La Chine va-t-elle décrocher en s’isolant ?

Le danger d’un isolement intellectuel, mâtiné de sentiment de supériorité, peut rejaillir sur le développement économique et mener à des erreurs géopolitiques pour la Chine.

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President of China, Xi Jinping arrives in London, 19 October 2015 by Foreign, Commonwealth & Development Office on Flikr (CC BY 2.0)

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La Chine va-t-elle décrocher en s’isolant ?

Publié le 5 juillet 2022
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La Chine se voit bientôt la première puissance économique mondiale et en avance dans de nombreux domaines. Elle semble même penser ne plus avoir besoin du reste du monde pour son développement. C’est probablement une erreur, comme l’a montré l’épisode maoïste.

 

Pourquoi la Chine choisit d’être seule ?

Dans mes derniers articles, j’évoquais les faiblesses à long terme de la Chine, principalement sa crise démographique ou la démotivation des jeunes qui, n’ayant pas connu la misère de leurs parents, rechignaient à travailler neuf heures par jour six jours par semaine.

J’évoquais aussi le danger d’un isolement intellectuel, mâtiné de sentiment de supériorité, pouvant rejaillir sur le développement économique et mener à des erreurs géopolitiques.

C’est cet isolement que je voudrais analyser de plus près.

 

Des racines historiques millénaires

Cette tendance à l’isolement se retrouve tout au long de l’histoire chinoise. Au XVe siècle, les expéditions de l’amiral Zheng He sur les côtes asiatiques et africaines ne donnent lieu à aucune expansion coloniale ou même commerciale, contrairement aux expéditions européennes plus tardives. La Chine reste dans ses frontières et tente de réduire les influences extérieures en se limitant à des faibles échanges commerciaux avec l’Inde, le monde arabe et l’Occident par quelques caravanes traversant déserts et montagnes.

Cette approche sino-centriste faisait de la Chine l’unique civilisation, entourée de nations barbares. Cette pensée irrigue encore la société chinoise du XIXe siècle avec la dynastie Qing. Le pays se ferme peu à peu et refuse de prendre part au libre échangisme mené par la Grande-Bretagne. Les pouvoirs étrangers ne pouvaient être qu’inférieurs. Par exemple la reine d’Angleterre était officiellement considérée comme la vassale de l’empereur de Chine.

Le réveil est brutal à partir des deux guerres de l’opium, par lesquelles l’Angleterre, puis les Occidentaux, imposent leurs conditions commerciales, puis une mise en tutelle y compris par le Japon, comme très bien illustré par Hergé dans Tintin et le Lotus bleu, pour lequel l’auteur a étroitement collaboré avec un Chinois, réfugié en France depuis.

Ces défaites déclenchent un très fort ressentiment envers l’Occident, ressentiment largement repris aujourd’hui par la propagande du parti.

Sous Mao, la tentative de créer une société incompatible avec la pensée occidentale entraîne l’isolement total de la Chine.

À titre personnel, je n’arrivais plus à comprendre ce qui se passait dans ce pays, tel que transmis par les nombreux et prestigieux intellectuels maolâtres.

Il faut en effet se souvenir (je vais simplifier) que si mai 68 marque une poussée de gauchisme anticommuniste, avec Daniel Cohn-Bendit traitant le patron de la CGT de « crapule stalinienne », ce gauchisme a pris Mao comme idole en remplacement de Staline ! Ces brillants maolâtres sont repentis aujourd’hui, après avoir vilipendé le livre lucide de Simon Leys, Les habits neufs du président Mao – Chronique de la Révolution culturelle.

Avec la « grande révolution culturelle prolétarienne » qui succède à la catastrophe économique du « grand bond en avant » et à l’exécution ou l’exil de nombreux cadres économiques, la Chine tombe dans les profondeurs du sous-développement et de l’autodestruction. Les « gardes rouges » soutenant Mao détruisent monuments historiques, meubles et œuvres d’art, allant jusqu’à casser la vaisselle traditionnelle de porcelaine des anciens bourgeois ou intellectuels et les pousser au suicide.

Mais Mao finit par mourir. Sa veuve et ses partisans, « la bande des quatre », sont éliminés, et Deng Xiaoping prend le pouvoir.

 

La réussite de l’ouverture au monde

Deng reste un communiste brutal, comme le montrera la répression de Tienanmen. Mais c’est aussi un pragmatique. Il ouvre la Chine au monde à partir de la fin des années 1970, en commençant par la création de « zones économiques spéciales » permettant l’arrivée des entreprises étrangères. On se souvient de sa proclamation : « peu importe la couleur du chat, pourvu qu’il attrape des souris ».

Cette ouverture économique va peu à peu s’étendre à d’autres aspects de la société chinoise. Les échanges deviennent culturels, scientifiques, universitaires… De nombreux étudiants chinois partent étudier dans les universités occidentales à la recherche de diplômes reconnus à l’international, notamment en France, où je me suis occupé pour Centrale Paris de brillants étudiants chinois envoyés par Centrale Pékin.

Les Chinois, longtemps coupés du reste du monde, faute d’argent ou par l’interdiction communiste, vont découvrir les joies du tourisme et partent découvrir massivement les autres pays, permettant alors d’importants échanges culturels.

Ces échanges se font dans les deux sens. Les étudiants occidentaux partent étudier en Chine et le développement de filiales d’entreprises occidentales provoque l’arrivée de nombreux cadres étrangers.

La coopération est aussi scientifique. Elle est très large : « Environ quatre cinquièmes des doctorants en ingénierie électrique et en informatique des universités américaines sont étrangers, et les Chinois sont le plus gros contingent. Nous avons formé une génération de professeurs chinois de classe mondiale« , rappelle David P. Goldman, éditorialiste d’Asia Times, cité par Le Figaro du 11 décembre 2020.

On remarque notamment aujourd’hui le cas très particulier de la coopération entre la Chine et la France dans la création de l’institut de virologie de Wuhan, suspecté d’être à l’origine de la pandémie du covid. Coopération qui a été brutalement interrompue il y a quelques années sans que l’on comprenne pourquoi à l’époque.

 

Le bilan très positif de cette ouverture au monde

La fin de l’autarcie maoïste a permis de faire sortir de la pauvreté 600 millions de Chinois.

En 20 ans, le PIB a été multiplié par 10, passant de 1300 milliards en 2011 à 14 700 milliards en 2021, la Chine passant de septime puissance économique mondiale à la deuxième place.

À mon avis, cette croissance est un peu surévaluée, et on oublie souvent que la Chine garde un niveau de vie par personne de l’ordre du quart ou du cinquième d’un niveau de vie occidental.

Et cette croissance a bien sûr des contreparties environnementales : la Chine c’est 52 % de la consommation mondiale de charbon en 2020, soit en un jour la consommation annuelle de la France. Et les alertes s’accumulent sur la qualité de l’air, de l’eau et de la nourriture.

Cette politique d’ouverture économique se paracheva avec l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001.

L’apport des capitaux et des savoir-faire occidentaux a été une des causes principales de ce développement.

  • Dans un premier temps, l’attractivité chinoise fut la faiblesse des salaires dans un pays scolarisé et sécurisé.
  • Dans un deuxième temps, avec la hausse des salaires, ce qui attira et attire toujours les entreprises occidentales, c’est le gigantesque marché intérieur chinois. Ce dernier a également permis le développement de grands groupes nationaux qui ont ensuite réussi à s’imposer à l’international (Tencent, Alibaba, Huawei…).

 

Mais pour le président Xi, l’ouverture est allée beaucoup trop loin

L’arrivée au pouvoir de Xi en 2012, l’élection de Trump en 2016 et la pandémie de covid sont à l’origine d’une rupture progressive entre la Chine et l’Occident.

La réussite mondiale des grands groupes chinois a inquiété non seulement le reste du monde, mais surtout, semble-t-il, le président Xi lui-même qui y a vu une menace à la toute-puissance du parti communiste chinois. La « punition » de certains dirigeants et la limitation de leurs activités (jeux vidéo, enseignement privé à distance…) a suivi.

Plus généralement, la politique du « Rêve chinois » initiée par Xi Jinping prône l’autosuffisance de la Chine à l’égard de l’Occident. Pour illustrer que « nous n’avons besoin de personne », le géant chinois CATL, leader mondial des batteries lithium-ion et fournisseur de Tesla a levé 6,4 milliards d’euros.

Ce « Rêve chinois » repose sur l’idée que la Chine est une nation exceptionnelle, à qui seul le régime proposé par le Parti communiste chinois peut convenir, d’où les critiques virulentes envers les démocraties libérales. On se souviendra de la rencontre sino-américaine en mars 2021 où la délégation chinoise a dit aux Américains qu’ils n’étaient plus en mesure de leur donner des leçons.

Anne Cheng, dans son ouvrage Pandémie et mondialisation à la chinoise, écrit que l’on est passé de « la Chine dans le monde » de Deng Xiaoping, à « la Chine est le monde ».

La rupture est aussi culturelle, avec le recul de l’enseignement de langues étrangères, et la quasi-disparition des films américains, alors que Harry Potter et les Avengers faisaient un malheur. Disney est maintenant censuré ou interdit en Chine, même pour Mulan (2020) ou Shang-Chi et la légende des dix anneaux (2021), avec leurs héros confucéens.

Par contre, l’hyper nationaliste La Bataille du lac Changjin a été le deuxième film le plus regardé au monde en 2001, avec 900 millions de dollars de recettes.

 

Xi est-il en train de scier la branche sur laquelle il est assis ?

On arrive ainsi à un malentendu fondamental.

À mon avis, le développement chinois vient de l’adoption du modèle occidental : liberté d’entreprendre pour les nationaux et les étrangers, ouverture à ces derniers qui apportent le savoir managérial et technique encore plus importante que l’argent.

Le seul apport chinois est d’avoir maintenu un ordre public et notamment un ordre juridique évitant de trop piller les étrangers. Mais cela n’a jamais été totalement vrai et régresse plutôt actuellement.

Par contre, en Chine, on s’est persuadé que ce miracle de la croissance provient du système politique et notamment du rôle du parti communiste.

Est-ce la conséquence d’un raisonnement qui pourrait évoluer, ou une simple question d’hégémonie politique ? Il y a sans doute un grand débat sur ce sujet dans le secret du parti, même si la ligne Xi est donnée gagnante cet automne.

On trouve un reflet de ce débat dans l’attribution des VPN, logiciels qui permettent d’avoir accès à l’Internet mondial, ce qui est interdit à la masse des Chinois. Ceux qui s’en servent sont pistés, mais ces logiciels ne sont pas complètement interdits, car ils sont indispensables à ceux des hommes politiques, acteurs économiques et chercheurs qui ont une activité internationale.

 

La réaction du reste du monde

Cet orgueil « national-politique » entraîne une réaction qui aggrave le problème : les cadres et étudiants chinois à l’étranger deviennent suspects pour le pays d’accueil, qui ont noté « l’obligation d’espionnage » à laquelle sont soumis les Chinois, tandis que le PCC craint la diffusion d’idées libérales au sein de sa future élite.

Les Occidentaux ont enfin compris qu’il s’agit pour le Parti de resserrer son emprise sur la population, en expliquant que les démocraties libérales sont empêtrées dans un système de valeurs inefficaces, responsable d’un important désordre social.

Cette réaction occidentale a été illustrée par la guerre commerciale lancée par Trump, notamment attentif à l’influence chinoise prise dans le secteur de la défense.

Elle s’est aggravée avec la pandémie, et les mises en quarantaine et interdiction de voyager : plus personne ne veut venir travailler en Chine ! On assiste à une « sinisation forcée » des entreprises étrangères.

Une autre réaction, financière cette fois, d’après Le Monde du 6 décembre 2021 :

« L’autorité américaine de régulation des marchés financiers, la Securities and Exchange Commission (SEC), est désormais autorisée à sortir de la cote les groupes qui ne feraient pas auditer leurs comptes par une société agréée. Or, la Chine, soucieuse de sa souveraineté, interdit à ses entreprises de se soumettre à de tels audits par des puissances étrangères. »

En Europe, on est resté un temps plus ouvert, notamment à la suite du discours à Davos de Xi en 2017 vantant le multilatéralisme, aujourd’hui considéré comme de pure propagande. Depuis a été notée la mainmise croissante de Pékin sur des infrastructures européennes comme le principal port grec, celui du Pirée, et « le piège de la dette » : Portugal et Grèce, comme de nombreux pays africains, doivent livrer le gâge promis en cas de difficultés de remboursement.

Enfin l’Europe prend conscience de sa dépendance envers la Chine pour de multiples produits, notamment dans le domaine sanitaire. D’après le sondage effectué par la Chambre européenne de commerce en Chine, 23 % des entreprises européennes sont en train de « réfléchir à transférer » leurs activités et leurs projets d’investissements hors de Chine en raison de « l’énorme incertitude » liée aux restrictions de la politique sanitaire chinoise, qu’ils ressentent comme un prétexte à un contrôle total des vies individuelles et des entreprises.

Apple et Google ont notamment décidé de limiter leur production chinoise, au bénéfice d’autres nations comme l’Inde (10 % des projets), le Bangladesh (8 %), le Vietnam, la Turquie ou le Mexique.

Certes, l’inertie des investissements et des coopérations entre la Chine et l’Occident fera que l’évolution vers l’isolement sera progressive.

 

En conclusion

Les Occidentaux se demandent tout d’abord ce qu’en pense la population chinoise. D’un côté l’orgueil national est chauffé à blanc, mais d’autre part on semble vivre de plus en plus difficilement les restrictions demandées par le régime.

Il est probable que de nombreux cadres sont conscients de l’importance des apports occidentaux à la société chinoise, notamment dans les idées et les méthodes, mais aussi dans la créativité.

On verra à l’automne si cela remonte jusqu’aux instances suprêmes et si la reconduction de Xi est en péril malgré la main de fer qu’il a imposé tous les étages du parti.

La Chine porte très classiquement son effort vers ce que les communistes ont toujours appelé « le ventre mou de l’Occident » : Afrique, Amérique du Sud, Europe orientale. Lénine pensait déjà qu’il fallait contourner les capitalistes par le sud, d’où son aide aux mouvements d’indépendance pour les orienter vers une hostilité au Nord.

Cependant, au Sud, cette stratégie est contrariée par la peur de la Chine, et notamment de la prise de conscience de la volonté de prise de contrôle des infrastructures et parfois des terres agricoles.

Dans un article publié dans Le Point David Baverez résume :

« La Chine ne veut pas se démondialiser, elle veut se désoccidentaliser. »

Cet investisseur français basé à Hong Kong a pourtant longtemps vanté, lui aussi, les charmes de l’Empire céleste…

Il y a dans tout cela un parfum de retour à l’ère maoïste, d’autant qu’à l’isolement se rajoute le culte de la personnalité du président Xi et sa volonté de rester indéfiniment au pouvoir. Reste à espérer que la masse des Chinois se souvienne de la catastrophe qu’a été cette ère maoïste…

Mise à jour 11/07/2022 : l’extrait de l’entretien de D. Baverez vient du Point, et non du Monde. Une partie de la citation qui lui était attribuée venait de la chercheuse Cleo Paskal.

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