le soutien aux idées qu’il faut et lui seulement.

    • Oui. Parler de liberté de la presse en Occident en 2023 c’est se payer de mots. Les années 1930 nous parlent de la « presse d’argent » qui a été diluée en 1945, mais le capitalisme de connivence dont l’élite française s’accommode tant a su réinventer, « grâce à » ses propriétaires sur-influents, un « liberté de la presse » toute relative, car maintenant subordonnée à une liberté de penser totalement sous contrôle sociétal.

  • Je ne savais pas que soutenir le mariage entre un homme et une femme était un discours reactionnaire .
    Mariage vient de Maritus ,Maris qui veut dire Mari c’est à dire Male .

    • Par conséquent, rien n’interdit l’union, institutionnelle, de deux mâles.

      -2
    • MARITUS, A, UM (adjectif) : marié, e adj. : uni . MARITUS, I, m 1 siècle avant J.C. CICERO (Cicéron) . époux n. m : personne unie à une autre par le mariage. Ni plus ni moins. Les législations, avec les corrections apportées aux lois anciennes, des décisions de justice cassant tel ou tel contrat pour invalidité, des biographies, nombreux sont les documents qui attestent l’existence de tels couples d’hommes unis officiellement par le mariage dans tout l’Empire romain, et dans beaucoup des États qui lui ont succédé. Après l’expansion du christianisme, de telles unions homosexuelles ont pu être célébrées dans des églises, par des prêtres – et même pour des prêtres en Orient où ils peuvent se marier –, pour des empereurs byzantins, comme pour des patriarches de Constantinople.

      • Et alors ? En quoi est-il réactionnaire de ne pas faire la même interprétation que vous du mariage ? Les traditions grecques ou romaines donnaient au mariage le but de la procréation, donc les exceptions ne faisaient que confirmer la règle. 99.9% de nos ancêtres étaient-ils réactionnaires parce qu’ils croyaient fermement que deux personnes du même sexe n’avaient pas à recevoir le soutien de l’Etat et à s’unir dans l’institution du mariage ? Si oui, était-ce mal d’être « réactionnaire » ?

        • Ce n’est pas une question de qui est réactionnaire (ce qui place le débat sur un mauvais terrain : réactionnaires vs progressistes dont nous savons tous les travers) mais de rappeler que ce n’est pas si simple et que si le but du mariage chez les romains est la procréation d’un garçon afin de permettre la continuation du culte domestique, c’est-à-dire le culte des ancêtres, d’entretenir le feu sacré installé dans la niche du laraire et d’honorer les mânes (les âmes des morts de la familles) et que le mariage « homosexuel » (le mot est moderne) était reconnu chez les romains.

  • Poutine adepte de Keynes ? A la mode stalinienne alors. Le patron qui ne fait pas où on lui dit de faire étant prié d’aller faire un tour au goulag, ou à la morgue.

  • « la guerre conduit au renforcement des pouvoirs du commandant et du chef au détriment des libertés sociales » : euh , ça dépend , allez donc en parler au dernier Tsar … la guerre a été ce qui a précipité sa chute . En fait la guerre permet de maintenir un pouvoir déjà fort ; à l’inverse , elle permet de mettre à bas un régime déjà faible . Ceux qui risqueraient de tomber en cas de guerre « chaude » en Europe , ce sont nos dirigeants . On voit bien que Mélenchon , à l’instar de ses prédécesseurs opposés au régime du tsar , prône une attitude de discussion avec Poutine , nul doute qu’en cas d’intensification du conflit , il prônerait le pacifisme.

    • En effet.
      Je n’ai pas souvenir d’une guerre gagnée par celui qui l’a déclenchée.
      « La guerre est semblable au feu. Lorsqu’elle se prolonge, elle met en péril ceux qui l’ont provoquée » (Sun Tzu)

      -1
      • @abon +1 les exemples abondent : Napoléon III guerre de 70 . Après le nec + ultra est d’enfumer l’opposant pour qu’il attaque . Poutine a peut être été « victime » d’une « saddamette » et les chinois jouent sans doute à ce jeu là avec les américains

  • Toujours et partout la guerre a servi de prétexte à l’extention de l’immiscion des hommes de l’État dans l’économie, à l’extention de la restriction de la liberté, que la guerre soit contre un autre État, la drogue, le terrorisme, la pauvreté, « l’insécurité routière », un virus ou le « réchauffement climatique ». La guerre étatique pour la liberté est fable sinistre. Rien de bien nouveau. L’économie socialiste de guerre, en diminuant les capacités productives des belligérants, ne fait que la prolonger.

  • Que ce qui subsiste de l’Occident soit considéré comme « décadent » par les habitants d’autres régions (et pas seulement leurs dirigeants) ne devrait surprendre personne car il l’est. Que la classe dirigeante occidentale ait réussi à imposer l’inclusion de l’union de personnes du même sexe dans le mot « mariage » n’est qu’un symptôme mineur mais significatif de ce qui gangrène l’occident et en particulier sa pseudo « élite » autoproclamée : le déni de la réalité (ici l’idée étant que 2 personnes du même sexe puissent fonder une famille, alors que c’est une impossibilité physique sans l’intervention d’au minimum un tiers, extérieur au couple). Le principe de non agression implique une liberté absolue de l’association entre personnes volontaires, mais interdit aussi, par exemple, l’exigence de privilèges payés par les autres, la promotion de ses choix personnels avec le fruit du travail des autres, l’imposition par la force du changement de la définition d’un mot à des personnes qui refusent ce changement).
    Chaque jour qui passe voit l’extension des négations de la réalité. Les hommes de l’État, associés en cartel improbable, serait capables de « réguler le climat » pour « le bien » de tous (alors qu’ils sont incapables de « réguler » quoi que ce soit, y compris leurs propres décisions), les gens pourraient changer de sexe (alors que notre sexe est inscrit dans chacune de nos milliards de cellules), il serait possible de bénéficier des avantages de la société industrielle (salaires élevés, temps de travail réduit dont retraites), sans industrie, sans capital, sans travail et sans énergie, d’étendre la consommation « bio » à l’ensemble de la population sans se soucier de la productivité de ce mode de production, de faire la guerre sans industrie et sans énergie, de faire la guerre pour l’intégrité des frontières d’un autre État alors qu’on n’est même pas capable d’assurer l’intégrité des siennes, de prétendre diriger le monde tout en décriant sa propre histoire, ses propres valeurs et jusqu’en promouvant du pur racisme à l’égard de ses propres populations souches… Déniant la réalité, pris dans d’inextricables contradictions, pratiquant allègrement la haine de soi, ce qui reste de l’Occident est devenu la risée du monde, à juste titre.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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