Afghanistan : un carnage réel et symbolique

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Taliban Pakistan by SeHI (creative commons) (CC BY 2.0)

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Afghanistan : un carnage réel et symbolique

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 28 août 2021
- A +

Par Drieu Godefridi.

Après vingt années d’occupation de l’Afghanistan, au prix de milliers de milliards d’argent des contribuables américains, il était soutenable que les troupes américains devaient en effet se retirer et laisser le peuple afghan retrouver son autonomie — fût-ce en renouant avec l’islamisme le plus tribal, brutal, littéral et moyenâgeux, celui des talibans et de l’État islamique.

L’administration Biden aura toutefois réussi la performance unique dans l’histoire américaine de transformer un retrait qui aurait dû n’être qu’administratif et progressif en apocalypse militaire, diplomatique et symbolique.

Apocalypse militaire

Les troupes américaines tenaient tout le pays afghan avec 2500 militaires sur place, via la maîtrise de l’air et la base de Bagram (Begrâm). Rien n’obligeait à nullifier ce contrôle aérien, quitte à l’affiner en se ménageant la possibilité de revenir en arrière en cas de besoin.

In casu, non seulement M. Biden a supprimé du jour au lendemain le contrôle aérien, et a encore donné l’ordre d’abandonner — sans la détruire — la base militaire de Bagram. Cette base, l’une des plus sophistiquées et mieux retranchée du monde, aussi vaste qu’inexpugnable, non seulement permettait un retour en force ad nutum en Afghanistan, encore se situe-t-elle aux marches de l’Iran et de la Chine.

Son abandon est inexplicable, inexcusable et profondément insensé. Encore s’agit-il bien d’un abandon, l’administration de M. Biden ne s’étant pas souciée ni d’en transférer le contrôle à ce qui fut l’armée afghane ni, en dernière extrémité, de la détruire pour éviter que ces messieurs de la talibanerie n’en prennent le contrôle. Ce qui signifie qu’outre les tombereaux de matériel militaire de premier choix, l’US Army vient de doter le tout nouveau régime taliban de l’une des bases militaires les plus abouties de l’orbe extrême-oriental.

Apocalypse diplomatique

En décrétant un retrait américain dans des conditions logiques — les militaires avant les civils — et temporelles aberrantes, l’administration de M. Biden a pris de court la totalité de ses alliés sur place, du Canada au Royaume-Uni, en passant par la l’Allemagne, la Belgique et la totalité des membres des l’OTAN.

Aucun de ces alliés ne dispose d’une capacité militaire, de renseignement ni même logistique ne serait-ce que vaguement comparable aux capacités américaines. La deadline — qui n’a jamais été aussi bien nommée — fixée au 31 août pour le retrait total, si elle est impossible à tenir pour les Américains, l’est a fortiori pour ses « alliés ». Ainsi voit-on les remarquables forces spéciales britanniques sillonner le pays afghan pour en exfiltrer ses troupes, civils et alliés locaux ; dans des conditions dantesques qui les mettent à la merci d’un coup de main des talibans.

Il est probable qu’aucun des membres de l’OTAN ne parviendra à rapatrier l’intégralité de son personnel sur place avant la deadline. Or, tout Occidental ou allié local restant sur place au 1er septembre deviendra ipso facto un otage du régime taliban.

Cette séquence d’événements et ce timing débilitant sont vécus comme une trahison par les partenaires européens des États-Unis, à commencer par l’allié historique, le partenaire privilégié le Royaume-Uni. Nigel Farage soulignait que jamais plus le Parlement britannique n’accepterait de participer à une coalition militaire avec les États-Unis gouvernés par M. Biden.

Apocalypse symbolique

L’apocalypse est d’abord et avant tout symbolique.

Ces dernières semaines, les responsables militaires et civils au plus haut niveau de l’administration de M. Biden se sont succédé dans les médias pour assurer de la viabilité de l’armée afghane, le risque étant virtuellement nul de voir les talibans reprendre le contrôle du pays. Soit leurs renseignements étaient d’une nullité complète et ils sont aveuglés par l’idéologie, soit ils mentaient ; on craint malheureusement que la première hypothèse ne soit la plus vraisemblable.

Ce qui aurait dû n’être qu’un retrait administratif, progressif et maîtrisé, avec maintien d’un contrôle minimal sur place, et de la base stratégique de Bagram, s’est mué en quelques heures — il n’a pas fallu 24 heures pour que l’armée afghane dépose les armes, avant de les remettre poliment aux Talibans — en l’une des plus grandes déroutes de l’histoire militaire depuis l’armée française face à l’armée allemande en 1940.

Conclusion

Dans un contexte politique américain haineux au parfum de guerre civile, il est peu probable que l’administration de M. Biden se remettra politiquement de la pire déroute de l’histoire américaine, synthèse des crises de la Baie des Cochons (Cuba), du départ du Vietnam et de l’affaire des otages américains en Iran.

Ce qui est certain est que l’islamisme international dispose désormais de la plus fabuleuse base territoriale et militaire de son histoire moderne. Tel est le legs politique, diplomatique et militaire de l’administration de M. Biden au monde civilisé.

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Créer un compte Tous les commentaires (13)
  • Et ce n’est que le début de la présidence Binden.

  • Laissons les dans leur jus islamiste…..rien à cirer….

  • La décision de partir était juste, mais l’exécution est incroyablement inepte. Tout se passe sous sa direction, et c’est actuellement l’homme le plus puissant du monde.
    Il est maintenant parfaitement évident qu’il n’est pas de taille pour le role et lui mettre tout sur le dos n’est que justice.

    • Je vous accorde qu’avec les éléments connus à date, on ne peut pas formellement exclure que ses conseillers l’auraient mal informé sur la situation réelle, mais ;

      1 Biden à une extraordinaire histoire de mauvais jugement en politique étrangère.

      https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/08/biden-afghanistan-record/619799/

      2 Les militaires étant subordonnés aux politiques, aussi incompétents soient t’ils c’est toujours la faute des politiques qui les ont nommés.

      3 Je ne crois tout simplement pas que ce soit le cas. Biden a pris une décision stupide, nié contre toute évidence qu’elle était stupide, et a craqué mentalement quand il s’est rendu compte de l’étendue de sa bêtise, d’où son impossibilité à le joindre même par les Britanniques pendant plusieurs jours, et la torpeur Américaine à réagir.

      Ce type ne devrait pas être là. S’il y a des co-responsables ce sont ceux qui ont lancé la campagne de propagande la plus intense de l’histoire contre leur propre peuple parcqu’il a eu outrecuidance de mal voter en 2016.

      • Les américains savaient que l’armée afghane était en train de se désintégrer. De nombreux aéronefs de l’armée de l’air afghane ont fuit dans les pays limitrophes depuis le moi de mai par exemple.
        Les services américains ont immanquablement informé l’administration Biden…qui a décidé de ne pas écouter. Cette administration a par ailleurs eu le culot de jouer la surprise devant l’effondrement de l’armée afghane blâmant ainsi implicitement les services secrets américains.

    • Les services de renseignements ont prévenu Biden du risque d’une prise rapide de l’Afghanistan par les talibans, c’est Biden qui en dernier ressort n’a pas suivi leur recommandation et a accéléré le départ. C’est Biden qui a demandé de partir du jour au lendemain de Bagram sans en avertir au préalable les forces armées afghanes. Biden est connu pour être très mauvais en relation internationale. Robert Gates au sujet de Biden : « I think he’s been wrong on nearly every major foreign policy and national security issue over the past four decades. »

      • Ne changer pas de sujet, que les forces armées soient bonnes ou mauvaises, là n’est pas la question. C’est le minimum de prévenir ses alliés de son départ.
        Vous me parlez de Trump, je n’ai pas de boule de cristal, impossible de savoir comment il aurait géré le retrait (bien que son retrait de Syrie se soit mieux passé).
        Les arguments foireux ont l’air de votre côté. Sortez du microcosme médiatique français, les journalistes et journaux américains pro-démocrate l’on critiqué sur le cirque afghan.

    • @dekkard
      Bonjour,
      « .ça aurait été Trump ou un autre qui aurait décidé de rester là personne n’aurait rien dit,  »
      Justement, c’est Trump qui a décidé le retrait des troupes. C’était une de ses promesses de campagne. Il a été littéralement conspué par les démocrates et tout les warmongers que comptent le Congrès.

      Je suis tout de même surpris que les alliés soient pris de court et se sentent « trahis » pour reprendre le sentiment de trahison des britanniques, alors que le retrait des troupes américaines était annoncé, et planifié, par l’Administration Trump, depuis plus d’un an.

  • « le retrait américain a bien été négocié il y a plus d’un an avec les talibans eux-mêmes »

    Ce que j’aimerais comprendre, c’est comment la présidence américaine a négocié le retrait avec les stratèges militaires et géopolitiques américains.

  • Il faut raison garder, la base de Bagram deviendra rapidement une ruine inutilisable, les talibans n’ont pas la logistique et le personnel spécialisé pour la maintenir en état, encore moins pour en profiter (et probablement que l’armée afghane était dans la même situation)

    Je n’ai pas de sympathie pour le zombie de la maison blanche mais pour une fois il a raison: l’armée américaine ne pouvait gagner une guerre à la place des Afghans alors que ceux-ci ne voulaient pas la mener. Les Afghans renommés comme combattant n’ont pas réussi à rassembler une force suffisante pour tenir tête et éliminer 75.000 combattants talibans alors que toutes les tribus sont armées! Cela prouve que les talibans jouissent d’un énorme soutien quoique puisse en dire les occidentaux.

    L’erreur de Biden est de ne pas avoir tenu la calendrier de Trump et ne pas avoir commencé l’évacuation plus tôt, bien avant que les talibans soient à Kaboul. Du coup un retrait qui aurait pu être en bon ordre est devenu un chaos invraisemblable

    • « les talibans n’ont pas la logistique et le personnel spécialisé pour la maintenir en état,  »
      Parce que vous ne croyez pas que les chinois, les iraniens, les pakistanais (alliés historiques), coréens du Nord et même les russes ne vont pas proposer leur bons services gratuitement pour entretenir tout cela et, au passage, glaner qq renseignements techniques? 🙂
      Ne jamais sous-estimer son adversaire…

      • Cette base n’a absolument aucune utilité stratégique ou tactique pour eux et tout ce qui était sensible a été enlevé.
        Sa seule utilité est comme symbole politique: une « forteresse américaine » en ruine avec un drapeau taliban dessus.

  • Les américains ont eu raison de quitter un pays dont le peuple entier à l’exception d’une minorité dirigeante corrompue à ouvert ses portes aux talibans. L’histoire se répète. Au Sud Viêtnam, la configuration était identique : un peuple qui en avait assez de ses dirigeants corrompus à ouvert ses portes aux combattants communistes. Les camps de rééducation communiste qui ont suivi sont similaires aux camps de rééducation que vont mettre en place les talibans pour rééduquer ceux qui ont cru que la société civile ne pouvait pas être islamique.
    La démocratie ne s’impose jamais. Elle est le résultat d’une lente évolution des peuples vers un modèle de gouvernance de droit qui ne dépend pas de la religion, du sexe, de la richesse ou de la couleur de peau des individus.
    Même nos démocraties occidentales n’ont pas réussi à atteindre cette égalité de droit. Alors, ne parlons d’un pays corrompu et refusant d’accepter les autres religions.

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