Trump cible Hong Kong pour frapper la Chine

Donald Trump a annoncé un décret mettant fin au statut commercial préférentiel de Hong Kong et une loi ouvrant la voie à des sanctions contre la Chine.

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Donald Trump by Gage Skidmore(CC BY-SA 2.0)

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Trump cible Hong Kong pour frapper la Chine

Publié le 18 juillet 2020
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Par Yves Montenay.

Pékin impose à Hong Kong une loi menaçante pour la liberté de ses habitants. L’Angleterre l’Australie et surtout les États-Unis protestent et prennent des mesures de représailles. La Chine répond qu’il s’agit d’une affaire intérieure qui ne regarde personne.

Mais Hong Kong est-il chinois ?

Une création britannique, une population particulière

Une anecdote d’abord : nous sommes dans les années 1920, le père de Lucien Bodard est consul de France à Yunan Fou, chef-lieu d’une province que certains Français rêvent de rattacher au Vietnam et y construisent pour cela un chemin de fer vers leur colonie.

La ville est gouvernée par un « seigneur de la guerre », le maréchal Tang Jiyao. L’écrivain rapporte qu’à l’annonce d’une manifestation d’étudiants, il les encercle de ses mitrailleuses et leur demande de creuser leur tombe avant de les abattre.

Plus tard, le seigneur de la guerre sent qu’il va mourir et on s’apprête déjà à tuer ses concubines qui ne doivent pas survivre au maître. Il fait venir le consul de France et lui dit : « tu es le seul dans cette ville qui puisse comprendre mon message. Mes enfants font des études en Grande-Bretagne, voici le numéro de mon compte à la Banque de l’Indochine de Hong Kong, je te charge de le leur transmettre ».

Bref, on peut massacrer les étudiants et avoir besoin de Hong Kong. Est-ce à rapprocher des hésitations de la Chine en 2019 à reprendre en main Hong Kong, de peur, disait-on, de faire baisser la valeur de l’immobilier qui appartiendrait aux plus hauts responsables politiques de Pékin.

En 1841, les Britanniques s’installent sur quelques rochers, plus tard agrandis par une presqu’île voisine. La population vient de la côte et parle donc cantonais (et non mandarin). Elle devient largement chrétienne et adopte l’anglais comme deuxième langue. Les Britanniques installent « la civilisation occidentale », par pudeur on dit aujourd’hui « leurs usages » : liberté d’entreprendre, liberté d’expression, administration et justice indépendantes et non corrompues. C’est le début de l’essor économique, en tant que porte de la Chine sans les risques du pays.

En 1949, Mao prend le contrôle de la Chine. L’élite économique perd ses entreprises de Shanghai, qui était jusque-là une ville internationale de fait et la métropole économique. Cette élite se réfugie à Hong Kong (alors de passage, je vérifie dans les statistiques officielles que la langue de Shanghai est devenue la deuxième après le cantonais). Dopé par cette immigration qualifiée et débarrassée de la concurrence de Shanghai, Hong Kong prospère. La Chine y gagne également, puisque cela lui donne une porte ouverte sur l’Occident et ses produits.

« Un pays, deux systèmes »

En 1997, sous la pression de Pékin, est signé l’accord anglo-chinois « un pays, deux systèmes » qui rattache Hong Kong à la Chine mais garantit son système politico-économique jusqu’en 2047.

Intellectuellement, tout ce qui était « colonial » était alors devenu indéfendable, et seule la population locale se demande pourquoi des libéraux chrétiens pour qui la langue chinoise est étrangère doivent-ils être citoyens d’un pays communiste et athée. Interrogation partagée par les Tibétains bouddhistes et les Ouïgours musulmans, qui ont eux aussi une langue et une culture totalement différente.

Une Chine de plus en plus allergique

Si économiquement tout se passe bien pour Hong Kong, la Chine est de plus en plus agacée par le comportement de sa population qui pousse la provocation jusqu’à célébrer chaque année l’anniversaire de la répression de Tian’anmen et à élire des députés d’opposition à l’assemblée locale.

Rappelons que la majorité des membres en sont nommés et non élus, et que beaucoup de notables de Hong Kong sont soumis à Pékin qui peut bloquer à tout moment leur activité en Chine. Mais la minorité élue, largement démocrate et soutenue par une presse libre, irrite de plus en plus.

Parallèlement la Chine adopte le « communisme à la sauce chinoise » avec une large libéralisation économique, dont les contacts avec l’étranger. Shanghai redevient une métropole pouvant éventuellement concurrencer Hong Kong, mais reste encore handicapée par la non convertibilité de la monnaie chinoise, alors que celle de Hong Kong est rattachée au dollar américain.

Après une longue hésitation, Pékin tranche en 2020 le nœud gordien en votant « la loi sur la sécurité nationale » s’appliquant à Hong Kong. Cette loi donne le pouvoir à la police et à la justice de réprimer des idées très vaguement définies, et donc pratiquement tout ce qui déplairait à Pékin.

Les opposants comprennent que la police et la justice ne seront plus celle Hong Kong, et craignent des « disparitions » précédées de torture. En quelques jours la peur s’est abattue sur la ville.

Hong Kong dans le duel Chine-États-Unis

Par ailleurs le contexte est celui du duel planétaire entre la Chine et les États-Unis. Ces derniers saisissent l’occasion au nom de leur vocation à défendre la démocratie et les libertés, ce qui leur donne un avantage moral… du moins devant l’électorat américain, ce qui est important avant la présidentielle de 2020.

Donald Trump a donc annoncé un décret mettant fin au statut commercial préférentiel de Hong Kong et une loi ouvrant la voie à des sanctions contre la Chine. « Hong Kong va désormais être traité de la même manière que la Chine (argument qui me parait logique) : pas de privilèges spéciaux, pas de traitement économique spécial et pas d’exportation de technologies sensibles ». Un point clé dont je ne vois pas de trace pour l’instant est le sort du dollar de Hong Kong qui devrait disparaître si cette logique est totalement appliquée.

De son côté, en tant qu’ancienne puissance coloniale et signataire du traité de 1997 la Grande-Bretagne prévoit de faciliter l’installation des Hongkongais chez elle, et il est probable que l’Australie et le Canada feront de même.

Hong Kong ou la Chine : qui sera puni ?

L’opinion mondiale est troublée, craignant que les sanctions défavorisent la population de Hong Kong plutôt que la Chine. Je ne suis pas tout à fait cet avis, car tout ce qui nuit à Hong Kong nuit à la Chine.

Si pour des raisons d’orgueil national il n’est pas question que la Chine recule sur les principes, des arrangements discrets sont toujours possibles. Mais globalement tout cela va dans le sens de l’approfondissement de la divergence entre la Chine et le reste du monde. Or concrètement et par conviction personnelle, je pense que la pagaille démocratique occidentale sera à long terme plus créative que l’autocratie chinoise.

Je sais que beaucoup d’Occidentaux sont d’opinion inverse et admirent l’autorité et l’efficacité avec laquelle la Chine fait face à ses problèmes. Encore faut-il que les problèmes soient bien posés et solutions bien choisies, ce qui serait miraculeux faute de débat.

Le choix actuel d’investissements à outrance dans des infrastructures largement inutiles, et les complications qui apparaissent dans la réalisation concrète des « routes de la soie » montrent qu’un pouvoir autoritaire peut aussi être faillible.

Par ailleurs, il est probable que de nombreux Chinois sont soucieux de ce qu’est devenue l’image de leur pays à l’étranger et de la gêne que cela va apporter à leurs affaires, à leurs voyages, à leurs études… bref ils craignent de retrouver « le vase clos » de naguère. Cela mènera-t-il à des soubresauts politiques internes ?

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  • Certains points peu abordés me paraissent essentiels pour le futur : la population chinoise est vieille avec très peu d’enfants et une populayion féminine de statut sinon d’effectif inférieur à la population masculine : le renouvellement des générations n’est pas assuré. La dette des USA est détenue en majorité par la Chine ce qui est un facteur d’équilibre dans les relations. Les engagements en matière de retraites des chinois sont énormes, comment seront-ils financés? Le Yuan est notoirement sous évalué pour favoriser les exportations. Le droit est très faible en Chine et ne garantit que des privilèges absolument pas les libertés. La culture chinoise privilégie la copie à l’innovation. Tout ceci devrait entrainer une préférence pour la rente par rapport à l’investissement, un assèchement intérieur et un isolement croissant de la Chine alors que les marches extérieures de l’empire accélèrent leur envol. Wait and see…

  • Y a t il ailleurs dans le monde des territoires ou la loi du pays à qui ils appartiennent ne s’applique pas ?

    • Oui en France, dans les quartiers émotifs, de plus en plus nombreux…

    • Ouhla, le sujet n’est pas si simple.
      La Chine a signé le traité de rétrocession de Hong Kong, dont les dispositions courent jusqu’en 2047.
      Et ont force de loi, sur le territoire chinois – et plus précisément à Hong Kong.

      Sauf que là, elle a décidé de s’asseoir dessus. De ne respecter que certaines lois…

      Et pour répondre à votre question : oui, la France.
      Par exemple, la loi de séparation de l’église et de l’Etat ne s’applique pas à l’Alsace et la Lorraine (qui étaient allemandes lors du vote de la loi), et qui peuvent enseigner le catéchisme à l’école publique.
      On pourra trouver bien d’autres exemples et particularités pour nos territoires, métropole et outre mer…

  • Passionnant article, utile perspective historique. Bien d’accord avec  » je pense que la pagaille démocratique occidentale sera à long terme plus créative que l’autocratie chinoise » et « Encore faut-il que les problèmes soient bien posés et solutions bien choisies, ce qui serait miraculeux faute de débat » ,oui je pense que la Chine sera freinée par son propre autoritarisme .

    • La pagaille démocratique occidentale ressemble plus à un chaos destructeur qu’à une joyeuse colonie de vacances créatrice d’évolutions d’une civilisation.

      • @avorton la pagaille que nous observons actuellement en France n’est plus démocratique puisque des cliques se sont emparées du pouvoir (cf élection 2017) + poids de l’état (qui fait de nous techniquement un pays communiste) quant à la Chine comme toute dictature elle court à sa perte (sa seule façon de se maintenir étant l’agressivité et l’expansionnisme couplée à un contrôle strict de sa population qui brime toute tentative de création )

        • précision, elles avaient déjà le pouvoir avant, mais caché. (hauts fonctionnaires, décideurs et rédacteurs des lois dans les ministères, etc.)

    • J’aurais tendance à ne pas croire que la pagaille démocratique occidentale se montre créative à terme, et j’y vois le problème principal. Hong Kong, s’il était resté le carrefour des affaires entre les deux mondes qu’il était avant, ne serait pas un modèle de créativité pour l’Occident non plus, alors pourquoi le serait-il pour la Chine ? Rien de bon ne sort de l’autoritarisme, mais rien de bon ne sort non plus des débats sans fin ni réalisme qu’on appelle maintenant démocratie en Occident. La créativité efficace ne sort pas plus de ces débats que de l’autorité : elle sort de la valeur d’exemple et de la reconnaissance des succès obtenus.
      Quand je faisais mon service militaire, le sous-off mettait fin aux débats par la constatation brutale : « C’est le soviet, ici ! », belle condamnation simultanée du communisme et du débat…

  • En gros l’Amérique a peur de ne plus être la premiere puissance.. J’allais rajouter egemonique mais elle est toute seule sur le créneau depuis des dizaines d’années.. La. Chine quelques cailloux perdus dans l’océan…

  • Je ne suis pas sûr que les chinois aient apprécié les contraintes et dommages divers des années 1842 à 1945.
    Et encore, sans remonter au XVIème siècle avec les « comptoirs » portugais fortement concurrencés par les hollandais et les anglais (déjà!) au détriment de la population chinoise.
    Hong-Kong a été une survivance du passé, négociée âprement par les british pour tenter de faire du fric le plus longtemps possible. Territoire chinois, les autorités sont censées le gérer comme ils l’entendent. Et bientôt Taïwan…
    Y a-t-il autant de débat autour de ce qui se passe en Ukraine, Vénézuela, Libye, Israël?

    • Les frontières ne sont qu’une convention.
      Hong Kong est une ville cosmopolite, parlant de nombreuses langues, et loin de l’uniformité chinoise que le PCC aimerait imposer.

      L’annexion de la Crimée par la Russie a provoqué un tollé international, et il me semble le renforcement de sanctions contre la Russie.
      Par contre, je n’ai pas entendu que le Venezuela avait perdu du territoire…

  • Après avoir infecté le monde, et pour sa propre survie, la Chine achète tout ce qu’elle peut, et les nations ne lui accorde aucune résistance, si ce n’est Trump avec ces menaces à répétition.
    Dommage que les USA n’impressionnent plus même ses ennemis.
    Soyons rassurez, la France va rapatrier le paracétamol en représailles, enfin peut-être, si les chinois ne vont pas faire les gros yeux.

    • Les Chinois n’ont pas besoin de faire les gros yeux. Il leur suffit de maintenir des prix plus bas que nous ne pourrions jamais en proposer, et le tour est joué.

      Par contre, pour le paracétamol, il me semble que c’est l’Inde qui est le premier fournisseur mondial de composés chimiques…

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