Grèves : économiquement désastreuses, socialement aléatoires

Outre les conséquences économiques, le principe de la grève n’a donc d’intérêt que dans un nombre limité de cas.

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Grèves : économiquement désastreuses, socialement aléatoires

Publié le 8 février 2023
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582 milliards d’euros de dette et une inflation record. Ce sont les conséquences désormais bien connues des deux années de politiques publiques contre le Covid-19. Des conséquences qui en appellent sans doute d’autres compte tenu du mouvement de grève qui frappe aujourd’hui la France.

Alors qu’une pétition en ligne depuis début janvier frise le million de signatures et qu’Élisabeth Borne évoque des ajustements du projet sans doute destinés aux carrières longues sans toucher aux 64 ans, la manifestation du 7 février s’est inscrite à rebours des 1 à 2 millions de manifestants du 19 janvier et des 2,8 du 31 avant une nouvelle journée annoncée pour le 11 février.

Des mouvements loin d’avoir un impact négligeable sur l’économie française.

 

Les transports particulièrement touchés

À la SNCF, certains syndicats ont appelé à prolonger le mouvement mercredi, avec Intercités et TER touchés.

Outre la SNCF, la RATP est également concernée et en particulier les métros parfois fermés entièrement. Cette situation dans les transports urbains touchent également les grandes métropoles comme Lyon ou Marseille.

Dans l’aviation, près de un vol sur cinq au départ d’Orly a été annulé durant les mouvements précédents.

L’éducation est également touchée, accompagnée des habituels manifestations étudiantes et plusieurs dizaines d’établissements bloqués durant les deux premières journées.

 

Une mobilisation en baisse

Après des grèves par à-coups dans le secteur ferroviaire, la proportion de cheminots grévistes est passée de 46 à 36,5 % entre le 19 et le 31 janvier dernier.

Dans l’éducation, le taux de grévistes diminue également et passe de 38,5 à 25,9 %, lorsque les syndicats évoquaient un agent gréviste sur deux.

Dans le secteur de l’énergétie, enfin, le mouvement semble également se tarir mais de façon bien moindre que dans les autres secteurs, passant de 44 à 40 % de grévistes chez EDF, alors que la CGT continue d’appeler à la mobilisation pour les journées d’action suivantes.

Ce mardi, ces baisses semblent s’être poursuivies et malgré cette démobilisation, les grèves et blocages qui égrènent l’actualité hexagonale sont loin d’être indolores.

 

Un impact global limité

Notons tout d’abord que toutes les études, notamment menées par des cabinets privés et soutenues par l’INSEE, montrent un impact limité de ces grèves sur la croissance générale du PIB français.

En reprenant les mouvements de 1995 (plan Juppé), 2007 (réforme des régimes spéciaux), 2010 (passage de 60 à 62 ans), 2016 (réforme El Khomri), 2018 (grève perlée à la SNCF et mouvement des Gilets jaunes) et 2019 (mouvement contre la retraite à points), les études évoquent une perte de 0,1 à 0,2 % du produit intérieur brut. Ces pertes dépendent évidemment de la durée et de l’ampleur du mouvement. À titre d’exemple, le mouvement de 1995 a entraîné une perte de 0,2 % du PIB sur 22 jours de grève contre 0,1 % pour les 10 jours du mouvement de 2007.

Cependant, ces pertes sont rapidement compensées au semestre voire au trimestre qui suit grâce à un effet rebond.

À titre d’exemple, après le mouvement de blocage des raffineries en octobre dernier qui provoqua une baisse de production de près de 46 %, celle-ci a rebondi de 90 %. Un faible impact à mettre en parallèle de la démocratisation du télétravail à la faveur de la crise covid.

Deuxièmement, et contrairement à ce que l’on peut penser, également, l’impact de ces mouvements sur l’image et les investissements étrangers semble limité. Selon l’OCDE, à la suite du mouvement de 2010 contre la réforme Woerth, les investissements étrangers ont étonnamment doublé sur 1 an.

Troisièmement, on note depuis quarante ans une baisse du nombre de jours de grèves qui n’est corrélée ni avec le PIB ni avec sa croissance.

Cependant, si, au global, les grèves sont loin d’avoir un impact significatif, leur nuisance se niche dans les détails.

 

Un impact sectoriel réel

Selon l’économiste Marc Touati, une grève générale et nationale aurait un impact de deux milliards d’euros par jour ; un impact qui semble minime sur un PIB français de 3140 milliards d’euros en 2022, mais dont la compensation évoquée plus tôt n’est souvent que partielle.

Et cela est particulièrement marqué au niveau microéconomique puisque très fluctuante selon le secteur. Ainsi, si l’impact d’une grève peut représenter 20 % du PIB journalier, il peut monter jusqu’à 50 % dans le secteur commercial, qui voit sa clientèle se reporter sur le commerce en ligne.

Outre ce secteur, le tourisme, fondamental dans l’Hexagone, est particulièrement touché par ces pertes non compensées. En effet, il n’y a généralement pas d’effet rebond à la perte d’une nuitée, d’une tablée ou d’un approvisionnement.

Ces deux secteurs représentent près de un emploi sur six.

Cependant, ces pertes touchent également les secteurs dits grévistes, comme le transport. Ainsi, en 2016, Air France et la SNCF ont perdu respectivement 40 et 20 millions d’euros par jour de grève.

Alors que les commerces physiques sont sensibles à la concurrence du e-commerce, à l’époque la SNCF a vu une hausse du transfert de clientèle vers les chauffeurs Uber, alors en plein boom.

En octobre 2018, le rail comme l’aérien ont eu une baisse de 2 % de leur volume de production de transport, dont 6,5 pour le transport de voyageurs.

Air France est particulièrement sensible à la chose, puisque les 15 journées de grève qui ont frappé la cinquième compagnie aérienne mondiale par chiffre d’affaires au printemps 2018 lui ont coûté 335 millions d’euros.

À ces impacts s’ajoutent l’inconnue de l’influence conjuguée des grèves et de l’inflation, qui a été de 6 % en janvier.

C’est l’occasion de s’interroger sur les conséquences sociales de ces mouvements.

 

Des résultats incertains

S’ajoute donc la question des conséquences sociales et en particulier de l’opportunité des grèves.

S’il est reconnu qu’il existe un différentiel entre revendications satisfaites et gains de productivités, pas toujours corrélés, qu’en est-il des résultats de ces mouvements ?

Comme le notent François Dubet et Jean-François Amadieu dans La Tribune du 31 janvier dernier, si la grève de 1995 est devenue le mythe du mouvement social victorieux, aucune mobilisation des années 2010 n’a abouti. En vérité, les grèves ne sauraient être efficaces que dans des secteurs et des métiers en tension, à la manière des mouvements de cet été.

Plusieurs organisations syndicales évoquent une victoire en parlant de la suspension de la retraite à points en 2020, mais elles oublient qu’elle ne l’a été qu’à la faveur du premier confinement annoncé le même 16 mars.

Outre les conséquences économiques, le principe de la grève n’a donc d’intérêt que dans un nombre limité de cas et la démobilisation en cours n’est pas là pour inverser cette impression.

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  • ne pas sacrifier UN innocent pour le bénéfice des autres..et glorifier le sacrifice volontaire..

    les indicateurs globaux je m’en tape..

    la grève est toujours injuste envers les gens qui n’ont pas été embauchés..

  • Les cortèges sont composés de 90% de fonctionnaires (le restant étant quelques chômeurs, étudiants syndiqués…) qui n’ont que faire de ce que perd la France chaque jour de grève puisque leurs emplois ne sont pas menacés. Ils croient au contraire punir le gouvernement parce qu’ils considèrent que c’est lui qui perd de l’argent. Il est vrai que le gouvernement est leur patron. Et en général, on fait grève contre son patron pour qu’il considère le coût de la grève en rapport avec ce qu’il peut lâcher. Sauf que le gouvernement se fout de ses pertes puisqu’il puise dans les impôts ou les emprunts pour se renflouer. Et tant pis pour les futurs chômeurs du privé : un bon fonctionnaire ne s’occupe que de ses privilèges !

    • Vous avez raison, mais un gouvernement n’est ni une entreprise ( personne morale) ni un employeur ( patron privé), puisque le gvt est censé représenter et agir dans l’intérêt des français. La grève ne se justifierait ( conditionnel) que dans une entreprise privée, et quand tous les moyens de négociation auraient échoués, face à une situation manifestement déséquilibrée des pouvoirs du patron.
      Les français sont manifestement trop bêtes pour comprendre que ce sont eux qui financent les fonctionnaires et leurs grèves, et devraient mettre le gouvernement devant ses responsabilités en faisant aussi la grève de l’impôt!

      • certes mais,.bon sang , la grève en elle même pose question..

        elle détruit le sens du contrat…entre employeur et employé;.

        • La seule question à se poser: est-ce que la grève est le seul moyen de régler le problème particulier qui serait que l’employeur aurait éventuellement rompu ou altéré unilatéralement le contrat? Quand le contrat est clair et bien rédigé, et que chacun le connait parfaitement et le respecte, effectivement, la grève pose question.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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