Russie : attention au prochain point de bascule

Le danger n’en serait que plus grand. L’enjeu est donc de voir plus loin que l’horizon du jour et d’imaginer un nouvel avenir à l’Europe, raccrochant à terme la Russie à un bloc eurasien pacifié.

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Vladimir Poutine (Crédits Bohan_伯韩 Shen_沈, licence Creative Commons)

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Russie : attention au prochain point de bascule

Publié le 4 mars 2022
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Avec le recul, la crise ukrainienne apparait comme le point d’orgue d’un certain nombre de choix qui se sont révélés des points de bascule historiques. Bien sûr, la vision rétrospective est trompeuse et ce qui apparait comme une erreur avec le temps a pu paraître rationnel au moment du choix.

Pourtant, certains tournants ont été empruntés avec ce qui parait aujourd’hui un manque d’audace et de confiance, et comme pondérant exagérément l’idéologie ou la psychologie du moment, au détriment de la compréhension de la partie adverse et du pari pour un nouvel avenir.

Le manque de vision

Chronologiquement, ce manque de vision s’est manifesté quand l’Occident a considéré que, suite à la chute de l’URSS, la Russie resterait un adversaire plus qu’un partenaire et qu’il fallait tirer avantage de sa faiblesse temporaire pour avancer les pions de l’OTAN.

Cette stratégie autoréalisatrice a effectivement renforcé le « sentiment d’assiégé » historique de la Russie et le développement de sa méfiance en retour. Était-il possible de l’intégrer à l’OTAN comme y pensait les premiers négociateurs en 1990 ? Nous ne le saurons jamais.

Peut-être que la Russie intégrée n’aurait-elle pas joué le jeu de l’OTAN et aurait-elle bloqué son fonctionnement comme l’a pensé l’administration Clinton. Mais ce pari de rupture ne méritait il pas d’être tenté ?

Le deuxième tournant est d’avoir ouvert l’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine sans donner de garantie de sécurité à la Russie. Rappelons que l’URSS n’avait jamais permis à Cuba d’intégrer le Pacte de Varsovie malgré sa demande pour ne pas aggraver l’instabilité mondiale.

Or les signaux russes étaient clairs sur la question spécifique de l’Ukraine.

Vladimir Poutine le 7 mai 2005 sur France 3 :

 

« Si d’autres républiques de l’ex-URSS adhèrent à l’OTAN nous respecterons leur choix […] s’il devait y avoir une présence militaire de l’OTAN en Ukraine […] l’Ukraine pourrait alors avoir des problèmes, je le dis franchement. »

 

Bien sûr, nous pouvons opposer à cette position géopolitique les principes légitimes de souveraineté et d’autodétermination. Mais l’absence de recherche d’une solution de sécurité commune au-delà du simple rapport de force a singulièrement manqué de souffle et de vision et a enfermé les acteurs dans le jeu de rôle actuel. La bascule finale, le lancement de cette tragique invasion par la Russie, a été une erreur morale en premier lieu mais aussi stratégique.

Quatre éléments au moins ont pu fait croire à Poutine que la conquête serait aisée.

Tout d’abord, le rapport de force militaire laissait supposer une conquête très rapide (2 à 3 jours d’après les estimations préalables du Pentagone).

Ensuite, l’opération en Crimée s’étant soldée par des sanctions économiques mineures et supportables par le régime, la Russie anticipait probablement une réaction plus limitée de l’Europe.

De plus, l’Europe est aujourd’hui très dépendante du gaz russe (40 % de sa consommation de gaz) ce qui donnait a priori un levier important à la Russie.

Enfin l’Occident sortait à peine de la crise sanitaire, endettée et fragile.

Les erreurs de Poutine et les nôtres

Or Poutine s’est trompé sur la ténacité héroïque du peuple ukrainien, sur la solidarité européenne, sur l’importance des sanctions et peut-être même sur le soutien populaire russe de l’invasion une fois que l’effet des sanctions sera sensible.

Mais il s’est surtout trompé sur le sens de l’histoire. La restauration impériale russe est un rêve passéiste si elle vise une domination militaire mais aurait pu être réinventée à l’aune du développement, de l’influence culturelle et de l’invention d’un modèle frugal alternatif à celui de l’occident.

Ce tournant a été dramatiquement loupé. Cela ne signifie pas que la Russie ne gagnera pas militairement cette guerre, mais cela signifie qu’elle aura beaucoup de mal à la gagner politiquement et que le coût de l’invasion pourrait même mettre le régime en péril. C’est sur ce nouveau point de bascule qu’il convient aujourd’hui d’être vigilant.

L’Europe, revigorée et étonnée d’elle-même par sa propre puissance doit rester lucide et garder son sang froid. Faire pression sur la Russie est la bonne stratégie. Ne pas lui laisser de porte de sortie serait affronter un animal blessé et pris au piège.

Le danger n’en serait que plus grand. L’enjeu est donc de voir plus loin que l’horizon du jour et d’imaginer un nouvel avenir à l’Europe, raccrochant à terme la Russie à un bloc eurasien pacifié.

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  • Avatar
    jacques lemiere
    4 mars 2022 at 7 h 28 min

    oui on a raté le coche, je le pense aussi, en laissant la russie toucher le fond et être
    humiliée..

    poutine doit sa popularité à la fierté retrouvée de la russie.

    mais quand même;… l’ukraine est un état souverain… on peut le dire bancale;.mal taillé artificiel..
    on peut rappeler des anciens accords…des anciennes promesses..

    reste que… si le gouvernement ukrainien veut se rapprocher de l’otan ou de l’ue..
    c’est son droit…

    l’attitude des bureaucrates de l’ue a joué un role, on est d’accord..

    un incroyable gâchis..
    mais pour les innocents qui vont mourir..ou souffrir..

  • « raccrochant à terme la Russie à un bloc eurasien pacifié » : ce serait une bonne idée mais …. les US ont tout fait pour pilonner ce vieux rêve français (ils sont opposés à un monde tripolaire : US , Europe , Chine ) . Les ex pays de l’Est ne font pas confiance à leur ex envahisseur , demandez donc à un Polonais , un Tchèque , un habitant des pays baltes pour vous en faire une idée .

    • Et que pense un Catalan d’un Castillan, un Flamand d’un Wallon ?

      Faisons tous du commerce en anglais (où en esperanto – LoL), voyageons dans le monde et laissons les cultures locales pour les loisirs !
      On a déjà suffisamment de problèmes avec les contrées pauvres et l’émigration qui en résulte pour propulser des millions de réfugiés sur les routes pour raisons politiques.

    • Le temps adoucit les choses. Les pays de l’est n’en veulent plus à l’Allemagne, qui est même devenu leur principal partenaire commercial. Hitler, c’est effectivement du passé.
      La Russie avec l’URSS reste récente dans les mémoires, mais dans une trentaine d’années, ce ne sera plus qu’une affaire de retraités. Il faudrait juste ne pas réactiver la mémoire avec des menaces.

  • Apparemment Poutine a atteint son but détruire l’économie de l’Ukraine et une Russie sans l’Europe occidentale et les USA

    -1
  • L otan n est probablement qu un pretexte. L ukraine n etait pas prete d etre admise. par contre une ukraine libre et prospere aurait ete une menace mortelle pour Poutine. Car comment justifier aux yeux de son peuple un ecart abyssal entre la russie et l urkraine (qui sont issu du meme pays, qui ont quasiment la meme histoire et culture. pire de nombreux russes ont de la famille en ukraine et vis versa, impossible de faire de la desinformation)

    -1
    • Avatar
      LasciatemiCantare
      4 mars 2022 at 17 h 03 min

      Vous voulez dire que toutes les « raisons » avancées par Poutine et les trolls pro-russes, prétextant une Russie acculée et poussée à bout, ne sont que du vent ? Allons, pas de ça ici…

      On se demande bien comment une hypothétique (et très improbable, ne serait-ce qu’en raison du niveau de corruption…) entrée dans l’OTAN d’un pays moins peuplé que la France aurait pu constituer une quelconque menace pour la Russie.

      Quand on s’applique à pilonner gratuitement à ce point un pays, la destruction de ses capacités économiques, avec vassalisation rampante et quelques annexions en prime ne peuvent être que les objectifs finaux.

    • Les chiffres:
      https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.PCAP.KD?locations=UA-RU
      Au regard des chiffres je ne vois pas trop en quoi se serait « une menace mortelle pour poutine »

      • la menace soulevée par la Russie est que si l’Ukraine entrait dans l’OTAN , l’OTAN pourrait installer des missiles a 10 minutes de portée de Moscou
        c »est une potentielle crise de cuba inversée

        Les USA accepteraient- ils des missiles russes au mexique ?

      • En effet pour avoir été quelques jours en Ukraine et en Russie quelques temps avant la « pandémie », l’Ukraine prospère, organisée et dynamique et la Russie pauvre et chaotique est une image plutôt inversée de la réalité que j’avais perçu…

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