La liberté et ses traîtres – Six ennemis de la liberté, d’Isaiah Berlin

Isaiah Berlin montre que cinq fils des Lumières ont trahi la liberté qu’ils prétendaient défendre.

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La liberté et ses traîtres – Six ennemis de la liberté, d’Isaiah Berlin

Publié le 8 août 2021
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Par Francis Richard.

Ce livre a paru en anglais en 2002 sous le titre Freedom and Its Betrayal – Six Ennemies of Human Liberty. Il rassemble six conférences d’Isaiah Berlin enregistrées par la BBC à l’automne de 1952.

Lors de ces conférences publiées cinq ans après sa mort, Isaiah Berlin montre que cinq fils des Lumières ont trahi la liberté qu’ils prétendaient défendre et en avaient une conception singulière, très actuelle.

Le sixième était un ennemi déclaré. Il est donc difficile de le qualifier de traître. Si Berlin lui a consacré une de ces conférences, c’est bien parce que la liberté a besoin de critiques autant que de partisans.

Helvetius

Le premier de ces ennemis est Claude-Adrien Schweitzer (Helvétius est la traduction latine de son patronyme) :

« Toute sa vie, il tenta de découvrir un principe unique capable de jeter les bases de la morale et de répondre réellement aux questions sur la meilleure manière de fonder la société, sur la façon dont l’homme devait vivre et comment il devait agir, avec le même degré d’autorité scientifique que Newton dans le domaine de la physique. »

Le principe qu’il découvrit était le suivant :

« La poursuite du plaisir et l’évitement de la douleur sont les seuls mobiles qui agissent effectivement sur les hommes, de même qu’on dit que la gravitation et d’autres lois de la physique agissent sur les corps inanimés. »

Comment réaliser l’objectif de rendre les gens heureux ?

« Pour agir de façon efficace, [le législateur] doit faire en sorte qu’il vaille la peine pour les hommes, de faire ce qu’il veut qu’ils fassent, et non pourquoi il agit de la sorte; il doit le leur faire faire, qu’ils le veuillent ou non […].

C’est une fois que la législation coercitive est en place, que vient le tour de l’éducateur […].

Ce qu’il nous faut, c’est un monde gouverné par les savants, parce qu’en définitive, être bon, être sage, être savant et être vertueux ne sont qu’une seule et même chose. »

Jean-Jacques Rousseau

Pour Rousseau, la liberté est une valeur absolue :

« Dire qu’un homme est homme et dire qu’il est libre, c’est quasiment la même chose. »

Mais il est une autre valeur absolue : les bonnes règles, qui sont inhérentes à l’Homme.

Comment résoudre ce dilemme ?

« Si l’on peut faire en sorte que [les hommes] aiment les règles, alors ils les désireront non pas tant parce que ce sont des règles, mais parce qu’ils les aiment […]. Forcer un homme à être libre, c’est le forcer à se comporter de manière rationnelle. […] S’il ne veut pas une fin rationnelle, il ne veut pas vraiment; s’il ne veut pas une fin rationnelle, il ne veut pas une vraie mais une fausse liberté. »

Johann Gottlieb Fichte

Fichte soutenait que l’individu devait être absolument libre.

Dans son esprit, cela signifiait que la loi était tirée de notre être propre :

« Je ne suis libre que si je fais des choses que personne ne peut m’empêcher de faire, et je les fais uniquement si c’est mon être intérieur, mon Moi, qui agit, si rien d’autre ne vient l’entraver. »

Cette conception n’est pas individualiste :

« Le vrai Moi, le Moi libre, n’est pas le moi empirique revêtu d’un corps, celui qui a son temps et son lieu, mais un Moi commun à tous les corps ; c’est un super-moi, un Moi plus vaste, divin, qu’il commence peu à peu à identifier tantôt avec la nature, tantôt avec Dieu, tantôt avec l’histoire, tantôt avec une nation. »

Les disciples de Fichte en arrivèrent à l’idée de la liberté comme élimination des obstacles rencontrés…

Georg Wilhelm Friedrich Hegel

Pour Hegel :

« L’univers est comme une sorte d’entité possédant une âme, à peu près de la même manière que les individus ont des âmes, des intentions, des fins, des volontés, mais bien sûr en beaucoup plus grandiose… »

Comment savons-nous quelle direction il prend ?

« Parce que nous en faisons partie. Parce que chaque individu est un élément fini d’un tout infini, qui, considéré collectivement, possède une certaine finalité et une certaine direction. »

Par quel mécanisme ?

« L’esprit fonctionne selon ce qu’il appelle la dialectique. »

Une première idée vient, c’est la thèse ; une seconde vient en collision avec elle, c’est l’anti-thèse ; une troisième retient des éléments de chacune, c’est la synthèse, la cause du progrès :

« Ces forces ne sont pas simplement des pensées dans la tête des gens ; elles s’incarnent dans des institutions, des Églises, dans des constitutions politiques, peut-être dans de vastes entreprises humaines, par exemple les migrations des peuples ou les révolutions, ou dans de vastes développements intellectuels, où la thèse et l’antithèse, dans leur état constant de tension réciproque, sont portées à leur paroxysme. »

Dans cette conception, le schéma importe plus que l’individu et de tous les schémas, c’est l’État qui occupe le rang le plus haut…

Et la liberté ? Elle n’a pas sa place dans le schéma hégélien :

« Il ne peut y avoir de liberté là où l’obéissance au schéma est la seule expression de soi, là où ce qu’on appelle la liberté n’est pas la possibilité d’agir dans une sorte de vide, aussi réduit soit-il, laissé à votre choix personnel et soustrait à toute intervention. »

Henri de Saint-Simon

Saint-Simon donne quatre critères du progrès :

« – La société progressiste est celle qui offre le maximum de moyens pour satisfaire le maximum de besoins chez les êtres humains qui la composent.

– Tout ce qui est progressiste offre aux meilleurs l’occasion d’occuper le premier rang.

– C’est l’existence de dispositions assurant le maximum d’unité et de force en cas de rébellion et d’invasion.

– C’est la mise en oeuvre de circonstances favorables à l’invention, aux découvertes, à la civilisation. »

Pour que ces critères soient remplis :

« Il faut remplacer le lamentable gâchis qu’est la libre concurrence par une planification concertée. Pour diriger ce système il nous faut des élites »

Elles doivent pratiquer deux sortes de morale, en suivre une et en prêcher une autre au troupeau humain qu’elles dirigent :

« La liberté, la démocratie, le laisser-faire, la féodalité, toutes ces notions métaphysiques, ces slogans, ces mots sans grande signification, doivent laisser place à quelque chose de plus clair, de plus neuf, de plus audacieux : la grande entreprise, le capitalisme d’État, l’organisation scientifique, une organisation mondiale, un parlement mondial, une fédération mondiale. »

Joseph de Maistre

Joseph de Maistre n’a eu de cesse de détruire la pensée du XVIIIe siècle :

« Au lieu des idéaux de progrès, de liberté et de perfectibilité, il prêcha le caractère sacré du passé, la vertu et même la nécessité d’une complète sujétion, parce que la nature humaine était irrémédiablement mauvaise et corrompue. Au lieu de la science, il prêcha le primat de l’instinct, de la superstition, du préjugé. Au lieu de l’optimisme, le pessimisme. Au lieu de l’harmonie et de la paix éternelles, la nécessité – à ses yeux divine – du conflit, de la souffrance, de la guerre etc.»

Ce contre quoi il proteste le plus, c’est l’idée reçue selon laquelle c’est la raison qui est la grande souveraine des choses. Ceux contre qui l’ordre social doit être préservé sont tous ceux qui constituent l’intelligentsia. Ceux qu’il exècre le plus, ce sont les savants.

Pourtant Isaiah Berlin reconnaît à l’oeuvre de cet ennemi de la liberté le mérite d’être un antidote violent aux doctrines boursouflées, exagérément optimistes et dans l’ensemble superficielles du XVIIIe siècle…

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  • Les gens de gauche bien évidemment honorent ces perfides personnages

  • A la décharge de Saint Simon, c’était bien avant le communisme.
    Son raisonnement est purement utilitariste (ce qui a ses travers aussi), il était pour un système communiste car il pensait que cela augmenterait la production de richesses, et non pour établir l’égalité ou la lutte des classes. En voyant l’inefficacité du système, il aurait peut être changé d’avis…

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