Samuel Paty : après l’émotion, l’hommage officiel sauve les apparences

L’Éducation nationale avait-elle apporté son soutien à Samuel Paty ou au contraire l’avait-elle menacé d’une sanction ? L’assassinat de Samuel Paty continue de soulever des questions.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Screenshot_2020-10-19 Hommage à Samuel Paty « On est là pour montrer qu’on n’a pas peur » - YouTube - Le Parisien

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Samuel Paty : après l’émotion, l’hommage officiel sauve les apparences

Publié le 18 octobre 2021
- A +

Par Julien Plouchart.

L’assassinat de Samuel Paty a eu un impact immédiat auprès de la population française : une vague d’émotion s’est levée dans le pays. Dans les jours qui ont suivi ce tragique événement elle a débouché sur deux hommages, l’un populaire et l’autre officiel.

À la suite de cette séquence mémorielle courte et intense s’est tenue une cérémonie contrôlée d’hommage à l’Éducation nationale. Dans ce cas, la volonté de sécuriser ce moment a pu être liée à la réaction de l’institution aux polémiques relatives à son attitude.

Cela n’a pas empêché que les critiques de l’Éducation nationale soient portées à la connaissance du public. L’institution ne semble avoir réussi à reprendre l’initiative que ces derniers jours en inscrivant la mémorialisation de Samuel Paty dans le cadre d’un combat pour la laïcité républicaine et contre l’intégrisme religieux.

L’unanimité républicaine des premiers hommages à Samuel Paty

À la suite de l’assassinat de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020, les syndicats d’enseignants avaient lancé un appel afin d’organiser des rassemblements le 18 octobre pour réaffirmer l’attachement à la liberté d’expression. C’est ainsi que des milliers de Français dont de nombreux enseignants ont manifesté dans des dizaines de villes françaises.

Par leurs banderoles « Je suis prof », « Je défends la liberté d’expression  » ou « Je suis Samuel », les manifestants ont voulu exprimer leur solidarité avec la victime mais aussi leur volonté de défendre les valeurs démocratiques.

Après cet hommage populaire fut organisée une cérémonie officielle le 21 octobre 2020 au cours de laquelle le président de la République a remis la légion d’honneur à titre posthume à Samuel Paty. Puis il a tenu dans la cour de la Sorbonne un discours sur l’importance du combat pour la liberté d’expression devant un parterre de 400 invités dont des politiques et des élèves.

La cérémonie fut retransmise en direct sur de nombreuses chaînes, permettant à la population de communier avec les participants dans cette liturgie républicaine.

Au cours de ces deux hommages, l’assassinat de Samuel Paty fut considéré comme une attaque directe contre la liberté. Le professeur fut perçu non seulement comme une victime mais aussi comme un héros de l’idéal démocratique. Ceci explique que certains députés, comme le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, Damien Abad, aient même proposé sa panthéonisation.

La journée d’hommage à l’Éducation nationale… ou la volonté de passer à autre chose ?

Le ministère de l’Éducation nationale avait au début prévu de consacrer toute la matinée de la journée de rentrée du 2 novembre 2020 à l’hommage à Samuel Paty avec en particulier deux heures d’échanges entre enseignants. Cependant, il a ensuite été décidé que cet hommage serait réduit à la lecture d’un texte de Jean Jaurès et à une minute de silence en mémoire à Samuel Paty.

Cette conception minimaliste de l’événement décidée par le ministère a été critiquée par les syndicats.

Pour le SNES :

Samuel Paty a payé de sa vie son engagement professionnel pour des principes qui nous réunissent toutes et tous. Nous lui devons un hommage plein et entier.

Cette attitude du ministère a pu donner l’impression qu’il souhaitait essayer de tourner la page de l’affaire Samuel Paty le plus vite possible. Sur 793 incidents répertoriés, 422 ont été signalés à la police et à la justice. C’est ainsi que 4 enfants de 10 ans ont été arrêtés par des policiers chez eux à Albertville avant d’être retenus toute la journée au commissariat de police.

À la suite de ces faits, le 25 novembre 2020 un collectif a écrit une tribune accusatrice contre le ministère de l’Éducation nationale dans les pages du Nouvel Observateur :

La surveillance, de fait ciblée sur les enfants musulmans, voulue par le ministre de l’Éducation nationale a été suivie par une partie du personnel de l’Éducation nationale et s’est traduite par un traitement différencié pour des centaines d’enfants.

La volonté politico-médiatique d’incriminer les réactions d’enfants correspondait-elle à la volonté d’éliminer tout débat chez le personnel enseignant comme auprès de l’opinion publique sur la responsabilité de l’institution dans le traitement de l’affaire autour du cours de Samuel Paty ?

La polémique autour de l’attitude des autorités de l’Éducation nationale vis-à-vis de Samuel Paty

En fait, dès les jours qui ont suivi l’attentat, la question qui s’est posée de savoir si l’Éducation nationale avait apporté son soutien à l’enseignant ou au contraire l’avait menacé d’une sanction. Dès le 18 octobre 2020, un article du journal Le Point avançait la thèse que les équipes « valeurs de la république » auraient menacé de le sanctionner le 9 octobre 2020.

Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait réagi le jour même sur France Inter en indiquant que l’administration avait soutenu l’enseignant. Dans un communiqué, la rectrice de l’Académie de Versailles évoquait à propos du contenu de l’article de l’hebdomadaire des « informations fallacieuses » sur la prise en charge institutionnelle de Samuel Paty et insistait sur le « soutien total à l’égard de M. Paty ».

Fin novembre début décembre 2020, la suspicion autour de l’attitude des autorités a grandi avec de nouvelles publications. Le 20 novembre 2020, Le Point a publié un courriel envoyé par l’inspection où il était indiqué que Samuel Paty ne semblait pas maîtriser « les règles de la laïcité ».

Le 7 décembre 2020, le rapport de l’inspection générale sur le déroulé des faits entre le 5 et le 16 octobre 2020 évoquait une erreur commise par l’enseignant lors de son cours et insistait en même temps sur le fait que la visite du référent laicité était une preuve de soutien. Olivier Chartrain dans L’Humanité évoquait un « rapport qui accuse la victime », Bruno Modica dans L’Express y voyait une « formidable ouverture de parapluie ».

Cette défense de la hiérarchie a été critiquée de manière acerbe par François Jarraud qui écrivait sur le site du Café pédagogique :

Tout le monde a fait son travail. Tout a été parfait. Tellement parfait que le 16 octobre S. Paty était seul face à son assassin. Et ça on aimerait savoir pourquoi.

À l’approche du premier anniversaire de la mort tragique de Samuel Paty, David Di Nota publie J’ai exécuté un chien de l’Enfer : rapport sur l’assassinat de Samuel Paty. L’auteur y affirme que Samuel Paty s’est retrouvé seul en raison de l’absence de réaction de l’administration.

Di Nota déclare à l’AFP :

En vertu de la politique des accommodements raisonnables, il a fallu absolument que le prof reconnaisse une erreur qu’il n’avait pas commise.

Il conclut :

L’administration est tombée dans le piège de sa propre idéologie.

La mémorialisation de Samuel Paty au service de l’idée laïque, solution de sortie par le haut pour l’Éducation nationale

C’est sans doute en partie pour mettre un terme aux polémiques persistantes sur son attitude envers le professeur que l’Éducation nationale a entamé à l’occasion du premier anniversaire de sa mort une politique de mémorialisation de Samuel Paty. La référence à la figure du professeur martyr permettrait d’emporter l’adhésion du corps enseignant autour d’un projet de réaffirmation idéologique de l’école.

Alors que l’imposition autoritaire d’une forme minimaliste de journée d’hommage de l’Éducation nationale du 2 novembre 2020 a été mal perçue par de nombreux enseignants, pour le premier anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty il a été décidé de laisser toute latitude aux équipes enseignantes pour organiser l’hommage à leur collègue le 15 octobre 2021 dans leurs établissements.

Le ministre a ainsi exprimé le souhait qu’au moins une école, un collège ou un lycée porte le nom de Samuel Paty dans chaque département. Ces intentions ministérielles de commémorer à nouveau la mort de l’enseignant et de renommer des dizaines d’établissements scolaires s’inscrivent sans doute dans la volonté ministérielle de mettre en avant le combat pour la laicité.

C’est dans ce sens que Jean-Michel Blanquer promeut un programme de formation à la laïcité des personnels enseignants sur plusieurs années tel que préconisé par le rapport Obin du 14 mai 2021. Le drame de Conflans sert ainsi de point de départ à une contre-offensive idéologique de l’école républicaine contre la menace du fanatisme religieux.

D’abord victime de rumeurs puis d’une cabale et enfin de la folie meurtrière, de victime d’un acte terroriste Samuel Paty devient ainsi une figure héroïque du combat laïque contre l’intolérance religieuse poussée à l’extrême. Son nom sera encore porteur de sens dans de nombreuses années. Le souvenir de cet enseignant au destin tragique continuera d’être présent dans la mémoire de l’institution comme dans la mémoire collective.

Voir les commentaires (10)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (10)
  • L’éducation nationale n’est qu’un foyer du communisme purée et dur à l’image de la dictature chinoise.
    À ce titre, tout kamarad comme S. Patty qui s’écarte de la ligne du parti est cloué au pilori.
    Sauf quand il se fait trucider et que la société condamne. Alors là, il devient un héro.
    On a la même chose en Chine : le médecin qui, le premier, a déclaré l’épidémie du Covid 19 a été fermement condamné par le gouvernement. Une fois mort, il est devenu un héro.
    Vive le communisme triomphant, vive l’éducation nationale qui forme nos enfants, vive les enseignants à qui il faut doubler le salaire !!!

  • L’attitude de l’administration était claire : pas de vague ! Elle préférait s’acharner sur celui par qui le scandale pouvait arriver. Aujourd’hui elle reécrit l’histoire. Personne n’est dupe.

  • L’hommage officiel en proportion de l’émotion… une manifestation de circonstance…
    Mais, quid de « l’état de droit français » glorifiant la laïcité…
    Nombre de français n’ont pas encore pris conscience du fait qu’il y a dans ce pays des lois votées pour être appliquées et, des lois votées pour être contournées…
    Bref, un « état de droit » à géométrie variable!…

  • Nos dirigeants disent deux choses contraires en même temps (c’est à la mode) :
    1- se moquer de l’islam, c’est mal – et même puni par la loi
    2- agresser les gens qui se moquent (ou disent qu’on a le droit de se moquer) de l’islam, c’est mal

    Comment voulez-vous qu’on s’y retrouve ?

    Conséquence très concrète, les gens s’autocensurent. Et le délit de blasphème se retrouve mis en application, de facto. Enfin, le blasphème contre l’islam et son prophète surtout… Dans une démocratie, paraît-il.
    Le chemin que nous suivons, au nom de la tolérance, mène, très concrètement, à la charia, autrement dit au contraire de la liberté et de la tolérance. Curieux, non ?

    • Dans le Coran il n’existe pas de référence à la caricature dont la notion même n’existait pas à cet époque. Ce sont des règles édictées par des imams. Qui sont-ils pour se prendre pour des prophètes et édicter des lois saintes à la place du prophète?
      Le Coran a interdit seulement les signes religieux et la représentation de Mahomet pour éviter le culte de la personnalité cher aux chrétiens (la croix, Jésus, les apôtres, les saints, Marie, etc) . C’est pourquoi dans une mosquée, il n’y a que des calligraphies des versets du Coran.

      • Wiki
        Aristophane et Aristote citent le nom d’un caricaturiste grec, Pauson qui, selon le philosophe, peignait ses modèles « plus laids que nature[26] ». Pauson se classe parmi les grotesques, mais les allusions de ces auteurs montrent qu’il a peint des portraits-charges de ses contemporains.

        On a trouvé des caricatures peintes sur des vases grecs et, du côté romain, sur les murailles d’Herculanum et de Pompéi ; on en a même rencontré dans les ruines et sur les papyrus de l’ancienne Égypte sans oublier les personnages à tête de singes sur certaines poteries gauloises. Il s’agit cependant plus de parodies, de satires, que de caricatures proprement dites.

  • Aussi hypocrites que notre président !

  • « C’est ainsi que 4 enfants de 10 ans ont été arrêtés par des policiers chez eux à Albertville avant d’être retenus toute la journée au commissariat de police. »

    Euh… c’était quoi le sujet du jour ? Ah oui… la liberté d’expression 😀

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

Mardi 5 décembre 2023, communiquant sur les résultats des élèves français à l’enquête internationale PISA, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a proposé de réviser les programmes de primaire pour y adopter progress... Poursuivre la lecture

L’Éducation nationale se trompe d’objectif en favorisant la mixité sociale et la réduction des inégalités plutôt que le niveau de connaissances. En effet, la dégradation du niveau général est nuisible à tout le monde et réduit l’égalité des chances en nivelant par le bas.

Depuis la publication en avril de mon article « L’éducation nationale se trompe d’objectif », sont arrivés les résultats de la dernière enquête PISA, qui confirme la catastrophe, et le plan Attal qui tente d’y pallier.

Ce plan vient tout juste d’être annoncé, on ... Poursuivre la lecture

Si j’étais ministre de l’Éducation nationale, de surcroît un jeune ministre pouvant aspirer à devenir, un jour, président de la République, je déclarerais vouloir supprimer le ministère de l’Éducation nationale dans sa forme actuelle, et vouloir lui substituer une autre organisation qui relève le niveau des élèves français dans les comparaisons internationales, mais surtout qui permette de réduire de manière drastique les inégalités sociales en matière d’éducation. La légitimité d’une telle décision est affichée au fronton de nos bâtiments publi... Poursuivre la lecture
Voir plus d'articles