Par Frédéric Aubrun.
Un article de The Conversation
Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont considérablement marqué l’imaginaire collectif avec la diffusion en direct sur les chaînes du monde entier de l’effondrement des deux tours du World Trade Center. Des images d’une ampleur dramatique inédite pour la télévision, dont la ressemblance avec des œuvres cinématographiques populaires (Independance Day, Die Hard) a déjà été soulignée par des chercheurs.
Si des liens apparaissent clairement entre la fiction et la réalité, il peut être intéressant de s’interroger sur la représentation du super-héros au cinéma après le 11 septembre 2001.
Selon Jean‑Michel Lavantin, chercheur en études stratégiques et auteur du livre Hollywood, Washington et Le Pentagone :
Les années 2000 ont été les années super-héros au cinéma avec trois Spiderman, deux Batman, Superman, Thor, Hulk, Captain America… Les super-héros sauvent encore le monde, mais le traitement de l’histoire est très sombre. Les personnages sont tourmentés, bien dans leur époque, en pleine crise de confiance. C’est l’époque du danger.
Le Batman post-11 septembre
À la manière des monstres du studio Universal popularisés durant les années 1930 au cinéma, les super-héros sont des figures matricielles qui peuvent faire écho aux problématiques d’une époque. Le long-métrage Joker (2019) propose ainsi une lecture socio-économique de la naissance de la Némésis de Batman à travers un Gotham des années 1980 asphyxié par une crise sociétale terriblement actuelle. Le Joker, ou plutôt Arthur Fleck, y devient le produit d’une crise économique et identitaire. Les époques définissent et redéfinissent les personnages.
Pour s’en convaincre, il suffit de penser au Batman post-11 septembre de Christopher Nolan qui offre une nouvelle lecture du Chevalier noir. Entre 2005 et 2012, trois longs métrages proposent une version contemporaine du super-héros de Bob Kane et Bill Finger : Batman Begins (2005), The Dark Knight (2008) et The Dark Knight Rises (2012).
Rompant avec l’adaptation cartoonesque de Joël Schumacher, Christopher Nolan plonge Batman dans les méandres de l’Amérique post-11 septembre en abordant des thèmes comme le terrorisme, la sécurité, la justice et la peur et en réinventant les origines du Chevalier noir. Ainsi, Gotham City devient une grande ville américaine corrompue, divisée socialement, victime d’une crise économique majeure. Christopher Nolan utilise alors Batman pour explorer ces thématiques autour de la figure de cet homme torturé. Les antagonistes sont associés à des terroristes (le Joker, Bane) qui visent à la destruction d’un système (Ra’s al Ghul et sa fille), créant un parallélisme évident avec le contexte sociopolitique des États-Unis du début du XXIe siècle.
Batman face au terrorisme dans Batman Begins
Dans Batman Begins (2005), nous découvrons les origines du Chevalier Noir incarné à l’écran par Christian Bale. Raconter des origines, c’est enraciner un personnage dans une forme de réalité, un contexte économique, politique, géographique et parfois sociologique.
Bruce Wayne est ainsi présenté comme un homme sombre et mystérieux qui entame son entraînement physique et mental pour devenir Batman au sein d’une société secrète, la Ligue des Ombres, menée par Ra’s al Ghul. Celle-ci se révèle être un groupe terroriste, destinée à la destruction des sociétés jugées décadentes, comme l’explique Henri Ducard (alias Ra’s al Ghul) dans le film :
La Ligue des Ombres a mis un frein à la corruption de l’humanité pendant des milliers d’années. Nous avons saccagé Rome, chargé les navires de commerce de rats de la peste, brûlé Londres. Chaque fois qu’une civilisation parvient au sommet de sa décadence, nous revenons pour rétablir l’équilibre.
Parmi les actes terroristes commandités par la Ligue des Ombres, nous retrouvons la destruction de la Tour Wayne à l’aide d’un métro. Ces différents éléments fictionnels ne sont pas sans nous rappeler les attentats du 11 septembre, tant dans les thèmes choisis que dans le traitement scénaristique. Cet exemple est symptomatique d’une époque post-traumatique, sans que la moindre référence directe ne soit faite au 11 Septembre pour autant. Le discours fictionnel semble vouloir combler ce manque sémiotique « en ne se situant pas, ou pas immédiatement, ou pas exclusivement, dans une logique argumentative, avec une faible nécessité d’adéquation factuelle, en investissant d’un poids de signification les choix poétiques qui président à l’élaboration des fictions », observe Nicolas Xanthos, professeur de littérature au département des Arts et Lettres à l’UQAC.
L’effet de réel dans The Dark Knight
Lors de la sortie du second film de Nolan, The Dark Knight (2008), la menace terroriste prend le visage d’un clown qui compte bien semer le chaos dans la ville de Gotham. Mais là encore, c’est la réalité qui va véritablement prendre le dessus sur la fiction, jusque dans la stratégie de promotion. En effet, Warner Bros demande à 42 Entertainement, agence spécialisée dans le marketing viral, de penser une campagne de communication en lien avec le film en proposant aux spectateurs de devenir des citoyens de ce Gotham fictif à travers une multitude de jeux, de vidéos, de sites Internet, d’événements et d’indices sur le film.
Fondé sur la campagne fictionnelle de l’avocat Harvey Dent (Double-Face) pour devenir procureur de la ville de Gotham, le marketing viral se déploie. L’année de promotion du film devient l’année de campagne de Harvey Dent, préparant ainsi les enjeux au cœur du film de Nolan. L’année de promotion permet de s’immerger dans l’univers de Gotham au travers de l’enjeu politique à venir. La campagne de Dent est mise en avant par des sites Internet, vidéos virales et affiches. Le slogan « I Believe in Harvey Dent » devient le site de campagne du candidat.
L’analogie entre la campagne politique américaine et le film est pertinente dans la mesure où à l’instar d’un candidat qui doit obtenir un ralliement massif pour s’élever, voter Harvey Dent, c’est aussi devenir un potentiel spectateur du film. Rappelons par ailleurs que cette idée est en lien direct avec la réalité puisque les primaires présidentielles de 2008 étaient au cœur de l’actualité. Le slogan de Barack Obama, alors candidat en liste pour l’investiture démocrate, « Yes, we can », ressemble étrangement à celui du procureur. Cette corrélation avec l’actualité politique montre à quel point ces univers de fiction puisent leur essence dans la réalité.
En parallèle, la menace terroriste incarnée par le Joker se construit autour de la campagne de Dent par la mise en ligne d’un site intitulé « Why so serious ? ». Les détournements des affiches de campagne, des journaux fictionnels comme le Gotham Times deviennent les marques apparentes du clown fou. En effet, des débats télévisuels fictionnels sont proposés dans le cadre d’une imitation des journaux d’information américains type CNN/late-night show avec Gotham Tonight with Mike Engel. Ces vidéos proposent des débats sur Batman, la politique à Gotham, ou l’élection du procureur, comme autant de préludes au film à venir.
L’analogie avec l’actualité américaine est évidente (crise économique, chômage, insécurité) et assure une corrélation avec le réel que le chercheur Hervé Glevarec définit comme « l’effet de réel ». Une impression qui « se produit chaque fois qu’un univers diégétique représentationnel (fictionnel ou cadre ordinaire) vient toucher le monde réel ». Le choix de copier le format des émissions de débats américaines s’inscrit dans ce que Glevarec appelle la néo-télévision, laquelle « se caractérise par ceci qu’elle rend perméable ses frontières avec le réel, dont elle est de surcroît, une partie ». En touchant le réel, dans sa forme et dans son fond, la campagne fonctionne en écho avec l’actualité américaine.
The Dark Knight Rises : se relever
Dans le dernier volet de la trilogie de Nolan, The Dark Knight Rises (2012), Batman est cassé physiquement et moralement, mais apprend à se relever, faisant écho à la scène centrale du premier film : « Pourquoi tombons-nous, Bruce ? Pour apprendre à mieux nous relever », explique le père du héros à son fils.
Dans Batman V Superman (2016) de Zack Snyder, nous assistons de nouveau à la chute de la Tour Wayne, en plein milieu de Metropolis, ville fictive basée à New York. Ces plans familiers de gratte-ciel s’effondrant au sol, suivis de nuages de fumée, nous rappellent que le 11 septembre est à jamais ancré dans l’imaginaire collectif.
Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche de Frédéric Aubrun et Vladimir Lifschutz, « Le traitement médiagénique de Batman : des franchises au transmedia storytelling », publié en juillet 2017 dans la revue « Communication ».
Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing Digital & Communication au BBA INSEEC – École de Commerce Européenne, INSEEC U.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Article publié sur Contrepoints initialement le 16 septembre 2021
C’est très intéressant mais il faut quand même ne pas oublier la qualité intrinsèque des trois Batman « Dark knight » et les performances des acteurs de ces films qui ont contribué à leurs succès.
???
A ceci près que les Batman and Co ne sont pas NOS héros …
» – papa, c’est loin l’Amérique ?
– tais toi et nage ! »
Très intéressant.
Dommage de ne pas aller jusqu’au dernier Batman pour montrer que nous avons changé d’époque…