Un trou dans le soft power français : l’enseignement de la macroéconomie

La connaissance de la macroéconomie s’efface alors que cette discipline est essentielle pour comprendre les enjeux politiques et internationaux.

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Un trou dans le soft power français : l’enseignement de la macroéconomie

Publié le 17 octobre 2022
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Par Bernard Landais.
Un article de Conflits

La connaissance de la macroéconomie s’efface alors que cette discipline est essentielle pour comprendre les enjeux politiques et internationaux. Redéfinir un bon enseignement de la macroéconomie apparait comme une nécessité vitale.

Depuis quelques décennies, les enseignements de science économique se sont réduits comme peau de chagrin, alors que la matière s’étoffe. Les parcours conduisant les étudiants vers des explications plausibles des phénomènes macroéconomiques contemporains s’allongent, mais les horaires dédiés se sont effondrés. Les étudiants de disciplines connexes, droit, sciences politiques, gestion, histoire sont de plus en plus démunis de culture secondaire en macroéconomie.

Il n’est donc pas surprenant que les classes dirigeantes et les élites politiques et économiques soient aussi ignorantes, sans parler du citoyen ordinaire à qui on demande de trancher lors des élections.

 

Le recul de la macroéconomie

La « normalisation » Licence Master Doctorat des cursus et la semestrialisation des parcours ne convenaient pas à des disciplines exigeant tout à la fois culture et réflexion, c’est-à-dire celles que l’on peut légitimement qualifier d’universitaires. Les décisions administratives des années 1990-2000 furent en réalité des coups de force perpétrés par les partisans des solutions professionnalisantes et des disciplines à contenu didactique.

Les matières voisines de gestion, favorisées par l’évolution des profils des bacheliers et de leurs perspectives de débouchés, auraient dû se développer indépendamment. En réalité, elles ont prospéré aux dépens de la macroéconomie en la réduisant à une portion congrue. De plus, les économistes universitaires n’ont pas su adapter leurs enseignements de macroéconomie, passant toujours par des détours désespérément longs pour parvenir à leurs conclusions. Enfin, une partie des meilleurs apprentis économistes a été fourvoyée dans les études didactiques de statistiques et d’économétrie pour les adapter aux canons internationaux et à des débouchés en régression constante. Ainsi, les décideurs publics et privés ont été laissés sans conseillers macroéconomiques véritables.

Sur le front du savoir et dès 1985, tout s’est passé comme si la macroéconomie avait des solutions définitives à appliquer en confiance et qu’une réflexion supplémentaire n’était plus nécessaire. C’était exactement l’inverse ! N’étant plus en recherche d’idées nouvelles, les revues universitaires se sont alignées sur les critères de technicité imposés mondialement, avec une proportion croissante de sujets dérisoires. On a beau jeu de se gausser du Moyen Âge, très en avance sur le « sexe des anges » !

Les débats ouverts et productifs entre les spécialistes de la macroéconomie sur les situations et politiques concrètes ont carrément disparu, chacun s’efforçant seulement de respecter les critères formels de publication.

 

Soumission aux critères anglo-saxons

« Publish ou mourir » pourrait d’ailleurs en résumer l’alternative scientifique et linguistique.

La progression de carrière de chacun impose le respect des injonctions de la science macroéconomique anglo-saxonne. Son mot d’ordre implicite est : « ne dites rien d’intéressant, nous pensons pour vous » ! Pourtant, ce courant mainstream a lamentablement échoué dans ses modèles et son influence pratique, notamment pour la politique monétaire avant, pendant et après la crise de 2008. À l’ère impitoyable des médias en recherche de sensations nouvelles, les macroéconomistes semblent étonnamment figés.

Nous payons désormais le prix fort en termes de culture économique générale et de capacité des élites politiques : on imagine mal où et quand celles-ci auraient pu apprendre une macroéconomie assez efficace pour leur être utile. Une partie de ces élites politiques est d’ailleurs bien contente d’écarter le peuple des sujets qui, selon elle, ne le concerne pas. Leur propre ignorance n’a plus alors la moindre importance.

Toutes ces raisons expliquent la faiblesse des débats macroéconomiques dans l’opinion, pratiquement inexistants lors de la dernière campagne présidentielle. Ils sont remplacés par des considérations démagogiques vagues sur le « pouvoir d’achat », concept de nature à masquer toutes les questions de fond sous-jacentes. En recensant ces questions, liées aux difficultés économiques de l’époque, on comprendra pourquoi il est nécessaire de reprendre le chemin des confrontations théoriques sur au moins quelques problèmes majeurs.

 

Revenir aux fondamentaux

La question du système économique réapparaît et s’intensifie.

Derrière une apparente défaite symbolisée par la chute du Mur de Berlin, le socialisme n’a eu de cesse de resurgir, en particulier sous la forme d’un capitalisme de connivence international « public-privé », une sorte d’oligarchisme mondialiste. Pour nous Européens, la Commission en est le bras actif.

Les causes de la stagnation économique de l’Europe ne sont pas élucidées. Que ce soit pour l’intégration commerciale ou la monnaie unique, les effets bénéfiques tant vantés font systématiquement long feu. Les promesses européennes sont comme ces graines de la Parabole, poussant à profusion sur une terre trop mince puis séchant inexorablement, faute de profondeur et de possibilités d’enracinement réel.

Le déclin de la croissance est lié au manque d’investissements, en particulier dans ceux qui accroissent les cultures humaines, au capital humain dégradé et à l’absence d’intelligence du risque par des entrepreneurs trop peu nombreux. Les gouvernants ont désappris à faire les bons choix stratégiques requis par une mondialisation de plus en plus poussée.

L’anti-développement est d’actualité dans la quasi-totalité des pays du monde, confrontés à de profondes mutations des niveaux et des styles de vie. Les faibles résultats économiques, combinés au mouvement des mentalités et des préférences, déçoivent les populations dans leur quête du bonheur.

Mon diagnostic est que les populations subissent trop de pressions liberticides pour être heureuses.

La prévision et surtout la prévention des crises et de l’inflation sont de plus en plus déficientes, les modèles économétriques du début du siècle ayant failli. Le triomphalisme des gouvernants et la méthode Coué qui alternent presque sans transition avec la dramatisation et la culpabilisation des citoyens, occupent le champ médiatique en permanence, mais ne font qu’aggraver l’instabilité. Sur ce point, on pourrait attendre beaucoup du réalisme équilibré de l’analyse macroéconomique. Celle-ci a largement les moyens de calmer le jeu pour peu qu’on lui donne la parole et qu’elle tienne mieux compte des réactions humaines et des anticipations.

L’enseignement d’une macroéconomie efficace doit au moins aider à relever ces défis. Ce sont d’ailleurs ceux de la macroéconomie de toujours qui se renouvelle au fur et à mesure que les sociétés, leurs mentalités et leurs institutions évoluent. Ils appellent un nouvel élan intellectuel et la constitution d’une « Nouvelle École Française » de Macroéconomie.

Bernard Landais est l’auteur de Réagir au déclin ; une nouvelle économie politique pour la droite française, VA Éditions 2021.

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  • Et si on commençait par le bon sens. Par exemple, pourquoi subventionner l’économie d’un autre pays ? Ben oui, nous importons des véhicules chinois, badgés « made in EU », ou des véhicules européens avec des composants chinois, moins chers ……. jusque là c’est la concurrence, mais on y ajoute des primes écologiques (incitations)….. payées par le contribuable….. n’est ce pas du protectionnisme à l’envers ? Et si ces incitations étaient supprimées au profit d’une baisse des charges des entreprises ? Que se passerait-il ? Décidément, je deviens trop vieux pour comprendre.

    • Je me faisais une réflexion exactement dans le même sens à propos de cet article. Pourquoi chercherait-on à recevoir un enseignement en macro-économie ? Ca ne peut découler que d’un recours, de la volonté d’en savoir plus sur ce qui heurte notre bon sens … à condition que notre bon sens soit d’abord correctement valorisé.

  • Enseigner la macro-économie, c’est démontrer mathématiquement que le socialisme ne peut pas fonctionner. Un État de gauche ne peut donc que supprimer ce type d’enseignement, comme le firent Staline et Mao en leur temps.
    Ainsi, espérer que l’enseignement macro ou micro ou simplement économique revienne en France est tout simplement une utopie.

    • Pourquoi se fatiguer à supprimer cet enseignement quand il leur suffit de supprimer celui des mathématiques ?

    • Euh non. Au contraire. La macro-économie est essentiellement fille de Keynes. Pas communiste ni vraiment « socialiste » mais étatiste en diable. C’est une « science » qui postule que L’Etat pilote L’économie (avec bien des LE en majuscule, cf. l’article récent https://www.contrepoints.org/2022/09/29/439507-la-science-lenvironnement-le-climat-labus-du-le-et-du-la ) et qui de ce fait est bien sûr étatiste mais également « socialiste » en ce qu’elle ne considère jamais l’individu et toujours les « blocs » / « groupes » essentialisé.

      Bref, le truc le plus anti-libéral qui existe en économie, pire même que les marxistes orthodoxes.

  • Pourquoi vouloir des « macroéconomistes » ? Ils se sont trompés de façon systématique depuis l’invention de la « discipline » par Keynes, grand spécialiste de l’erreur systématique et politiques…
    D’ailleurs, la France est LE pays au monde à être resté le plus « macro-centré » et « keynésien », au point que dans les conférences internationales d’éco quand on explique à des américains ou des japonais qu’il y a pas mal de keynésiens, post-keynésiens et autres macro-pipoteurs dans nos facs ils nous regardent avec des grands yeux…

    Quant aux « études didactiques de statistique et d’économétrie » si on en avait plus, un peu partout y compris à l’ENA, les baratineurs macro-économistes seraient moins en situation de bloquer le marché et de pousser l’étatisme partout parce que tout un chacun serait en capacité de mesurer la qualité des prévisions et l’impact des décisions issues de la macro-économie (déplorables, pire que la climatologie… )

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