Avortement : une surréaction serait un cadeau aux républicains

D’éminents démocrates, dont le président Joe Biden, soutiennent à nouveau les modifications du filibuster – des modifications qui, si elles étaient approuvées, ouvriraient probablement la porte à un futur Congrès contrôlé par les républicains, interdisant l’avortement dans tout le pays.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1
Capitole Wahington BY Clément Cousin (CC BY-NC-ND 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Avortement : une surréaction serait un cadeau aux républicains

Publié le 4 juillet 2022
- A +

Par Eric Boehm.

L’annulation, la semaine dernière, de l’arrêt Roe v. Wade (1973) par la Cour suprême des États-Unis a été rendue possible, du moins en partie, par ce que le chef de la majorité au Sénat de l’époque, Harry Reid (démocrate du Nevada), a fait en novembre 2013.

À la recherche d’une victoire politique à court terme, Reid a mis en œuvre ce que les démocrates et les républicains avaient tour à tour menacé de faire pendant la majeure partie de la dernière décennie : abolir le filibuster (obstruction parlementaire correspondant à une majorité des deux tiers du Sénat) pour les nominations judiciaires. Et cette décision a effectivement rapporté quelques dividendes à court terme, puisque les démocrates ont pu utiliser leur majorité au Sénat pour faire passer un certain nombre de nominations de juges de circuits qui avaient été bloquées par les menaces de filibuster du GOP.

À plus long terme, cependant, cette manœuvre s’est transformée en une nette victoire pour les républicains. Ils ont repris le contrôle du Sénat en 2014, ont pris la présidence en 2016 (en grande partie parce que de nombreux conservateurs se sont pincés le nez pour voter pour Donald Trump dans l’espoir qu’il nommerait de bons juges), puis ont étendu l’exemption de filibuster aux juges de la Cour suprême, et ont nommé la plupart des cinq juges de la majorité qui ont mis fin au contrôle fédéral sur la politique d’avortement.

N’ayant apparemment rien appris de cette expérience, d’éminents démocrates, dont le président Joe Biden, soutiennent à nouveau les modifications du filibuster – des modifications qui, si elles étaient approuvées, ouvriraient probablement la porte à un futur Congrès contrôlé par les républicains, et interdisant l’avortement dans tout le pays.

Interrogé jeudi sur la possibilité de supprimer le filibuster afin de faire passer au Congrès une loi protégeant l’accès à l’avortement, le président Joe Biden a déclaré qu’il soutiendrait ce type d’effort.

Il a déclaré lors d’une conférence de presse à Madrid, en Espagne, lors du sommet de l’OTAN :

“Je crois que nous devons codifier Roe v. Wade dans la loi, et la façon de le faire est de s’assurer que le Congrès vote en ce sens. Et si l’obstruction parlementaire s’y oppose, c’est comme le droit de vote ; il faudrait – nous prévoyons une exception pour cela.”

Comme l’admet le président, ce n’est pas la première fois qu’il se prononce en faveur de la suppression de l’obstruction parlementaire. Après avoir défendu pendant des années (beaucoup, beaucoup d’années) le seuil de 60 voix du Sénat comme un aspect important de son bon fonctionnement, M. Biden a appelé en janvier le Sénat à supprimer le filibuster de façon limitée pour permettre aux démocrates de réviser les procédures électorales fédérales.

Mais le problème de la modification des règles pour le projet de loi sur les élections ou sur l’avortement est le même que celui de l’abolition du filibuster pour les nominations judiciaires : il n’y a aucun moyen de le faire au sens strict. Un camp ne peut pas enfreindre les normes en prétendant que c’est juste pour cette fois ou pour une raison particulière. Une fois supprimé le filibuster pour les nominations judiciaires, il ne faisait aucun doute qu’il serait bientôt aboli pour les nominations à la Cour suprême également. La même chose se produira si les démocrates suppriment le filibuster législatif, quelle que soit la bonne raison qu’ils pensent avoir.

Une fois que c’est fait, c’est fait. Mais le Sénat penche (équitablement ou non) en faveur des républicains. Il serait plus qu‘insensé pour les démocrates de se jeter volontairement deux fois dans ce même piège en l’espace d’une décennie.

Pourtant, c’est exactement ce que font certains démocrates. Lors d’une apparition cette semaine dans l’émission The Late Show with Stephen Colbert, la représentante Alexandria Ocasio-Cortez (D-N.Y.) a déclaré que Biden devrait “envisager” d’ajouter d’autres juges à la Cour et devrait “s’engager avec force pour mettre fin au filibuster au Sénat des États-Unis”, ce qui pourrait donner au Congrès une chance de codifier le droit à l’avortement, le mariage homosexuel et d’autres questions. Elle a également affirmé, de manière quelque peu étrange, que la Cour avait été prise en charge par “le Sud confédéré” à l’époque précédant la proclamation d’émancipation, ce qui constituerait un développement choquant.

Heureusement, pour les démocrates, le filibuster législatif devrait survivre à la folie de l’après-Roe pour la même raison qu’il a survécu à l’effort précédent pour faire passer la loi électorale : suffisamment de démocrates du Sénat reconnaissent l’erreur que cela représenterait.

“L’élimination du seuil de 60 voix garantira simplement la perte d’un outil essentiel dont nous avons besoin pour protéger notre démocratie des menaces qui pèseront sur elle dans les années à venir”, a averti la sénatrice Kyrsten Sinema (D-Ariz.) dans un discours prononcé au Sénat en janvier, mettant ainsi fin au complot des démocrates visant à supprimer le filibuster.

Elle aurait pu tout aussi bien parler du droit à l’avortement : si les démocrates veulent protéger le droit des femmes à choisir, ils devront probablement recourir au filibuster dans un avenir proche. En fait, les républicains en ont déjà l’intention.

“Ne vous inquiétez pas d’une interdiction nationale de l’avortement. Pourquoi ? à cause de l’obstruction”, a déclaré cette semaine un collaborateur anonyme de la direction du Sénat à la journaliste Julia Ioffe de Puck, ajoutant que “beaucoup de démocrates du Sénat sont sur le point de redécouvrir leur amour de l’obstruction”.

Mais seulement s’il est toujours là quand ils en ont besoin.

Traduction Contrepoints

Sur le web

Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • Pas de Bol, la “Sur-réaction” a déja eu lieu !
    L’important est maintenant que Macron nous mette la théorie du genre dans la constitution.

  • La modération, la raison sont des valeurs du patriarcat Blanc, la gauche a donc le devoir moral de se limiter à l’hystérie. Reeee, ergo sum.

  • Il est important de rappeler que Barak Obama avait promis dans son programme de mettre cet arrêt dans la loi… chose qu’il n’a pas fait, alors qu’il avait tout le nécessaire pour le faire… léger détail 😉

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
Ukraine
2
Sauvegarder cet article

[embed]https://youtu.be/C6NKQFxMjDo[/embed]

Etats-Unis et Ukraine ont conclu un accord pour exploiter les ressources minérales de l'Ukraine. Derrière cet enjeu il y a la question de l'accès à des minéraux essentiels pour l'industrie mais aussi la volonté d'éviter l'hégémonie chinoise. ... Poursuivre la lecture

Clés de notre époque, les semi-conducteurs sont partout : portables, avions, armes, voitures, machines-outils etc. La « loi de Moore » impose de renouveler régulièrement ces produits ; très rapide, le progrès technique périme les usines en deux ans, ce qui impose d'investir près de dix milliards d'euros pour les remplacer ! Régulièrement relevé par l'industrie occidentale privée qui s'appuie sur les Etats-Unis, ce défi industriel et financier est convoité par la Chine de XI qui tente de contrer des sanctions occidentales qui se multiplient de... Poursuivre la lecture

La députée de Paris Sandrine Rousseau (NFP - EELV) possède à l'évidence un talent tout particulier pour combiner à l'infini ses éléments de langage favoris dans ses tweets, quel que soit l'événement soumis à sa verve politicienne. Nouvel exemple fascinant avec la victoire du républicain et ancien président Donald Trump face à la vice-présidente démocrate Kamala Harris dans la course à la Maison Blanche de ce 5 novembre 2024. À croire que tout ce qui fonde la "convergence des luttes" chère à la gauche s'est donné rendez-vous dans sa prose :Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles