Par Samuel Furfari.
Malgré la COP26, et encore plus après son flop, les projecteurs sont braqués sur les migrants syriens entassés sur la frontière entre la Pologne et le Belarus à la suite d’une tentative du dictateur biélorusse « d’embêter » ses voisins de l’UE, en guise de revanche sur les sanctions que celle-ci inflige à son pays. Alexandre Loukachenko a commis l’imprudence de laisser entendre qu’il allait limiter, voire couper, l’alimentation en gaz russe de ces pays.
Les pressions de l’Algérie et de la Biélorussie en matière de gaz
Pays de transit du gaz russe vers les pays baltes et la Pologne, ce sont 33 milliards de m³ par an (Gm3/a) qui depuis 2006 le traversent essentiellement au travers du gazoduc transnational Yamal – Europe qui part de Russie, passe par le Belarus, et alimente la Pologne et l’Allemagne. Le gazoduc plus petit (2,5 Gm3/a), Minsk – Vilnius – Kaunas – Kaliningrad transporte du gaz russe vers la Lituanie et l’enclave russe au départ du Belarus.
C’est important, mais tout de même nettement moins que les gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui transportent ensemble 110 Gm3/a. On va voir que ces données sont importantes pour la compréhension.
Quelques jours plus tôt, Alger annonça la coupure de l’approvisionnement en gaz, mais à l’égard du Maroc, au prétexte de la grave crise diplomatique entre Alger et Rabat au sujet du Sahara oriental, ayant mené en août à la rupture unilatérale par l’Algérie de ses relations diplomatiques avec le Maroc.
Rappelons que depuis 1996 l’Algérie alimente le Maroc, l’Espagne et le Portugal par le gazoduc Gaz Maghreb Europe, qui a une capacité de 10 Gm3/a, et que l’Algérie est le seul fournisseur de l’Espagne en gaz naturel par conduite, qui représente en 2019 43 % de sa consommation en gaz.
L’Algérie tente de rassurer l’Espagne et le Portugal, car elle entend augmenter ses livraisons de gaz via le gazoduc sous-marin Medgaz en service depuis 2011, qui, lui, relie directement l’Algérie à l’Espagne, mais dont la capacité n’est que de 8 Gm3/a, ce qui représente la moitié des exportations algériennes annuelles vers l’Espagne.
Ces deux escarmouches géopolitiques démontrent que les présidents belarus et algérien pensent être encore dans l’ancien paradigme de la géopolitique de l’énergie qu’avait créé les pays arabo-musulmans en 1973 et 1979.
À l’époque, les modèles mathématiques du Club de Rome avaient fait croire que le pétrole allait être épuisé en l’an 2000. Ceci donna l’idée au colonel Kadhafi d’utiliser le pétrole arabe comme arme géopolitique contre Israël et ses alliés. L’embargo et la forte augmentation du prix du baril de pétrole entre 1973 et 1979 ont fait paniquer tous les pays de l’OCDE.
Tant et si bien que dans l’imaginaire collectif – y compris celui d’Alexandre Loukachenko et d’Abdelmadjid Tebboun (le président algérien) – il est possible de mettre à genoux un pays en lui coupant son approvisionnement énergétique. Pourquoi Kadhafi s’est-il trompé ? Parce que des ingénieurs ont développé de nouvelles technologies qui ont permis d’aller d’abord explorer et ensuite exploiter un pétrole qu’on appelait alors des « nouvelles frontières » et qui est aujourd’hui devenu « conventionnel».
Dans le même temps, les Nations Unies ont aussi créé un nouveau droit de la mer qui permet d’exploiter les zones maritimes au large des pays côtiers. Ceci a eu pour conséquences que le pétrole qui aurait dû être épuisé en 2000 est encore disponible jusqu’à au moins 2075.
Tout cela est aussi valable pour le gaz naturel, qui est abondant, bon marché, disponible et propre. Kadhafi a par ailleurs contribué sans le vouloir à l’autonomie énergétique occidentale par le développement concomitant du nucléaire. Sa tentative de créer une pénurie artificielle pour le pétrole n’a réussi que temporairement.
L’erreur de l’Algérie et de la Biélorussie
Et c’est là que Minsk et Alger se trompent lourdement. Ces menaces de coupure du flux de gaz auraient pu avoir un sens si le gaz naturel n’était pas abondant, mais à présent le marché est devenu vendeur. Le gaz est très abondant au point que l’Agence internationale de l’énergie avait publié en 2011 un rapport en ce sens. Même Israël exporte du gaz et la Commission européenne entend financer le projet EastMed Pipeline pour importer du gaz de la zone de la mer du Levant (Chypre, Israël et Égypte).
Peut-être vont-ils parvenir à créer quelques ennuis pendant quelque temps, mais sur le long terme ils seront perdants. D’abord, tous les deux perdraient beaucoup d’argent, dont ils ont grand besoin, sur le gaz non vendu (Algérie) ou en droits de transit (Belarus). Mais surtout, ils perdraient leur crédibilité. Pour le Belarus, c’est relativement simple.
Poutine ne va pas laisser faire cette action d’opérette, d’autant plus que l’hiver arrive et qu’il tient à ne pas envenimer la situation d’approvisionnement déjà tendue avec l’UE. Mais pour l’Algérie, c’est plus préoccupant, car elle risque de perdre sa crédibilité de fournisseur stable qu’elle avait depuis bientôt 40 ans. En particulier, l’Algérie alimente l’Italie par le canal de Sicile avec la conduite Enrico Mattei de 335 Gm3/a.
Pourtant, le vieux paradigme ― basé sur la croyance infondée de la fin imminente du pétrole et du gaz ― a encore de beaux jours, car il est très difficile de se débarrasser d’idées qui ont formaté toute une génération. Nous l’avons encore vu récemment avec l’envolée du prix du gaz dans l’UE, avec des scénarios et des analyses invraisemblables.
Des erreurs profitables aux Européens qui s’adaptent à la géopolitique de l’énergie
Mais heureusement, les erreurs des pays arabes d’il y a bientôt 50 ans nous ont aidés grâce à l’innovation technologique à créer un marché abondant et fluide du gaz naturel. Certes, des changements brusques de prix peuvent arriver, mais ce sont des phénomènes conjoncturels et non pas géopolitiques. La preuve en est que le prix du charbon – qui lui n’a aucune dépendance géopolitique – vient d’être multiplié par trois sur le marché asiatique.
En octobre 2000, la Commission européenne publiait son livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique. Après des années consacrées à la création d’un marché unique de l’électricité, la vice-présidente de la Commission responsable de l’énergie – Loyola de Palacio – avait compris que le vrai problème de l’énergie est d’assurer un approvisionnement constant, car sans énergie tout s’écroule.
On avait à l’époque insisté sur la diversification des énergies, la diversification des pays d’importation et la diversification des routes d’importations. Beaucoup a été fait, mais tout n’est pas fini. La discussion en cours au Parlement européen sur une nouvelle liste de « projets d’intérêt commun » est trop vitale du point de vue stratégique pour que l’opposition des lobbies écologistes soit prise en compte.
Ceux-ci ne jurent que par les énergies renouvelables, mais depuis presque un demi-siècle de recherche et de soutiens politiques et financiers, leurs éoliennes et panneaux solaires ne produisent que 2,9 % de l’énergie nécessaire dans l’UE.
On a désormais bien compris que leur but ultime réel est d’« assoiffer », et de faire s’effondrer, faute d’énergie abondante et bon marché, la civilisation dite « thermo-industrielle » qu’ils haïssent, et qui est pourtant à la base de notre société d’abondance et de l’État providence.
Les exemples décrits ci-dessus montrent qu’il faut poursuivre les diversifications prévues par le livre vert susmentionné. L’Allemagne et la Russie ont bien fait d’insister sur l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2.
L’Espagne a bien fait de construire 8 terminaux gaziers avec une capacité totale de 76 Gm3/a qui permettent au gaz du Nigéria, de Trinité-et-Tobago ou des États-Unis de l’alimenter et ainsi de ne pas dépendre uniquement de l’Algérie. D’ailleurs, Repsol a débuté en septembre la construction d’un nouveau terminal à Bilbao de 3 Gm3/a.
Le gaz naturel sera et devra être utilisé abondamment tout au long de ce siècle. La preuve en est que la grande entreprise chinoise Sinopec a signé ce 4 novembre un contrat d’approvisionnement pour 20 ans de 28 Gm3/a par an de gaz naturel liquéfié américain, avec l’accord de Joe Biden.
Il est urgent d’expliquer aux Européens que le gaz naturel est l’énergie abondante et bon marché dont le monde entier, Europe comprise, a besoin. Il faudrait aussi que Minsk et Alger l’admettent.
33 Gm3 = 33 milliards de m3 et non 33 millions
Merci. Bien vu. J’ai demandé la correction. On a beau relire….
Le gaz est bien, mais le charbon est moins cher. C’est pour ça qu’il représente une plus grosse part de l’énergie primaire mondiale. On imagine mal plus que doubler la production du gaz pour remplacer le charbon. Et les projets GNL coûtent cher et peuvent être mal placés (Mozambique), ou être en Russie. L’Europe de l’ouest a les moyens de payer le gaz, ce qui lui permet de réduire ses rejets de CO2. D’autres pays d’Europe ont le charbon (Allemagne et Pologne qui ont des productions). L’Estonie elle fait son électricité en brûlant des schistes bitumineux (rien à voir avec le pétrole de schiste US).
L’Algérie a un PIB par habitant plus bas que celui du Venezuela et le pays est classé 146ème mondial pour la liberté économique, il n’y a qu’une trentaine de pays pour faire pire.
La Biélorussie fait “un peu” mieux pour le PIB/hab (égal à l’Irak) mais pire pour la liberté économique avec une 150ème place.
Bref, ces gens ont d’énormes problèmes de libertés et de gestion interne et aucune rationalité ni crédibilité à l’internationale.
.
Ce qui est inquiétant, c’est que nos “élites” pastèques, semblent bien décidées à liquider l’occident tout en prenant le contrôle total des restes. Le collectivisme avait au moins un but de prospérité, la faillite n’étant qu’une conséquence imprévue.