La victoire de Gabriel Boric à l’élection présidentielle chilienne du dimanche 19 décembre ouvre les portes du pouvoir politique à un militant de la gauche radicale soutenu, notamment, par le Parti communiste. Ce scrutin a démontré l’effacement du centre et la vigueur des extrêmes.
Face à Boric au deuxième tour, se trouvait José Antonio Kast, catholique, père de neuf enfants, nostalgique de l’ère Pinochet, hostile à l’avortement et au mariage gay. Il présentait un programme économique libéral, mais aussi un autoritarisme sociétal inquiétant.
Le programme socialiste de Gabriel Boric
Âgé de 35 ans et né à Punta Arenas, dans le sud du pays, Boric a été élu sur des idées aux antipodes du raisonnable. Au-delà du politiquement correct – décentralisation, égalité entre les sexes, reconnaissance de la diversité sexuelle, souci de l’environnement et de la dignité du travail -, se cachent des mesures qui, sans doute, se révèleront délétères et fort coûteuses pour les dépenses publiques, et entraîneront des hausses d’impôts.
Ainsi la fin des retraites par capitalisation, lesquelles méritaient plutôt un contrôle gouvernemental plus strict et une réforme plus inclusive à l’égard des travailleurs « informels ».
À la place, le nouvel élu veut générer un nouveau système garantissant une pension minimale de 250 000 pesos, soit 265 euros, financée par les contributions des employeurs, des employés, et par l’impôt. Boric veut aussi nationaliser la santé, augmenter les dépenses publiques dans ce secteur, et créer un système universel, faisant des assureurs privés des complémentaires publiques sous l’autorité de l’État.
Boric veut également instaurer une augmentation progressive du salaire minimum à 500 000 pesos (524 euros) et la réduction du temps de travail hebdomadaire à 40 heures. Il favorise ainsi les employés mais aggrave l’accès à l’emploi, donc la précarité des plus pauvres, les travailleurs dits « informels » qui représentent au Chili, selon l’OCDE, 23 % des travailleurs.
Ce n’est pas ainsi qu’on augmente l’emploi. À ce sujet, le nouvel élu déclare : « il faut arrêter de penser que c’est l’employeur qui crée des emplois. C’est la main-d’œuvre qui génère la richesse ». Boric a également l’intention d’annuler la dette d’un million d’étudiants, ce qui fragilisera les banques et les universités privées. Enfin, il veut que son gouvernement « devienne le premier gouvernement écologique de notre histoire ».
Une victoire qui intervient dans un Chili troublé
Ce scrutin désolant, mais conforme aux demandes des jeunes Chiliens, confirme que ce pays, jadis modèle pour son dynamisme économique, est entré dans un processus radical de transformation. Il tente d’échapper au poids du passé pinochetiste, aux mornes compromis de la « Concertation » menée par les socialistes et la démocratie chrétienne après la fin de la dictature, pour s’inventer un avenir nouveau. Lequel, manifestement, sera à gauche.
La première étape de ce processus fut marquée par des émeutes violentes en octobre 2019, dont l’augmentation du prix de ticket de métro fut à l’origine. Elles révélèrent la frustration d’une grande partie de la jeunesse chilienne dont les causes sont nombreuses : inégalités sociales choquantes, détournement détestable des fonds de pensions ayant débouché sur des retraites dérisoires et la fortune des dirigeants des fonds, administration de la santé privatisée, onéreuse et hors de portée des plus pauvres, éducation publique médiocre, éducation privée coûteuse.
Enfin, des scandales de corruption, notamment dans la police et l’armée, ont attisé la colère dans un pays jadis fier de la probité de ses dirigeants.
Le seconde étape a été l’organisation – désorganisée – d’une convention constitutionnelle chargée, par referendum en octobre 2020, de publier une nouvelle loi suprême qui remplacerait la Constitution actuelle adoptée par Pinochet en 1980 à la suite d’un referendum sujet à caution.
Mais cette convention, dominée par la gauche et des communautés indigènes face à un bloc de droite minoritaire, n’avance pas. Elle a commencé son travail en juillet 2020 et devait rendre sa copie neuf mois plus tard. La demande d’une prolongation devrait conduire à un texte définitif le 27 avril 2022. On l’imagine déjà long et détaillé, une calamité constitutionnelle. Il doit être approuvé par référendum le 28 mai.
Sous réserve de ce qu’annoncera cette nouvelle Constitution, le mandat présidentiel chilien dure quatre ans et n’est pas renouvelable de façon consécutive. En 2025 nous verrons alors le bilan de Boric. Le pessimisme est à l’ordre du jour.
Nous verrons notamment si sa présidence aggrave les tensions entre les extrêmes ou si le locataire de la Moneda est un communiste modéré – si une telle chose existe. Notons, au crédit de Boric, qu’il considère Maduro comme un dictateur.
Personne ne peut lire l’avenir, mais on pourrait espérer non seulement le retour des partis démocratiques – socialistes, conservateurs, chrétiens-démocrates – mais aussi l’existence, à nouveau au Chili, d’un parti libéral qui ne soit plus l’orphelin de Pinochet.
Espérons que cette élection ne débouchera pas sur un nouveau Pinochet!
Eh bien, le Chili va expérimenter toutes les mesures qui ont mené la gauche française dans l’état où elle se trouve…
Ils ont déjà expérimenté, et ça s’est mal terminé.
« il faut arrêter de penser que c’est l’employeur qui crée des emplois. C’est la main-d’œuvre qui génère la richesse ». faut avouer que ce genre de juxtaposition de phrases est curieuse,
la première est une évidence la seconde que est supposée la réfuter je présume, est partiellement vraie donc fausse.. et n vraie ne serait pas une réfutation,..
“détournement détestable des fonds de pensions ayant débouché sur des retraites dérisoires et la fortune des dirigeants des fonds” mais, mais… comment cela se peut-il? le marché n’a pas ajusté correctement? il y avait trop de libéralisme? pas assez? pas du tout? à la folie? “la fin des retraites par capitalisation, lesquelles méritaient plutôt un contrôle gouvernemental plus strict et une réforme plus inclusive à l’égard des travailleurs « informels ». un contrôle gouvernemental plus strict? est-ce bien libéral le contrôle gouvernemental? On sort du régalien là, sauf -plouf plouf- si on a une approche juridique/pénale du problème? … si il y a deux enseignements à tirer ce sont 1) les spécificités de la culture politique en Amérique du Sud en général (castes, cliques, corruption, démagogie, populisme et ultra violence chaque fois que ça va mal…), du Chili en particulier 2) le côté très relatif des beaux principes universalistes… espérons que Boric sera un socialiste/étatiste prudent et réaliste sinon dans quelques années ce sera à nouveau le cocktail ruine + mécontentement avec à la clé un Pinochet reboot
Et voilà, c’est reparti pour les “solutions” déjà expérimentées des dizaines, des centaines de fois, et dont tous les gens raisonnables savent qu’elles ne marchent pas. Cette amnésie des peuples est désespérante. Les Chiliens avaient eu la chance d’échapper in extrémis (avec quelques milliers de morts tout de même) à la désastreuse expérience socialiste d’Allende, qui menait le pays dans le mur, pour devenir le pays d’Amérique latine qui s’en sortait le mieux. Ils veulent remettre ça, eh bien, qu’ils y aillent. Ils n’auront peut-être pas la chance de 1973.
“Ainsi la fin des retraites par capitalisation, lesquelles méritaient plutôt un contrôle gouvernemental plus strict et une réforme plus inclusive à l’égard des travailleurs « informels ».”
Heu… je me croyais sur Contrepoints, pas sur Libé ??? Un média libéral qui demande un contrôle gouvernemental strict et un reforme inclusive, ça surprend pour qui connait vaguement le libéralisme.
“Bientôt s’ouvriront à nouveau les larges avenues qu’emprunteront l’homme et la femme libres pour bâtir une société meilleure.” citation d’Allende utilisée par Boric lors de son élection à la primaire
“Durant sa campagne, Boric a remis à l’honneur la mémoire du gouvernement socialiste des années 1970, mais il s’est désolidarisé des partis traditionnels qui ont mené la transition démocratique à compter de 1990.” ( courrier international )