Vieillissement : on n’échappe pas à sa démographie !

Il est impossible d’échapper à la démographie par la finance : l’argent ne va pas créer les soignants ou les aidants qui n’existent pas. Et chercher de l’argent à tout prix en taxant encore plus les actifs ne fera qu’aggraver le problème en les poussant à émigrer hors de France.

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old people by paul sandham(CC BY-NC 2.0)

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Vieillissement : on n’échappe pas à sa démographie !

Publié le 17 mars 2022
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À l’invitation d’un groupe de travail de l’Institut Chiffres et Citoyenneté sur les mesures à prendre face au vieillissement et à la perte d’autonomie, je suis intervenu pour parler de la composante démographique de ces questions le 12 mars 2022.

Le problème est mondial, mais se pose avec une acuité accrue en France du fait de son histoire démographique.

L’actualité des questions soulevées par le vieillissement de la population française, ne provient pas du livre récent consacré aux maltraitances en EHPAD, mais à trois facteurs conjugués :

  • l’arrivée au grand âge de la génération du baby boom »,
  • l’allongement de la vie1,
  • un taux de natalité inférieur à celui du renouvellement des générations.

 

C’est un phénomène mondial y compris au fond de l’Afrique mais qui est accentué en France par la vigueur du baby-boom de 1945 à 1973.

Dans les autres pays où la fécondité est souvent nettement plus basse qu’en France le problème se pose de manière plus progressive, mais sera à terme plus aigu qu’en France.

 

La pyramide des âges en France

En tant que démographe et ancien chef d’entreprise, j’ai l’habitude d’aborder la question démographique du vieillissement de la population de façon très concrète : ce n’est pas l’argent qui soigne mais des hommes.

Je rappelle la citation de mon maître Alfred Sauvy, polytechnicien, peut-être le père de la démographie mondiale et l’initiateur de l’INED et de l’INSEE dont j’ai rejoint l’équipe qui l’assistait à la fin de sa vie  : « La démographie, c’est très simple, c’est dire qu’un enfant de 9 ans en aura 10 un an plus tard. Mais comme c’est trop simple, tout le monde l’oublie. »

Propos illustré par notre pyramide des âges : 

Pyramide des âges France 2020
Pyramide des âges France (2020)

Cette pyramide nous rappelle d’abord que le baby-boom a duré jusqu’en 1973. Il y a donc des boomers de 50 ans et moins.

Ils arriveront donc dans les EHPAD jusque dans les années 2055 en prenant un âge d’arrivée de 85 ans. Cela après un plateau à un niveau élevé jusque vers 2050.

Il y a des projections plus fines à faire à partir de la notion de durée de vie en bonne santé lorsque les spécialistes s’accorderont sur une définition mesurable et notamment pas trop subjective.

On parle actuellement de 85 ans, c’est pourquoi j’ai choisi cet âge pour ce qui précède. Évidemment tout dépendra de la situation sanitaire des plus de 85 ans dans les 30 années qui viennent.

Cette pyramide des âges nous montre aussi que le passage du départ à la retraite de 62 à 65 ans,courageusement proposé par le président actuel, candidat à sa propre succession, donnerait un gain brut d’actifs de 2,2 millions dont 1,2 million de femmes.

Il est très difficile de savoir combien sur ces 2,2 millions feront encore partie des actifs au travail :

  • il y aura une certaine proportion de femmes au foyer ;
  • certaines pourront avoir en parallèle une activité bénévole, notamment auprès de leurs parents ou au sein d’associations ;
  • d’autres seniors pourront être en congé maladie ou souffrir d’une incapacité ;
  • certains manqueront de qualification professionnelle, notamment en numérique : ce seront autant de formations à prévoir et de formateurs qualifiés à recruter…

 

De toute façon, même si le nombre final de nouveaux actifs engendrés par le recul de l’âge de la retraite sera très nettement inférieur à 2,2 millions ce sera néanmoins une ressource importante d’actifs.

Ces actifs maintenus en emploi pourront servir directement pour l’encadrement des EHPAD, ou indirectement par l’intermédiaire d’autres métiers qui auront moins besoin de recruter.

 

Qu’est-ce qu’un actif ?

J’en profite pour signaler aux spécialistes un problème accessoire mais important : choisir des termes précisément définis et ayant un sens voisin de celui du langage courant.

Par exemple le mot actif est imprécis.

Les démographes l’utilisent au sens de « classe en âge d’occuper un emploi » : 25 – 62 ans par exemple, mais cette fourchette est variable suivant les analyses. D’autres parlent d’actifs en prenant le total des personnes ayant un emploi plus les chômeurs (et je simplifie) alors que, dans le langage courant, il s’agit de personnes travaillant effectivement.

 

L’importance des décalages temporels

Cette pyramide des âges nous rappelle enfin l’importance des décalages temporels.

La baisse de la fécondité d’aujourd’hui va dans un premier temps soulager le système scolaire, mais diminuera le nombre d’actifs dans 20 ou 25 ans et celui des personnes dépendantes dans 80 ou 85 ans.

Et il s’agit d’évolutions irréversibles auxquelles la politique ou la finance ne pourront rien. Sauf bien sûr si une catastrophe naturelle survient, déclenchant de fortes mortalités sélectives ou plus vraisemblablement des émigrations d’actifs qui ne feront qu’aggraver les problèmes.

Ma conclusion à ce stade est la constatation d’un manque de bras dans les différents secteurs au niveau national.

 

Salaires et formation restent indispensables, mais…

Bien sûr, les discussions en cours dans le secteur du grand âge vont rendre inévitables la hausse des salaires et de meilleures formations pour lesquelles, là aussi, il faudra trouver des formateurs.

Mais n’oublions pas qu’au niveau de la nation, cela ne fera que déshabiller Pierre pour habiller Paul.

La solution de l’accueil des personnes âgées au sein des familles est la meilleure pour les intéressés mais aussi pour les soignants et pour les dépenses publiques, mais elle butte sur le même problème de recrutement, notamment pour les aides à domicile en cas de dépendance médicale.

Du moins cela limitera les besoins en immobilier coûteux. Et puis à partir d’un certain degré de dépendance on cherchera à mutualiser les efforts et donc à réinventer les EHPAD. De manière plus efficace qu’aujourd’hui, espérons le.

 

Comment inverser le cours de la pyramide des âges

Nous avons vu que nous étions prisonniers de notre pyramide des âges, et même qu’elle pourrait se dégrader, par exemple par l’émigration si les jeunes trouvaient trop lourde la charge des vieux.

Cette pyramide peut-elle être au contraire améliorée ?

Oui d’une part, de l’intérieur par l’augmentation de l’âge de la retraite que nous avons déjà examinée.

Puis par l’immigration.

L’immigration au sens large, descendants compris, est déjà largement utilisée. De plus, le personnel de bon niveau, les nounous ou assistantes philippines par exemple, est très demandé mondialement. Et les autres migrants vont nécessiter une formation. Ce sera difficile mais nous n’y échapperons pas.

 

La leçon du Japon et la productivité au sens large

Le Japon nous ressemble, avec quelques années d’avance. Il a lui aussi ses générations âgées, plus nombreuses que celles des jeunes.

Pyramide des âges du Japon d’hier, d’aujourd’hui et de demain

Il est par ailleurs une intéressante « expérience de laboratoire » puisqu’il refuse l’immigration.

Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

La robotisation d’abord.

Les robots de compagnie et de distribution de médicaments se sont multipliés au Japon.

Cela ne remplace bien sûr pas le contact humain et ne dispense pas certains soins mais on peut avoir avec son robot personnel une discussion simple et infiniment moins coûteuse que le déplacement de personnes qualifiées qui n’existent de toute façon pas en nombre suffisant.

Mais l’impact le plus important est celui de la robotisation des usines qui libère de la main-d’œuvre pour d’autres tâches, augmente la productivité et maintient le niveau de vie. Le Japon en est un des champions.

Ensuite, les Japonais ont une meilleure productivité de l’ensemble de leur vie, avec un deuxième travail parallèlement à la retraite.

Enfin, ils pratiquent une sorte d’exportation de retraités, par exemple vers l’un des nombreux villages philippins spécialisés où l’on peut vivre comme au Japon y compris linguistiquement, avec une faible retraite.

Pour ceux qui s’intéressent à l’immigration, il s’agit d’une immigration sur place à faible salaire, évitant de polluer la mère patrie et les multiples problèmes d’adaptation auxquels nous faisons face plus ou moins bien.

L’inconvénient de cette exportation des seniors est de raréfier les contacts avec la famille, mais les Japonais sans famille sont de plus en plus nombreux puisqu’une proportion notable de couples n’ont pas eu d’enfants.

 

Conclusion

La finance ne règle pas le problème démographique.

Finalement, il est impossible d’échapper à la démographie par la finance : l’argent ne va pas créer les soignants ou les aidants qui n’existent pas. Et chercher de l’argent à tout prix en taxant encore plus les actifs ne fera qu’aggraver le problème en les poussant à émigrer hors de France.

La solution n’étant pas financière, il faut s’occuper des flux des personnes physiques et de leur formation, ainsi que de la productivité globale de l’économie qui peut dégager des bras par ailleurs.

Le recul de l’âge de la retraite va y contribuer. Pour le reste c’est le travail permanent de toutes les entreprises.

Merci à l’Institut Chiffres et Citoyenneté pour leur invitation.

 

 

  1. Étude DREES Espérance de vie en bonne santé à 65 ans. À l’âge du départ à la retraite, l’espérance de vie progresse régulièrement mais qu’en est-il de l’espérance de vie sans incapacité ? Une étude de la Drees montre que l’espérance de vie en bonne santé en France est supérieure à la moyenne européenne et qu’elle est en augmentation depuis 2008. L’espérance de vie en bonne santé (sans incapacité) à 65 ans s’établit ainsi en 2020 à 12,1 ans pour les femmes ; 10,6 ans pour les hommes ; s’agissant de l’espérance de vie à 65 ans sans incapacité sévère : 18,1 ans pour les femmes ; 15,7 ans pour les hommes.
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  • Avatar
    jacques lemiere
    17 mars 2022 at 7 h 20 min

    euh…. ben si…on crée des maison de retraites dans des pays à plus bas salaires et climat favorable ..

    on organise des voyages médicaux..

    si l’argent…est là…

    par contre le pays se vide…

  • Je ne vois pas le problème du vieillissement de la population. Le libéralisme considère qu’il existe un ordre spontané qui n’a que faire des planifications. Les gens s’adapteront, s’il y a un déficit de mains-d’oeuvres, les salaires augmenteront attirant des inactifs et des chômeurs, 30% des français en âge de travailler sont inactifs. Il y a 5 millions de fonctionnaires qui pour beaucoup ne sont pas tres utiles.
    En un mot, ce n’est pas un probleme démographique, mais un pb d’état providence.

  • Avant que les ehpad n’existent il y avait une autre solution et c est comme ça que ça marche dans les pays du Sud qui n ont pas des montagnes d’argent.
    C’est la prise en charge par la famille et par la cohabitation multi générationnelle. Tout le monde se rend utile même les personnes âgés car les jeunes aussi ont besoin d’assistance.

    Mais il est vrai qu’en France, l’exode rural qui n’a jamais arrêté l’a fait oublié. C’est du chacun pour soi maintenant. Tout le monde veut avoir suffisamment d’argent pour consommer, partir en week-end, au restaurant, avoir une grosse voiture.

    Si les mesures fiscales sur l’héritage ne favorisait pas autant les enfants au détriment du conjoint survivant ça aiderait.

    • «  Il m’est tout à fait impossible de séparer le mot fraternité du mot volontaire. Il m’est tout à fait impossible de concevoir la Fraternité légalement forcée, sans que la Liberté soit légalement détruite, et la Justice légalement foulée aux pieds. »
      — Frédéric Bastiat
      La solidarité obligatoire issue de la spoliation légale a tué la solidarité volontaire et spontanée qui est par essence un acte réciproque et mutuel. Elle est à l’origine de beaucoup d’injustice.

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