Par Alexis Vintray.
Google et Facebook sont habitués des procédures antitrust depuis longtemps désormais, mais les révélations folles continuent encore à sortir à un rythme effréné.
Jedi Blue, l’alliance secrète Google et Facebook
Dernier scandale en date, une apparente collusion du nom de Jedi Blue, entre Google et Facebook. Le tout contre votre vie privée et pour tuer la concurrence sur le marché de la publicité en ligne. C’est du moins la thèse avancée par l’accusation, dans le cadre de la plainte portée par une vingtaine d’états américains. Le 22 octobre, la version intégrale de la plainte a été rendue publique suite à la décision d’un juge fédéral autorisant sa publication.
Ne cherchez pas, vous n’en avez quasiment pas entendu parler en France à part dans la presse spécialisée. De l’autre côté de l’Atlantique, l’affaire fait grand bruit par contre. Particulièrement visé, le projet Jedi Blue, un accord secret entre Google et Facebook.
La vie privée première victime de Jedi Blue
Parmi les révélations les plus croustillantes, les informations détaillées sur la façon dont “Google a activement contribué avec ses concurrents à saper la protection de la vie privée des internautes” (Google has actively worked with Big Tech competitors to undermine users’ privacy).
Dans le cadre de cet accord Jedi Blue, “Google et Facebook travaillent à identifier les internautes utilisant les solutions Apple” (As part of this agreement, Google and Facebook work together to identify users using Apple products.). Derrière ce langage technique se cachent les restrictions de plus en plus fortes d’Apple sur le ciblage publicitaire sur ses téléphones (sujet décrypté par Contrepoints ici). Google et surtout Facebook ont été largement impactés par cette décision. Pour les deux, contourner ces obstacles est devenu essentiel.
De manière simplifiée, imaginez que vous êtes un utilisateur d’Apple. Apple vous demande à chaque nouvelle app installée si vous acceptez la pub ciblée de cette application. Vous refusez à une application A de suivre vos actions sur Internet. Mais vous le permettez à l’application B. Or A et B décident de se mettre d’accord pour partager les informations dans votre dos et contourner votre souhait ! Et ne pensez pas que le fait d’avoir bloqué les cookies vous aura protégé :
Les deux sociétés [Google & Facebook] ont travaillé ensemble pour améliorer la capacité de Facebook à reconnaître les internautes sur des navigateurs bloquant les cookies, sur des terminaux Apple et sur le navigateur Safari. En cela, elles ont miné les efforts d’une société Big Tech [Apple] pour se démarquer en protégeant mieux la vie privée.
[related-post id=396343 mode=ModeLarge]Se cacher derrière la protection de la vie privée pour défendre ses intérêts semble désormais être récurrent chez Google : ainsi en avril 2021 de la fin des cookies tiers dans Chrome, soi-disant motivée par la protection des internautes, mais où le réglementateur n’a pas tardé à voir un intérêt commercial fort peu caché :
https://twitter.com/FantaAlexx/status/1385497675999682563?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1385497675999682563%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.contrepoints.org%2F2021%2F04%2F30%2F396343-fin-des-cookies-tiers-dans-chrome-google-veut-il-vraiment-votre-bien
Les pages AMP sur mobile, artificiellement plus rapides
Autre révélation qui ne manque pas de sel, le dossier de l’accusation contre Google sur les pages AMP. Ce sont des pages internet spécialement adaptées pour mobile, et développées par Google. L’accusation souligne que les pages “AMP”, vendues comme plus rapides pour améliorer le confort des internautes sur mobile, ne l’étaient (ne le sont ?) que parce que le temps de chargement des autres pages est artificiellement ralenti d’une seconde par Google pour se donner un avantage concurrentiel :
Les bénéfices en termes de vitesse sur lesquels Google a communiqué étaient aussi au moins pour partie le résultat du ralentissement par Google [des autres pages]. Google ralentit artificiellement d’une seconde le chargement des publicités sur les pages non-AMP, afin de se donner un “joli avantage comparatif”.
Des pratiques cachées, au détriment de l’internaute, mais surtout au profit de Google lui-même. Cette lenteur créée artificiellement par Google a été utilisée comme moyen de dénigrer la concurrence selon la plainte du Texas :
Le Header Bidding [technologie publicitaire concurrente à Google] peut souvent augmenter le temps de chargement des pages et créer des failles de sécurité a ainsi faussement soutenu Google.
(Header Bidding can often increase latency of web pages and create security flaws when executed incorrectly, Google falsely claimed.)
En interne chez le géant de Mountain View, la plainte révèle l’incompréhension de salariés de Google. Obligés de défendre publiquement ce qui est à l’inverse de l’intérêt de l’internaute, ils sont mal à l’aise : “Internally, Google employees grappled with how to [publicly] justify [Google] making something slower.”
Jedi Blue, l’alliance Google et Facebook pour tuer la concurrence ?
Outre chacun d’entre nous, les premières victimes de ces pratiques sont les éditeurs de site, à en croire la plainte : comme le souligne le Wall Street Journal, les pratiques de Google lui permettent d’imposer aux éditeurs de sites internet des prix deux fois supérieurs à ceux du reste des acteurs. Un grand gagnant à tous les changements mis en Å“uvre par Google, c’est Google… Ses commissions sur les transactions publicitaires iraient désormais de 22 % à 42 %.
En interne, une salariée de Google reconnait que les services apportés par sa place de marché publicitaire ne justifient pas les prix payés par les annonceurs et les éditeurs de sites internet :
20 % de commission pour une place de marché publicitaire n’est probablement pas justifié par la valeur que nous apportons. Les marges devraient se stabiliser à 5 %. Cela nous crée un gros dilemme, que faisons-nous ?.
En mettant en concurrence directe tous les acteurs sans le filtre des algorithmes Google, la technologie concurrente à Google du Header Bidding risquait en effet de mettre à mal les marges élevées de Google. Une menace vue comme existentielle selon les mots de Google en interne1. La réponse a été, selon la plainte du Texas et des autres États américains, une collusion avec le concurrent Facebook (collusion between Google and Facebook). Un objectif : tuer cette technologie publicitaire concurrente, en évitant que Facebook ne s’y rallie.
L’accord, Jedi Blue, a été “délibérément construit pour éviter [que Facebook] ne concurrence [Google], au détriment des éditeurs de site internet”. (As one Google employee explained internally, Google deliberately designed Jedi to avoid competition, and Jedi consequently harmed publishers). Facebook ne se ralliait pas à la solution marché de Header Bidding et évitait des coûts de développement informatique. Google gagnait en contrepartie de l’argent sur les dépenses publicitaires de Facebook et tuait la concurrence.
Antitrust, le mot sur toutes les lèvres avec Jedi Blue
La situation en résultant ne bénéficie qu’aux acteurs déjà monopolistiques. Au point que beaucoup y voient des pratiques qui relèvent du Sherman Act. Comme l’écrit New York Magazine, “Ce que Facebook et Google ont fait avec Jedi Blue semblerait être illégal” au regard des lois antitrust.
Un risque dont Google semble bien avoir été en partie conscient selon des documents internes révélés par la plainte : “cet accord génère une situation non optimale pour les éditeurs et crée de sérieux risques de publicité négative s’il devait être connu” (generates suboptimal yields for publishers and serious risks of negative media coverage if exposed externally.)
C’est le moins que l’on puisse dire…
Contacté par Numerama, Google estime en tout cas que l’accusation a tout faux : « ce n’est pas parce que le procureur général Paxton (Note de Numerama : un des auteurs de la plainte) affirme quelque chose que cela le rend vrai. Ce procès est truffé d’inexactitudes […] Nous nous défendrons fermement contre ces allégations infondées devant les tribunaux. »
Des GAFAM qui agissent en toute impunité ?
Conscient de sa force, Google joue en tout cas clairement des coudes en France : dans le cadre des droits voisins, l’autorité de la concurrence a condamné une première fois Google en avril 2020. En juillet 2021, l’Autorité a à nouveau sévi, soulignant “l’exceptionnelle gravité” du comportement de Google qui n’a pas respecté les injonctions concernées et fait preuve de mauvaise foi dans les négociations. 500 millions d’euros d’amendes à la clef et des griefs particulièrement salés.
Étienne Gernelle, dans l’éditorial du magazine Le Point, n’hésite pas à parler de “méthodes de voyous” et de “bras d’honneur” de Google aux producteurs de contenu sur Internet. Et d’écrire : “Google a d’abord essayé de nous imposer une rémunération égale à zéro, menaçant, si nous n’acceptions pas ce diktat, de nous déréférencer, ce qui équivaut à disparaître du paysage.”
Une chose est visuelle : l’argent de la publicité finit désormais chez Google, et plus chez les médias.

Nous avons besoin de vous !
Contrepoints est tout aussi impacté que le reste de la presse. Mais à la différence des médias subventionnés qui bénéficient d’aides et ont les moyens d’aller en justice pour obtenir des dédommagements, Contrepoints ne peut compter que sur vous pour compenser ces pratiques, avec des revenus publicitaires orientés tendanciellement à la baisse. Si vous aimez Contrepoints, soutenez-nous financièrement, votre soutien financier est la meilleure garantie de notre indépendance au quotidien.
Google a longtemps eu comme devise informelle Don’t be evil. “Ne soyez pas malveillants”. En 2018, le slogan a été enlevé de son code de bonne conduite. Faut-il y voir un aveu conscient ou non ?
À lire aussi :
- Étude de la Fondapol : “Les géants du numérique : un frein à l’innovation ?”
- The Platform Law Blog : “What we learned from the unredacted US States complaint against Google”
- The Register : “Google’s ‘Be Evil’ business transformation is complete: Time for the end game”
- En externe, cela n’était officiellement pas une menace ↩
L’atteinte à la vie privée du pass sanitaire me semble si dérisoire devant cet article éloquent (je ne remet pas en cause l’aspect liberticide du pass je précise).
Tous les combats sont respectables, mais il me semble qu’une hiérarchisation des agressions contre notre vie privée semble nécessaire à certains
Sauf que les produits et services de G et F sont facultatifs. Ils ne font pas de moi un sous-citoyen si je les utilise pas.
Et au pire, ces deux-là veulent juste me vendre des trucs en plus.
Avec l’Etat, je n’ai aucun choix, mes données médicales sont livrées en pâture, mes libertés sont restreintes, le tout sous la menace de sanctions.
Il n’y a pas photo. Je préfère le monde selon Google.
C’est votre point de vue, qui se respecte.
Mais ne soyez pas naïf, Google connait parfaitement votre état de santé (Doctissimo, logiciels en pharmacie, recherches internet, …).
Mais pour le moment, Google s’en fout, il ne fait que du commerce, pour le moment…
Je n’utilise pas Google pour mes recherches (sauf pour la carte routière)…
Et l’on peut aussi condamner les deux quand cela est pertinent. Nul besoin d’être hémiplégique comme dirait Ortega y Gasset via Aron, tout ce qui est menace sur la liberté mérite d’être dénoncé par les libéraux. Même quand cela vient du privé qu’on est plutôt habitués à défendre face à l’Etat en effet.
Je ne suis pas du tout en désaccord avec vous d’un point de vue idéologique.
Je sais que le libéralisme est une pensée totalitaire par nature, qui n’admet pas de hiérarchisation des combats.
Je me plaçais simplement dans une approche séculière où le combat contre une menace d’envergure (GAFAM et autres) me parait plus urgent qu’une menace étatique sur les données médicales (pas vraiment significatives d’un point de vue médical) du pass.
Je répondais à Jérémy (sans préjuger de mon opinion sur le pass sanitaire et autres).
Mes excuses de m’être immiscé dans votre discussion
Pour ma part, je vous pardonne.
?
“Je sais que le libéralisme est une pensée totalitaire par nature, qui n’admet pas de hiérarchisation des combats”
Bien au contraire, dans la mesure où le libéral accepte, par construction, la pluralité des opinions et de leur expression. Cf Voltaire par ex.
“Je me plaçais simplement dans une approche séculière où le combat contre une menace d’envergure (GAFAM et autres) me parait plus urgent qu’une menace étatique sur les données médicales (pas vraiment significatives d’un point de vue médical) du pass.”
Objection votre honneur ! Il n’y a pas de risque de pente fatale avec ces grandes sociétés. Elles n’en feront pas toujours plus (un pass qui se crée, qui gonfle puis qui dure, dure, puis bientôt peut-être pour la 3ème dose, et le statut vacinal des gosses porté à la connaissance des directeurs, et peut-être demain son extension à d’autres maladies…), n’ajouteront pas article sur article au code pénal, ne demanderont pas aux forces de l’ordre toujours plus de coercition…
Avec l’Etat, l’effet cliquet est redoutable. A contrario, la moindre polémique visant les GAFAM leur cause un tort considérable. Que risque Véran pour avoir tordu le bras au citoyen pour lui imposer la vaccination, mépriser ses choix et sa liberté ? Rien !
@Tom le rouge
Bonsoir,
Si des hommes se pointent chez vous en armes parce que vous n’avez pas honoré la contribution obligatoire (pour des services de plus en plus mediocres) quel blason/patch porteront-ils ? Celui de Google, de Facebook, ou celui de l’Etat ?
J’entend toutes vos objections, pour certaines justifiées.
1. Sur l’aspect totalitaire du libéralisme économique : la théorie du libéralisme économique implique un marché TOTALEMENT libre pour fonctionner de façon optimale (de plus c’est un optimum d’un point de vue de la fluidité des échanges, et non un optimum de bien être ou de progrès mais c’est autre chose). Sur le libéralisme politique c’est la même chose, toute régulation autre que les lois naturelles (qui n’ont de naturelles d’ailleurs que la définition que l’on en donne par compromis intellectuel) représenterait un renoncement à la liberté.
2. Voltaire était-il un pur libéral au sens où on l’entend aujourd’hui ? Je pense qu’une nuance est nécessaire.
3.Concernant l’Etat/les GAFAM : je peux être d’accord avec votre point de vue. C’est simplement ma sensibilité personnelle qui me fait craindre le pire en pensant à cette toile qui se referme sur nous pour nous piquer le moment venu (pourquoi pas en fusionnant l’état et les GAFAM pour accentuer la coercition. L’exemple de la Chine est là pour nous alerter).
Amicalement
Avec ces deux-là , on est, si l’affaire est avérée, dans l’entente illicite, la concurrence déloyale. Et s’agissant du client, dans la transmission de la marque de son téléphone !
Je ne mets pas ça sur le même plan que le secret médical. Après tout, l’Etat connaît bien la marque de ma bagnole (pour m’envoyer accessoirement des trucs d’un autre genre)… et alors ?
Y’a une difference, l’etat vous pouvez les virer tous les 5 ans, les Gafam Non.
Avec les Gafams c’est tous les jours que vous pouvez les virer !
Google peut-il utiliser la violence dite légale, pour me forcer à l’alimenter en données et revenus publicitaires?
Non.
Si je décide de ne pas utiliser de portable ou de connexion Internet, je me complique la vie, mais je peux le faire.
Si je décide d’enfreindre le diktat du pass insanitaire, ou de cesser de financer un système étatique parasitaire, je serai physiquement attaqué par les sbires de l’état. Si je leur résiste je pourrai y perdre la vie.
Vous comparez des choux pourris et des carottes au cyanure.
Bah, compliquer la vie de ceux qui ne feraient pas ce qu’il faut n’a guère de différence avec une “attaque physique”. Compliquer la vie de quelqu’un, c’est du harcèlement. Si vous avez un mobile pour pouvoir appeler les secours si besoin en promenade de santé, et que vous ne parvenez pas à le libérer des messages publicitaires, ça n’est pas supportable, point barre, et pas plus du fait que l’Etat ne serait pas impliqué.
Google ou FB n’ont rien à voir avec un GSM. Vous pouvez avoir un GSM sans carte sim et vous pouvez appeler des secours avec.
Android est plus problématique car il faut un compte gogol.
Vous n’aimez pas Google ni Facebook ? Simple : ne les utilisez pas ! Moi, c’est Apple que je ne supporte pas…
voila…
De mauvais esprits pourraient soupçonner que si la presse française fait motus sur ce scandale, c’est parce qu’elle est largement rémunérée par les géants du web pour faire la police des « contenus qui ne respectent pas les règles d’utilisation »…
Cette affaire expose dans une lumière crue le pouvoir démesuré des Big Tech, qui justifie des mesures anti-trusts drastiques. Étape suivante : s’attaquer à leur position dominante sur le marché de l’information, qui leur permet d’occulter et de marginaliser les faits qui les dérangent et de surexposer ceux qui vont dans leur sens. L’actualité des deux dernières années a fourni de très nombreux exemples.