Données personnelles : les Français parmi les moins préoccupés de leur utilisation

La décision de fournir volontairement nos données personnelles souvent sensibles à des sujets tiers ouvre à des questionnements légitimes.

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Données personnelles : les Français parmi les moins préoccupés de leur utilisation

Publié le 14 mars 2021
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Par Monica Grosso1.
Un article de The Conversation

Depuis plusieurs années, des entreprises de tous les secteurs pratiquent la collecte de nombreux types de données sur ses clients. Nous en sommes conscients, à l’ère du numérique et du big data : nos habitudes et nos comportements sont de plus en plus enregistrés, souvent par des systèmes automatiques que l’on ne perçoit pas forcément.

La décision de fournir volontairement nos données personnelles souvent sensibles à des sujets tiers ouvre à des questionnements légitimes sur le stockage et l’utilisation que les entreprises en feront ensuite. On observe d’ailleurs des préoccupations grandissantes sur ces questions.

Dans la dernière étude de l’entreprise de sondage française Ipsos sur le sujet, plus d’un répondant sur deux déclarait se soucier davantage de ses données personnelles qu’un an plus tôt. Les affaires de fuite de données, à l’image du scandale Cambridge Analytica de 2018 qui concernait 87 millions de comptes Facebook, ont sans doute pu contribuer à cette prise de conscience.

Plus récemment, la question de la sécurité des données est revenue dans le débat lorsque les gouvernements ont mis en place des applications de traçage des déplacements des citoyens pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Le faible taux d’adhésion à cette initiative dans la plupart des pays, comme celle pour l’application TousAntiCovid (anciennement StopCovid), a encore montré l’évidente préoccupation des individus par rapport à leurs données.

Disparités mondiales

Pourtant, ces préoccupations ne sont pas toutes au même niveau dans le monde. C’est ce que nous avons pu observer à l’occasion d’une étude menée auprès de 22 050 consommateurs dans 14 pays.

Nos résultats montrent que les préoccupations des clients concernant leurs données personnelles sont liées à quatre dimensions :

  • La collecte des données de la part des entreprises, en termes de facilité de la collecte et de quantité de données collectées ;
  • L’accès à leurs données de la part de tiers externes à l’entreprise avec laquelle ils partagent leurs données ;
  • La précision des données en possession des entreprises, suite par exemple au manque de mise à jour ou à des erreurs dans les bases de données ;
  • L’utilisation des données de la part des entreprises une fois qu’elles ont été partagées (ex. suggestions non désirées, spamming des boites mail, etc.).

Le graphique 1 montre les différences entre les pays sur ces quatre dimensions de préoccupation des clients. Les pays avec le niveau de préoccupation plus bas sur les quatre dimensions sont l’Italie, l’Espagne, le Japon et la France tandis que le Royaume-Uni, le Mexique, l’Australie, le Canada, les États-Unis et l’Afrique du Sud sont les pays avec un niveau de préoccupation plus élevé.

Graphique 1 : Niveau de préoccupation de plusieurs pays face aux 4 dimensions de la collecte de données. Auteur (D.R)

 

Les résultats concernant les pays européens, dont la France où la population se montre moins préoccupée que les autres, apparaissent cohérents avec l’introduction, mi-2018, du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Ce nouveau cadre législatif, particulièrement précis et strict par rapport à ceux d’autres pays, a imposé aux entreprises d’être plus transparentes sur la collecte des données personnelles et sur leur utilisation, ce qui peut expliquer le moindre niveau des préoccupations dans ces pays.

Le « paradoxe » de la vie privée

Après avoir analysé les préoccupations des clients, nous pouvons nous focaliser sur leur volonté à fournir des informations personnelles avec les entreprises. Nos résultats démontrent que l’avis des clients sur ce sujet n’est pas le même pour tous les types de données qu’ils peuvent être amenés à partager avec une entreprise.

On peut classifier les données personnelles en deux grandes catégories :

  • Des données non sensibles, c’est-à-dire auxquelles les clients n’accordent pas beaucoup d’importance. Les entreprises ont en effet généralement la possibilité de les collecter en forme anonyme même si le client fait le choix de ne pas les partager. Par exemple ses caractéristiques démographiques (sexe, âge, etc.), ses hobbies, ses habitudes d’achat, ses préférences sur les produits, les marques et les médias de communication, etc.
  • Des données sensibles, c’est-à-dire des informations privées auxquelles les clients accordent plus d’importance, par exemple, adresse, téléphone, données financières (revenus, numéro de carte de crédit, etc.), état de santé, etc.

Le graphique 2 montre les différences dans la volonté des clients à partager ces deux types d’information entre les pays. Il est intéressant de noter que les Français qui, comme nous l’avons vu, se distinguent par un niveau de préoccupation général moins élevé, se montrent parmi les plus réticents à livrer leurs données sensibles.

Graphique 2 : Disponibilité des individus à partager des données non sensibles (gauche) et des données sensibles (droite) avec les entreprises. Auteur (D.R)

 

A contrario, les pays avec un niveau de préoccupation général plus élevé, comme l’Afrique du Sud, se retrouvent parmi les plus enclins à partager leurs données sensibles. Ces comportements s’apparentent à un phénomène du « paradoxe de la vie privée », que souligne la contradiction entre l’attachement à la protection de ses données personnelles et un comportement de partage volontaire d’informations privées avec des sujets tiers.

En tenant compte de ce paradoxe, on pourrait donc qualifier les Français de clients prudents : même s’ils déclarent ne pas se soucier beaucoup de leurs données, cela ne signifie pas qu’ils ne s’interrogent pas sur le devenir de ces dernières, notamment les plus sensibles, lorsqu’une entreprise les leur demande.

Les entreprises ont tout intérêt à intégrer ces différentes sensibilités dans leur activité, notamment en travaillant sur la confiance qu’elles génèrent auprès de leurs clients. En effet, comme l’explication de la mise en place du RGPD le suggère, un cadre jugé sûr permet de faire baisser le niveau de préoccupation.

Les résultats de notre étude viennent ainsi confirmer l’importance de cette confiance du client et précisent qu’elle intervient à trois niveaux : dans la culture du pays (qui intègre la dimension institutionnelle et juridique), au sein de l’entreprise en question, ainsi qu’au niveau du personnel de l’entreprise.

Sur le webThe Conversation

  1. Professeur de Marketing, EM Lyon.
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  • Perso, je ne suis pas préoccupé de toutes ces données. Je surf anonyme, je n’ai pas FB et autres résososio.
    Je suis plus préoccupé de savoir que le fisc connait mes comptes et mes revenus, que la secu sait tout de ma santé, etc..

    • Facile pour le fisc de connaître les comptes et revenus de ceux qui n’ont rien à cacher surtout avec la complicité des banques.
      Plus difficile de s’attaquer à certains quartiers où la discordance du train de vie et du revenu déclaré est pourtant flagrante.

    • Effectivement, Google, Facebook et Amazon, contrairement à l’Etat n’ont pas la possibilité de perquisitionner chez moi, de m’envoyer en prison ou de me liquider physiquement.

  • Pour l’utilisation « commerciale », du genre à vous proposer un monte-escalier parce que vous venez d’acheter un bâton de marche ou à vous faire appeler tous les jours par une voix enregistrée parce que vous avez prononcé « isolation » quand vous vouliez dire « isolement », il y a sans doute plus de résignation que de manque de préoccupation. Les procédures pour se protéger sont d’une telle complication !
    Pour l’utilisation « policière », l’expérience montre que l’Etat serait bien en peine de mettre en place une exploitation sans trop de bugs, alors on est philosophes…

  • Article a-libéral.

    La summa divisio est la suivante:

    soit vous communiquez vos données à travers une démarche volontaire et libre,de caractère contractuel, et, dans ce cas, en tant que libéral, je ne vois pas pourquoi l’état doit intervenir dans ce processus.

    soit c’est le monopole de la violence (l’état) qui contraint, bien sûr pour des « bonnes » et « vertueuses » raisons, des firmes privés de collecter des data, sur elles-mêmes ou sur leurs contreparties, et de les tenir à sa disposition.

    Ce phénomène, qui diffuse la violence de l’état dans tous le corps social, est évidemment abject aux yeux d’un libéral.

    By the way, Cambridge analytica est un faux scandale, comme la propagande en produit régulièrement pour « guider » les populations affollées. Cela fait en effet des décennies que les campagnes électorales utilisent des data -collectées de manière volontaire- pour cibler leur publicité électorale.

    Quoi qu’il en soit, de tels articles, en ce qu’ils occultent cette différence essentielle, sont des invitations complices à la règlementation/restriction de la liberté contractuelle des individus pendant que l’état/big brother, de son côté, dissimulé par ce faux débât, accumule tranquillement des « droits » d’espionnage et donc de contrôle de ses citoyens pratiquement sans limite. L’état et bien entendu, ceux qui dans les big businessses l’instrumentalisent (ou qui s’en font les instruments, ce qui revient au même).

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