Espagne : « la défaite du vainqueur » de Rogelio Alonso

Publié en 2018, « La défaite du vainqueur » brise le mythe de la fin négociée du terrorisme basque en Espagne et met en évidence la trahison perpétrée par la gauche espagnole vis-à-vis des victimes de l’ETA.

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Espagne : « la défaite du vainqueur » de Rogelio Alonso

Publié le 8 février 2023
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Maître de conférences en Sciences politiques à l’Université Rey Juan Carlos de Madrid, Rogelio Alonso est un spécialiste internationalement reconnu du terrorisme. Directeur du master en Analyse et prévention du terrorisme de cette même université, il a été enseignant durant dix ans à l’Université d’Ulster (Belfast) et publié plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’IRA, dont certains ont été primés outre-Manche.

Pour cette monographie publiée en 2018, le politologue s’appuie sur une grande quantité de sources : déclarations publiques (presse, télévision, meetings politiques, blogs), archives (police, renseignement, décisions de justice) ainsi que sur des entretiens menés avec des terroristes ayant accepté de témoigner anonymement. Ce travail de science politique remarquable permet de briser deux mythes qui conditionnent encore la vie politique espagnole :

  1. L’arrêt du terrorisme basque serait le fruit d’un dialogue politique.
  2. C’est la gauche espagnole qui serait à créditer du succès de cette stratégie.

 

Les trois leçons de l’ouvrage

Trois enseignements essentiels sont à tirer du travail de Rogelio Alonso :

  • Le travail combiné des services de police et de renseignement espagnol et français, principalement durant les deux mandats de José-Maria Aznar (1996-2004), affaiblirent logistiquement et politiquement l’ETA. Les négociations avec l’organisation terroriste, menées par le gouvernement socialiste de José-Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011), permirent à l’ETA de se restructurer, d’obtenir une légitimité politique et de faire croire à une reddition volontaire des armes.
  • La négociation mise en place et défendue par le gouvernement socialiste de José-Luis Rodríguez Zapatero avait pour seul objectif de défendre les intérêts électoraux du Parti socialiste.

 

En 2004, l’ETA vivait un contexte de déroute opérationnelle et logistique qui augurait de sa reddition. Pourtant, l’arrivée au pouvoir de José-Luis Rodriguez Zapatero changea totalement la donne. Ce dernier troqua le succès avéré de la lutte antiterroriste pour une négociation avec l’ETA, initialement cachée aux citoyens, afin d’orchestrer une fin volontaire de l’activité terroriste issue d’un dialogue politique.

Évidemment, les deux parties sortirent gagnantes de cette négociation orchestrée. De son côté, l’ETA obtint une légitimité politique qui lui aurait été refusée si elle avait été déroutée par les instruments de l’État de droit. La négociation d’égal à égal avec l’État puis l’entrée postérieure dans la légalité politique d’EH Bildu, formation politique composée d’anciens membres de l’ETA, soutinrent la thèse des nationalistes selon laquelle les attentats avaient été nécessaires pour être reconnus politiquement.

En agglutinant les nationalistes autour de son projet de négociation État-ETA, les socialistes isolèrent le Parti populaire. En effet, ce dernier fut le seul à refuser la négociation d’égal à égal entre un État démocratique libéral et une organisation terroriste. En parallèle, les socialistes réouvrirent une guerre civile mémorielle et, reprenant les arguments nationalistes, commencèrent à accuser le Parti populaire d’être le parti héritier du franquisme, forcément favorable à la répression des identités régionales.

Les socialistes et les nationalistes parvinrent à dépeindre le Parti populaire, parti qui avait lui-même approfondi la décentralisation administrative et politique de l’Espagne, comme un parti va-t-en-guerre et infréquentable à bannir du jeu des alliances politiques dans lequel les nationalistes sont surreprésentés du fait des systèmes électoraux proportionnels en vigueur en Espagne.

Cette tactique servit également les intérêts socialistes dans une autre région : la Catalogne. En 2003, socialistes et nationalistes catalans signèrent le Pacte du Tinell, un accord de gouvernement régional scellé à condition qu’aucun de ces partis « ne forment aucun accord de gouvernabilité (investiture et parlementaire) avec le PP, ni en Catalogne, ni à l’échelle nationale ».

  • La négociation avec les terroristes, assumée par la droite à la fin des deux mandats de Zapatero, aboutit à une situation d’injustice morale évidente à l’égard des victimes de la violence de l’ETA.

 

3500 attentats, plus de 7000 blessés dont 853 assassinés : voilà le bilan de l’ETA. De ces assassinats, 379 n’ont jamais été résolus. Plus de 200 000 Basques auraient quitté leur région de naissance pour ne pas subir le harcèlement, l’extorsion économique ou l’intimidation physique du nationalisme : de quoi modifier significativement la composition de l’électorat basque au profit des partis nationalistes.

Pourtant au Pays basque, les terroristes sont encore acclamés à leur sortie de prison lors d’hommages martyrologiques à l’ampleur non-négligeable. EH Bildu, la formation politique dirigée par d’anciens membres de l’ETA qui n’ont jamais condamné le terrorisme, gouverne dans de nombreuses mairies du Pays basque et s’est désormais affirmée comme un soutien parlementaire privilégié du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez.

 

Actualité d’une stratégie : de Zapatero à Pedro Sanchez

Aujourd’hui encore, Pedro Sanchez entretient l’alliance politique imaginée par Zapatero entre nationalistes et socialistes : en échange du soutien parlementaire d’EH Bildu, les socialistes ont notablement accéléré le programme de rapprochement des terroristes dispersés dans de multiples prisons espagnoles. En 2021, le gouvernement a délégué les compétences de l’État en matière de gestion des prisons et d’exécution des peines au gouvernement régional basque. Dès lors, l’administration dirigée par gouvernement régional nationaliste s’est empressée de concéder des aménagements de peine à de nombreux terroristes n’ayant jamais regretté leurs crimes.

Bien évidemment, cette trahison à l’égard des victimes est recouverte d’une généreuse couche de novlangue. En cela, Sanchez ne fait qu’imiter le grand maître Zapatero qui utilisait l’expression « processus de paix » pour désigner une négociation avec des terroristes. Désormais, les socialistes étouffent leur lâcheté morale sous une panoplie de ce que Jacques Lacan appelait des « signifiants vides » : la nécessité d’un « dialogue », d’une « concorde », ou encore la recherche du « consensus »…

Et s’il prenait au parti d’opposition de s’opposer, les socialistes s’empresseront de reprendre les arguments nationalistes : le Parti populaire « cherche à diviser », vit de la « tension », « refuse le dialogue »… Somme toute, ce parti est incapable de réprimer ses pulsions franquistes ! Cet ensemble de contorsions dialectiques donne au nationalisme ethnique une légitimité politique refusée à une droite constitutionnaliste qui se retrouve politiquement isolée face à l’alliance de la gauche et des nationalismes.

À moins d’un sursaut de leur électorat, ce scénario houellebecquien laisse entrevoir les compromis auxquels sont capables de parvenir les socialistes afin de conserver le pouvoir.

Rogelio Alonso, La derrota del vencedor: El final del terrorismo de ETA (La défaite du vainqueur ), Alianza Editorial, 2018, 448 pages.

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  • Partout les socialistes sont prêts à vendre leurs âmes et celles de la population pour rester au pouvoir. L’Espagne ne fait pas exception.

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