Sedan 1870 : un désastre annoncé

Aux yeux des républicains, Sedan était la conclusion inévitable d’un régime méprisable inauguré par le coup d’État.

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Image from page 697 of "Medieval and modern times : an introduction to the history of western Europe form the dissolution of the Roman empire to the present time" (1919) By: Internet Archive Book Images - Flickr Commons

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Sedan 1870 : un désastre annoncé

Publié le 2 septembre 2020
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Le 2 septembre 1870, il y a 150 ans, Napoléon III se rendait aux Allemands à Sedan. Pendant 70 ans, le nom de Sedan devait symboliser la honte et la capitulation. Comment cette sous-préfecture des Ardennes est-elle devenue synonyme de désastre pour les Français ?

Le Second Empire ne pouvait survivre à cette humiliation. Mais l’empereur n’était plus maître de son destin depuis plusieurs semaines déjà. La chute du cabinet Ollivier avait marqué de fait la fin du règne de Napoléon III. Dès le 8 août, l’impératrice Eugénie avait confié le soin de former le gouvernement au comte de Palikao, nouveau ministre de la Guerre.

L’autorité de Napoléon III n’existait plus. Mis devant le fait accompli, il soupirait devant Le Bœuf, qui avait perdu son ministère et la direction de l’armée : « Je ne sais pas ce qu’ils font à Paris ; ils perdent la tête. » Le nouveau chef du gouvernement somma l’empereur de nommer Achille Bazaine à la tête de l’armée française.

Achille Bazaine : un choix malheureux

Tout le monde avait favorablement accueilli la nomination du petit maréchal Bazaine1. Il n’était pourtant pas l’homme de la situation. Trop prudent, il ne sut pas profiter des occasions qui se présentèrent à lui pour battre des armées ennemies qui s’étaient pourtant avancées imprudemment et à l’aveuglette en territoire ennemi.

Mais les initiatives hasardeuses de généraux ennemis, parfois trop confiants, ne profitèrent jamais aux Français désespérément passifs. Bazaine, qui disposait d’une indéniable supériorité numérique, n’a jamais attaqué et encore moins contre-attaqué. Pourtant les pertes allemandes étaient lourdes et nettement supérieures aux pertes françaises. Les Français se sont bien battus mais ils méritaient un meilleur commandement.

Metz et Châlons

Après des combats confus entre le 16 et le 18 août, Bazaine se laisse enfermer dans Metz. Il n’en bougera plus. L’empereur a quitté la Lorraine à la recherche de l’autre armée française. Plus rien ne peut empêcher les Allemands de s’emparer de l’Alsace. Le 20 août, Strasbourg est assiégé. Le bombardement allemand endommage la cathédrale et réduit en cendres la bibliothèque. Le thème de la « barbarie allemande » voit le jour.

L’ex-armée d’Alsace, sous le commandement de Mac Mahon, s’est repliée sur le camp de Châlons. Ayant perdu en route matériel, armes et traînards, elle est en triste état physique et moral.

La vérité est qu’on me chasse

Napoléon III, arrivé à Châlons dans la nuit du 16 au 17 août, est hué à chaque apparition. Le prince Napoléon se montre très dur avec son cousin : « Vous avez abdiqué à Paris le gouvernement ; à Metz vous venez d’abdiquer le commandement. […] mais diable ! si nous devons tomber, tombons au moins comme des hommes ! » Il suggère une dictature de salut public exercée par l’empereur ou un régent pour le compte de Napoléon IV.

Mais Eugénie envoie à son mari un télégramme impératif : « Ne songez pas à revenir… » Les larmes aux yeux, celui qui n’est plus qu’une épave souffrante, déclare : « La vérité est qu’on me chasse. » Puis l’empereur envoie son cousin furibond en Italie pour qu’il essaie d’obtenir l’intervention de Victor-Emmanuel2.

Le 19 août Eugénie et Palikao prennent l’initiative qui va précipiter la catastrophe finale. Mac-Mahon doit impérativement se porter au secours de Bazaine, quitte à laisser Paris sans défense. Mais l’approche de l’armée du Kronprinz menace Châlons. Le maréchal décide d’abord de se replier sur Reims. Il songe à rejoindre Paris désormais menacé.

Napoléon III y voit l’occasion de rentrer dans sa capitale « pour vaincre ou mourir…au milieu de mes soldats ». Sa dernière décision est d’envoyer Trochu, qui a la réputation d’être énergique comme gouverneur militaire de Paris.

Portez secours à Bazaine !

Mais où se trouve Bazaine ? Est-il enfermé dans Metz ? Se replie-t-il sur Montmédy ? Un télégramme de Bazaine peut le laisser croire. Après avoir hésité, Mac-Mahon, qui a l’habitude d’obéir, renonce à rentrer à Paris. Il part vers le nord à la rencontre incertaine de l’armée de Metz. Sous la pluie, la troupe hétéroclite rebaptisée « armée de Châlons » se met en marche. Napoléon III, malade et inutile, suit le mouvement.

Le 27 août, Mac-Mahon comprend enfin la situation. Il est pris en tenaille entre des troupes allemandes deux fois plus nombreuses et Bazaine n’a pas bougé. Le maréchal songe dès lors à faire retraite vers Mézières. Il est encore temps. Dans sa précipitation à poursuivre les Français, Moltke a trop étiré ses lignes. Ses troupes sont épuisées, ses approvisionnements incertains.

Mais deux dépêches de Palikao arrivent dans la nuit. La première pour l’empereur : « si vous abandonnez Bazaine, la révolution est dans Paris ». La seconde est destinée à Mac-Mahon : « je vous demande de porter secours à Bazaine ».

Mac-Mahon s’incline en dépit des objurgations de Napoléon III qui lui conseille le repli sur Mézières. Le maréchal ne se fait pas d’illusion : « on veut que nous allions nous faire casser les reins ; allons-y ! »

Napoléon III, qui se sent mieux depuis quelques jours, décide de remonter à cheval. Un franc-tireur le tient au bout de son fusil. Un officier s’interpose et sauve la vie de l’Empereur.

Nous ne sortirons jamais d’ici

Pressé par ses subordonnés, Bazaine a tenté mollement une percée le 31 août. Mais une fois de plus, il n’exploite pas les premiers succès et finalement ordonne le repli. Au même moment, le destin de l’autre armée française était scellé.

Bousculé par les Allemands, Mac-Mahon se trouve acculé à la frontière belge. Napoléon III, arrivé incognito à Sedan, y est aussi mal accueilli qu’à Châlons. Mac-Mahon n’a l’intention ni de rester à Sedan, ni de livrer bataille. Cette place forte, située dans une cuvette, est d’ailleurs indéfendable.

Le maréchal compte récupérer les rations entreposées à la gare de Sedan. Mais le chef de gare avait eu l’idée fort peu inspirée d’expédier les rations à Mézières avec une compagnie du génie chargée de faire sauter le pont de Donchery sur la Meuse !

Refusant d’abandonner l’armée, Napoléon III regarde du haut des fortifications de Sedan les Allemands installer leurs batteries. « Nous ne sortirons jamais d’ici » confie-t-il à son entourage. Mac-Mahon, étrangement fataliste, se contente de concentrer avec lenteur ses troupes sur la rive droite.

Sedan : un héroïsme inutile

Le 31 août, des combats très violents opposent dans le village de Bazeilles une division de marine aux Bavarois. Au matin du 1er septembre, Mac-Mahon est grièvement blessé à la cuisse en inspectant les positions. Il confie le commandement à Ducrot qui ordonne aussitôt la retraite, encore possible, sur Mézières. Mais voilà le général Wimpffen qui revendique le commandement en exhibant une lettre de Palikao. Plus question de retraite, il s’agit de passer à l’offensive à Bazeilles. Le bouillant général veut rejeter les Prussiens sur la Meuse.

Mais si les combats sont violents et indécis, le mouvement d’encerclement de l’armée française se poursuit inexorablement. Pour le briser, les cavaliers d’Afrique chargent aussi bravement qu’inutilement les lignes prussiennes. Le général Margueritte est touché mortellement et Gallifet prend la suite. Sollicité par Ducrot, le général répond : « Tant que vous voudrez mon général, tant qu’il en restera un. »

Sedan fut le tombeau de la cavalerie lourde.

Le drapeau blanc flotte sur Sedan

Napoléon III parcourt le champ de bataille au pas de son cheval et dans d’indicibles souffrances. Il cherche en vain la mort. Des obus éclatent à quelques pas. Un officier de son escorte est tué, deux autres blessés. Mais ni les balles ni les éclats d’obus ne veulent de lui.

Voyant l’inutilité de cette tuerie, il fait hisser le drapeau blanc au-dessus de la forteresse de Sedan. Furieux, Wimpffen le fait arracher. Le général rêve toujours d’une percée. C’est une chimère et il doit se rendre à l’évidence. La cuvette est désormais sous le feu de la puissante artillerie prussienne. L’encerclement est terminé. Tout est fini.

Le drapeau blanc n’était pas passé inaperçu. Les Prussiens envoient le colonel Bronsart von Schellendorf. À sa grande surprise, ce dernier est introduit auprès de Napoléon III. L’Empereur lui remet une lettre pour le roi Guillaume : « Monsieur mon frère. N’ayant pas eu le bonheur d’être tué à la tête de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée à Votre Majesté. »

Sedan : la capitulation inéluctable

Guillaume Ier apprend ainsi, stupéfait, la présence de l’Empereur à Sedan. Au château de Bellevue, sous le portrait de Napoléon Ier, Français et Allemands discutent des conditions. L’empereur ne rendant que son épée et non celle de la France, Moltke est intransigeant : capitulation totale ou reprise des combats.

Au matin du 2 septembre, Napoléon III réunit le conseil de guerre. Espérant préserver, sinon sa dynastie du moins les chances militaires de la France, Napoléon III refuse toute idée de pourparlers de paix. Il préfère se considérer comme prisonnier. Dès lors, la capitulation est inévitable.

Aussitôt, le conseil terminé, l’empereur, en tenue de général, prend la route de Donchéry où se trouve le quartier général allemand. Il s’arrête dans la pauvre maison d’un tisserand et, en attendant le retour de son émissaire, fume cigarette sur cigarette. Moltke vient le saluer.

On ne pardonne pas à tant de malheur

Un officier allemand, Verdy du Vernois, décrit Napoléon III « petit, assez corpulent, le teint terreux » : « il regardait autour de lui extraordinairement calme, presque indifférent. » Bismarck arrive à son tour et tente en vain de le convaincre d’accepter des préliminaires de paix. Guillaume Ier accorde une brève entrevue au monarque vaincu au château de Bellevue. Napoléon III assure n’avoir pas voulu la guerre.

Mais si les gouvernants se font grâces et politesses, il n’en va pas de même pour le commun des mortels. Ainsi, irrités de la résistance des habitants de Bazeilles, les Bavarois incendient une partie du village, fusillent des habitants et en déportent d’autres.

La dernière armée française organisée n’existe plus. La guerre est virtuellement terminée. Le malheur est que les Français n’en ont pas conscience.

Pour l’empereur des Français, tout est bien fini. Son extraordinaire carrière s’achève dans le déshonneur. « On ne pardonne pas à tant de malheur » murmura-t-il peu de temps après. Le spectre de Sedan le hantera jusque dans son agonie. Le 8 janvier 1873, il murmurait encore sur son lit de souffrance : « N’est-ce pas que nous n’avons pas été lâches à Sedan ? »

Sedan et la légende noire du Second Empire

Le poids du désastre est retombé sur la tête du seul Napoléon III. Mac-Mahon, qui a eu la bonne fortune d’être blessé avant la capitulation, sortait la tête haute. Il restait aux yeux de tous le héros de Malakoff et le duc de Magenta, non le vaincu de Sedan. Ne devait-il pas se faire élire président de la République trois ans plus tard ?

Aux yeux des républicains, Sedan était la conclusion inévitable d’un régime méprisable inauguré par le coup d’État. Les insultes accablèrent Napoléon le Petit tombé dans la fange. Le Sire de Fish ton Kan était qualifié de « misérable lâche qui a vendu son pays et livré son armée ». La fête impériale, règne de l’affairisme et de la dépravation, avait précipité la France dans le gouffre de la débâcle.

Les républicains n’avaient pas manqué d’instrumentaliser la défaite pour mieux asseoir leur légitimité. Pouvaient-ils imaginer que, 70 ans plus tard, la percée des blindés de Guderian à Sedan plongerait la république dans une débâcle bien plus catastrophique ? Par une étrange ironie de l’histoire, cette nouvelle défaite devait être attribuée au parlementarisme, à « l’esprit de jouissance » et aux congés payés. Les guerres ne sont jamais perdues par les militaires toujours par les civils.

« L’étrange défaite » de 1940 faisait dès lors pâlir Sedan renvoyé dans les oubliettes de l’histoire.

À lire :

        • Éric Anceau, Napoléon III, Texto 2008, 750 p.
        • François Roth, La guerre de 70, Fayard 1990, 774 p
  1. Achille Bazaine est typique de ces généraux qui ont débuté simple soldat et ont gagné leurs galons dans les campagnes de la Monarchie de Juillet et de l’Empire. L’expédition du Mexique lui a valu la dignité de Maréchal.
  2. Fils de Jérôme Bonaparte, ancien roi de Westphalie, le prince Napoléon dit « Plon-Plon » avait épousé Clotilde de Savoie, fille du roi de Piémont devenu roi d’Italie.
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  • Très intéressant. Merci. Ne pas oublier de (re)lire « La Débâcle « de Zola ! Extraordinaire roman…

  • Et c’est ainsi que l’Alsace a été lâchement abandonnée…. l’incompétence est toujours de mise 150 ans plus tard

    • Louis XIV l’ avait arraché aux germains 150 ans plus tôt………..

      • Pas « aux germains » mais au Saint Empire Romain Germanique. Il n’a d’ailleurs pas laissé que des bons souvenirs dans la région, même si bizarrement on parle plus des ravages qu’y ont fait les suédois, à l’époque alliés à la France (dans mes souvenirs, environ 1/3 des villes et villages d’Alsace ont disparu pendant la guerre de 30 ans).

    • Mais non, la fRance est revenue, pour notre plus grand bien…

      Hoppla ! Elsass frei

  • « Les Français se sont bien battus mais ils méritaient un meilleur commandement. »
    Décidément que ce soit en 1870, en août 1914 ou en 1940, il y a des constances dans notre pays…
    Il me semble d’ailleurs que c’est un général allemand qui nous qualifiait de « lions commandés par des ânes » !

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