Robinhood, vraiment un Robin des bois ?

Robinhood veut bien être Robin des Bois tant qu’il gagne de l’argent, mais quand cela risque de le mettre en péril, l’histoire est tout autre. Retour sur l’affaire Gamestop qui a agité les marchés financiers.

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robin hood source https://unsplash.com/photos/nXhJ4v_GphQ

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Robinhood, vraiment un Robin des bois ?

Publié le 20 février 2021
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Par Philippe Alezard.

Robin des Bois est de retour, et avec lui, une armée de petits porteurs qui va s’en prendre aux usurpateurs du pouvoir financier, au Jean Sans Terre des marchés, les fonds d’investissement vendeurs à découvert. Robinhood et son armée de hors-la-loi, les WallStreetBets, WBS, vont ridiculiser le nouveau shérif de Nottingham, à savoir WallStreet. C’est MainStreet contre WallStreet.

Robinhood créée en 2013 est une plateforme de trading qui souhaite démocratiser l’accès aux produits financiers par le biais d’un outil extrêmement simple, gratuit, et accessible via un téléphone portable. On reviendra plus loin sur ladite gratuité du service. L’objectif est de réunir un maximum de petits porteurs. Ceux-ci pourront se voir offrir l’opportunité d’acheter tout type d’action ou d’option grâce au trading on margin.

Pour le client, le trading sur marge consiste en l’ouverture d’un compte de marge avec lequel il va payer seulement un pourcentage de l’actif qu’il souhaite acheter. Il emprunte la différence à son broker, en l’occurrence Robinhood, qui de fait, agit comme un préteur et l’actif détenu agit comme le collatéral de sécurité. C’est l’effet de levier qui permet de multiplier les gains mais également les pertes.

C’est la qu’interviennent les fameux appels de marge quand l’actif prend le sens contraire de votre « pari ». Dans ce cas, pas d’autres choix que de créditer à nouveau le compte de marge ou de sortir à perte son achat.

Robinhood sur Reddit

Reddit est un site web communautaire partageant tout type d’actualité par le biais de forum, des subreddits, dont l’un des plus actifs actuellement, visant à lutter contre des marché financiers et leurs spéculateurs, est WallStreetBets (WSB).

Avec la pandémie du covid et les confinements, Robinhood et WallStreetBets ont connu une progression en miroir avec chacun plus de trois millions d’utilisateurs supplémentaires. Selon une étude de Envestnet Yodlee une grande partie du fameux Stimmy Check, chèque de stimulus de 1200 dollars versé par le gouvernement américain, s’est retrouvée massivement investie sur les marchés financiers et en grande partie par le biais de Robinhood, qui est devenu le bras armé de WSB.

Sur la base des derniers chiffres publiés en juin 2020, Robinhood comptait 13 millions de clients, et était devenu le premier broker américain, loin devant les anciens leaders, avec une moyenne journalière de 4,3 millions de trades. MainStreet va pouvoir prendre sa revanche sur WallStreet. Les 99 % vont enfin pouvoir prendre le pouvoir des fameux 1 %. La communauté WSB a une cible, les fonds vendeurs à découvert et s’est donné un objectif noble : sauver Gamestop.

L’action Gamestop s’envole

Gamestop, fin 2020, ce sont un peu plus de 5500 magasins de ventes de jeux-vidéo, contre 7535 fin 2017, dont 413 en France sous l’enseigne Micromania. Pour la petite histoire, la France est le pays le plus important en nombre de magasins pour la société, hors États-Unis.

L’enseigne passe de 23 000 employés en 2017 à 14 000 en 2020. Le chiffre d’affaires est en baisse chaque année et le résultat d’exploitation négatif. Le business model souffre face aux plateformes de jeux en ligne et face aux ventes en lignes et semble, si ce n’est voué à l’échec, bien mal en point. Donc logiquement, un certain nombre d’acteurs, dont c’est le métier, s’était positionné à la vente sur le titre. Parmi eux, Citron Capital et Melvin.

Les risques du short selling, la vente à découvert, sont infinis contrairement à un achat. Un titre que vous achetez 20 dollars, ne peut perdre au maximum que 20 dollars, mais a contrario, peut monter, en théorie, à l’infini. Ce risque impose aux vendeurs à découvert de couvrir ce risque en rachetant leur position à un niveau défini ou en en achetant des options d’achats. J’ai déjà eu l’occasion de définir les bénéfices et inconvénients de la vente à découvert ainsi que l’intérêt pour le marché.

La communauté WSB veut forcer ces vendeurs à découvert à perdre beaucoup d’argent en les forçant à se racheter. Par le biais de Robinhood, elle se met à acheter massivement le titre Gamestop, notamment par le biais d’option d’achat, ce qui amplifie d’autant plus les achats sur le titre Gamestop. Le 22 janvier, ce sont plusieurs millions d’acheteurs qui entrent simultanément dans le casino avec l’argent public distribué par le gouvernement américain. L’action Gamestop s’envole de 42 dollars à 150 dollars en deux séances.

Elon Musk à la rescousse

Le mercredi 27 janvier, les WSB trouvent un soutien de poids, Elon Musk, dont la haine envers les vendeurs à découvert n’est plus à démontrer. Par un simple tweet, Gamestonk, il fait exploser le titre qui va coter un plus haut à 483 dollars le jeudi 28 janvier. Il faut dire que l’excentrique patron de Tesla est un grand spécialiste du genre, s’amusant à faire exploser les cours du dogecoin, du bitcoin et malgré lui de Signal.

Dès le 21 janvier Citron Capital a jeté l’éponge dans la bataille, laissant au passage quelques belles plumes. Autres acteurs fortement impactés, Robinhood lui-même qui s’est trouvé pris à son propre piège. Car l’histoire est bien plus complexe que ce que pouvaient imaginer les militants de WSB. Robinhood est une plateforme de trading mais pas un market maker. Pour accéder à la place boursière du NYSE, New York Stock Exchange, Robinhood doit passer par un market maker.

Robinhood et Citadel

En l’occurrence il s’appuie sur Citadel, un des principaux market maker mondiaux et actionnaires de Melvin. Ce même Melvin, vendeur à découvert de Gamestop, qui devra être recapitalisé par Citadel, à hauteur de 2,5 milliards de dollars.

Robinhood, comme toute société a besoin de revenus pour vivre. Or le trading sur sa plateforme est dit gratuit. Tout le monde sait que lorsque un service est gratuit c’est que l’utilisateur du service est le produit. Rappelons nous que le service « offert » est le trade sur marge. Les sources de revenu pour Robinhood sont directement liées à ce type de trading.

La première de ces sources est le taux d’intérêt appliqué aux emprunts pour acheter l’actif. C’est un écart qui est appliqué entre le vrai prix de l’action coté sur le marché et le prix auquel va l’acheter le client Robinhood. Ce que l’on appelle le spread.

Ensuite, puisque le client ne possède qu’une partie de l’actif, l’actif lui-même est détenu par Robinhood qui peut le prêter, moyennant un intérêt, aux hedge funds ou toute autre investisseur qui souhaite le vendre à découvert, drôle d’ironie.

Robinhood offre un abonnement premium, qui constitue une source supplémentaire de revenu.

Et enfin, nous sommes dans le monde du numérique et du big data. Les millions d’utilisateurs de la plateforme passent des millions d’ordres d’achats et de vente d’action et d’options. Robinhood vend ce flux aux market makers, comme Citadel et autres fonds de trading haute fréquence.

Les robots de ceux-ci vont l’analyser, le décrypter afin d’en extraire un comportement et ces mêmes robots vont se placer quelques millièmes de seconde avant afin de tenter d’anticiper la demande. Ces millions d’aller-retour de quelques centimes par jours font des milliards de dollars à la fin du mois.

Selon le Wall Street Journal, Citadel aura été le principal gagnant de l’affaire Gamestop. 30 % des flux de trading sur Gamestop ont été traités par Citadel. Autant dire que la société pouvait facilement recapitaliser Melvin.

En apportant sur le marché ces millions d’ordres, les WSB vont faire s’envoler la volatilité intraday et implicite. Et là, vont entrer en jeu tous les fonds spécialisés dans l’arbitrage et la gestion de cette volatilité. D’un autre coté ces mêmes WSB achetant des millions d’actions ou d’options Gamestop vont par ailleurs créer un risque de contrepartie. Il n’y aura peut-être pas assez de vendeurs au moment de la livraison des actions.

Robinhood doit se protéger quand il perd de l’argent

C’est là qu’interviennent les appels de marges. Les volumes d’actions mis en jeu pour la livraison quotidienne ainsi que la volatilité de celles-ci, font que Robinhood fait face à un manque de liquidité le soir lors de la compensation. Alors Robinhood veut bien être Robin des Bois tant qu’il gagne de l’argent, mais quand cela risque de le mettre en péril, l’histoire est tout autre.

Il doit se protéger, et pour cela pas d’autre solution que de limiter les achats de ses clients. Le 28 janvier, la communauté est informée que l’accès aux titres Gamestop est suspendu. Dès le 21 janvier l’action passe dans la journée de 483 dollars à 161 dollars.

Une fois encore, les premiers gagnants, et surtout les gagnants à coup sûr, sont le market maker, Robinhood et les fonds qui étaient investis sur le titre Gamestop, qui eux, connaissent et maitrisent les règles de WallStreet. Certes de nombreux WSB ont gagné dans cette opération, mais d’autres ont perdu beaucoup d’argent ou vont en perdre encore beaucoup. À l’heure où j’écris cet article, l’action Gamestop vaut 50 dollars. Que vont devenir tout ceux qui, dans l’euphorie ont acheté à 200, 250 ou 400 dollars ?

Comme son nom l’indique l’industrie financière est une industrie, avec ses règles, ses codes, sa régulation. C’est avec le nucléaire et le domaine de l’aérien probablement l’industrie parmi les plus réglementées au monde. Elle n’est ni bonne ni mauvaise, il n’y a pas, d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Ce n’est pas le lieu pour des insurrections ou autre révolutions.

Vouloir à tout prix, faire s’envoler Gamestop, Balckberry, Nokia et quelques autres sociétés cibles de WBS, n’a strictement aucun intérêt pour lesdites sociétés. L’intérêt est purement spéculatif pour WBS et par conséquent bien singulier comme démarche pour dénoncer cette même spéculation.

Gare aux pompiers pyromanes

Il y a des régulateurs, des faiseurs de lois que nous élisons démocratiquement. C’est à ce niveau que la finance doit être règlementée et jugulée si nécessaire. Mais gare aux pompiers pyromanes. C’est le politique qui fait l’économique, et c’est l’économie qui influe sur la finance et non l’inverse. Or, depuis des années le politique a démissionné de sa fonction en choisissant la facilité du whatever it takes ou du  quoiqu’il en coûte.

Certes, la pandémie méritait un traitement économique et financier spécifique, du fait de la mise en confinement de toutes les activités, mais les torrents de liquidités viennent hypertrophier des actifs qui lévitent déjà dangereusement en bulles. Les marchés financiers ont perdu toute notion de valeur, toute rationalité. La théorie de l’efficience du marché, chère à Eugène Fama, est définitivement obsolète.

C’est devenu un immense casino ouvert à tout type de pari, pris en fonction de tels ou tels tweets. Les transactions sont déconnectées de la valeur sur laquelle portent ces transactions. Alors que l’économie mondiale connaît son plus fort ralentissement, le cours de toutes les matières premières explosent par rapport à leurs prix d’avant crise : le pétrole, l’or, l’argent, le cuivre, mais également le coton, le café, le soja, le blé. Tous les indices boursiers battent records sur records.

L’effet Cantillon confirmé

L’hélicoptère monnaie budgétaire américain a permis une fois de plus de confirmer l’effet Cantillon. L’inflation se loge au plus près de l’injection monétaire.

Cette affaire Robinhood, Reddit, est très révélatrice de l’ère dans laquelle nous sommes projetés. Une ère où Darwin et Schumpeter n’ont plus de place. Les économies de tous les grands pays se sont figées il y a maintenant plus d’un an.  Depuis 2008, elles étaient déjà sous respirateur monétaire.

La pandémie a pérennisé cet état végétatif. Personne n’osera débrancher les perfusions. Pire, chaque jour on augmente les doses de dollars ou d’euros.

Madame Lagarde, d’un coté, parle de bazooka monétaire, et du coté du président Biden, fraichement élu, les enchères sont ouvertes. Ce n’est pas 3 %, 5 % ou 7 % mais c’est l’équivalent de 9 % du PIB qui se déversera sur les États-Unis avec toujours les mêmes effets, le creusement des inégalités.

Ce creusement des inégalités, cette ségrégation entre ceux ayant accès aux richesses et les autres se cristallisent sur les réseaux sociaux. Les institutions, les gouvernements, les démocraties ont déjà été mis à mal, les garde-fous ont tous sauté les uns après les autres. Malheureusement, les femmes et hommes politiques usent et abusent de ces réseaux.

Durant les quatre dernières  années, Donald Trump a répandu ses fake news à longueur de journée. Quand Robinhood suspend l’accès au marché, Elisabeth Warren et Bernie Sanders sautent sur l’occasion traitant le marche et l’économie de  rigged game. Le domaine de la finance qui se pensait peut-être à l’abri ne l’est plus. Une communauté, un influenceur peuvent déstabiliser un système dont l’équilibre est déjà plus que précaire.

La science, la raison doivent reprendre la place qui est la leur. Celle de pilier du développement. Elles ont montré qu’elles pouvaient vaincre en quelques mois un ennemi planétaire qui s’en prenait à toute notre espèce. Elles devront être accompagnées et encadrées par le politique qui devra également retrouver la raison et le courage de mettre fin à des années d’errements économiques afin de donner l’impulsion nécessaire à une juste répartition des richesses.

Cet article a été publié une première fois sur le site de l’Institut Sapiens.

 

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  • le seul sujet de discussion économique politique légitime ça devrait être la création de monnaie..

  • spéculez, spéculez ! il en restera toujours le néant !
    et que devient le brick and mortar dans ces paradis de l’illusion de richesse mal acquise en plumant les petits ?

  • Coquille: « préteur » est un magistrat de la Rome antique. A ne pas confondre avec « prêteur ».

  • Je veux bien que Robinhood ne soit pas exactement une bande de justiciers désintéressés, j’en suis même certain. Mais de là à se servir de cette critique pour faire passer les acteurs de la finance et de l’état pour des parangons de la science et de la raison, c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité.
    Et quant à « donner l’impulsion nécessaire à une juste répartition des richesses », c’est le dernier coup de pelle collectiviste qui achève définitivement le peu de légitimité qu’a cet article partisan.

  • C’est quoi « une juste répartition des richesses » ?

    Pour le sent-la-pisse en sarouel, c’est de prendre à ceux qui produisent pour financer les parasites qui boivent et fument leurs allocations dans l’oisiveté la plus totale.

    Pour celui qui produit de la richesse, c’est de ne pas se faire racketter outre-mesure : huiler les boulets pour qu’ils roulent (afin qu’ils ne le fassent pas trop chier) plutôt que de les porter.

    Pour le politicien professionnel, c’est d’arroser sa clientèle électorale afin qu’ils votent pour lui.

  • La théorie de l’efficience du marché, chère à Eugène Fama, est définitivement obsolète.

    Ah, bon?
    Je suppose que l’auteur est donc multimilliardaire car il connait une information pertinente qui n’est pas présente dans les prix de l’instant et donc qu’il peut donner une espérance des prix à terme plus juste que simplement la valeur présente ?
    Ce serait un truc à gagner le Nobel et se faire aduler par des millions de militants « anti-marchés », d’ailleurs, mais « hélas » (pour ces « anti-marchés » tous les tests conduits sur l’efficience dans les pays développés concluent au « non-rejet ». Il y a bien parfois des « effets » étranges qui sont détectés mais 1° dès qu’ils le sont, ils disparaissent, et 2° ajustés des coûts de transactions, ils sont non-significatifs…
    Mais bon, l’anticapitalisme, « anti-marché-isme » est présent désormais même au sein de ‘l’institut Sapiens’ et du prix Turgot… et sur Contrepoints. A moins que ça ne soit simplement de l’incompréhension de ce qu’est l’efficience (informationnelle) des marchés, un peu comme les gens qui en niant « la main invisible » montrent surtout qu’ils n’ont pas lu ou pas compris Smith.

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