Comprendre le Lightning Network (3)

Lightning a probablement le potentiel de révolutionner l’industrie du paiement et une partie du secteur financier, et d’accélérer massivement la diffusion de Bitcoin comme système monétaire alternatif.

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Comprendre le Lightning Network (3)

Publié le 5 juillet 2020
- A +

Par Yorick de Mombynes1.

Le Lightning Network est un protocole informatique destiné à faciliter l’utilisation courante de bitcoins en rendant les transactions plus rapides, plus anonymes et moins coûteuses. Quel est son fonctionnement économico-financier ?

Régime des frais de routage

Comme sur Bitcoin, les frais assumés par le payeur constituent une incitation financière rémunérant les acteurs qui font fonctionner le réseau : les mineurs, dans le cas de Bitcoin, et les nœuds de routage, pour Lightning. Mais deux aspects distinguent Lightning et Bitcoin.

D’une part, le payeur ne détermine pas les frais qu’il souhaite payer de la même manière que sur Bitcoin. Sur Bitcoin, il les choisit essentiellement en fonction de la vitesse de validation qu’il désire (les mineurs sélectionnant les transactions à traiter en priorité en fonction de ces frais). Sur Lightning, les nœuds de routage choisissent et annoncent le niveau des frais qu’ils souhaitent prélever, et l’algorithme de routage du payeur décide des nœuds par lesquels faire passer les fonds, notamment en fonction de ces frais. Les algorithme des wallets effectuent des tentatives incrémentales en faisant varier le niveau possible de frais, jusqu’à trouver un chemin optimal.

L’utilisateur peut ainsi choisir les nœuds qui proposent les frais les plus faibles. Il peut aussi consentir des frais plus élevés, si c’est le prix à payer pour passer par davantage d’intermédiaires et ainsi renforcer la confidentialité de la transaction. Enfin, si les frais demandés par les nœuds relais sont trop élevés, l’algorithme de routage peut renoncer à trouver un chemin, et abandonner la transaction.

D’autre part, sur Lightning, ces frais ne sont pas calculés par rapport à la quantité d’information utilisée pour chaque transaction et circulant sur le réseau mais essentiellement en proportion du montant de la transaction (outre ces frais exprimés en pourcentage, s’ajoute une petite part forfaitaire, dite « frais de base », exprimée en satoshis).

Cette différence de calcul des frais provient du fait que sur Bitcoin et Lightning, ce n’est pas l’usage de la même ressource rare qui est rémunéré : sur le layer 1, c’est la taille des blocs et la capacité de stockage de la blockchain (qui contraignent le volume d’information que l’on peut diffuser sur le réseau et impose d’organiser un ordre de priorité pour les transactions à miner) ; sur le layer 2, c’est la liquidité des canaux (qui contraint les montants que l’on peut faire circuler sur le réseau).

Ces différences dans la fixation des frais entraînent des conséquences dans deux domaines : en matière de services de paiement et d’activité financière.

Micropaiements et monnaie en streaming

Le fait que les frais de routage soient proportionnels aux sommes échangées rend rentables économiquement des transactions de très faible montant, et même des micropaiements, par exemple de l’ordre du satoshi – et moins encore. C’est impossible dans les systèmes de paiements traditionnels à cause du coût de l’intermédiation nécessaire à la sécurisation des réseaux. Et c’est économiquement rédhibitoire sur Bitcoin, où les frais de transaction incompressibles sont plus élevés que le niveau de ces micro-transactions.

A l’avenir – surtout si les frais de transaction progressent sur Bitcoin – il est prévisible que les montants faibles et les micropaiements se feront exclusivement sur le réseau Lightning, tandis que les transactions de montants plus significatifs se feront on-chain, où il sera rationnel de consentir des frais plus élevés pour profiter de la sécurité maximale de la blockchain.

Par ailleurs, les micropaiements permis par Lightning ouvrent des possibilités techniques insoupçonnées, au-delà du seul paiement : ils peuvent, par exemple, être utilisés pour rendre à la fois plus fiables, plus simples et plus confidentiels les processus d’authentification sur internet (logins, mots de passe, etc.), grâce au projet de Lightning Service Authentication Tokens (LSATs).

Lightning pourrait s’avérer utile pour moderniser le commerce de détail. Avec ce protocole, c’est le consommateur qui assume les frais de transaction, alors qu’avec les réseaux de paiements par carte (Visa, Mastercard, etc.)., ce sont les commerçants qui assument les frais. Ces derniers sont répercutés dans les prix de vente et pèsent donc in fine sur le consommateur final, mais le système du Lightning est plus simple et plus transparent. Surtout, il permet d’éviter la fraude liée au paiement par carte bancaire, qui représente un coût considérable au niveau mondial.

S’agissant des flux spéculatifs, qui représentent encore l’essentiel des paiements en bitcoins, il semble qu’ils n’aient pas actuellement besoin d’une surcouche comme Lightning. D’autant plus qu’ils disposent maintenant d’une autre option pour effectuer des transactions plus rapides que sur la simple blockchain : le réseau Liquid (mis en place en 2018 par la société Blockstream), qui n’est pas un layer 2 mais une sidechain de Bitcoin.

Enfin, en combinant cette possibilité de micro-transactions avec le caractère pratiquement instantané des paiements (pas besoin d’attendre l’enregistrement du bloc dans la blockchain), il devient possible de réaliser des paiements en flux, des cash flows au sens propre du terme, de la « monnaie en streaming », selon l’expression d’Andreas Antonopoulos.

Les applications financières et industrielles de cette avancée sont illimitées : payer automatiquement son électricité à la milliseconde, toucher son salaire en temps réel au lieu d’une fois par mois, facturer des services en streaming, monétiser les flux de données (personnelles) sur internet, etc. Elles seront, par ailleurs, décuplées par leur intégration aux relations de machine à machine, aux objets connectés.

Tous ces éléments cumulés permis par Lightning – micropaiement, intérêt pour les commerçants, monnaie en streaming et paiements de machine à machine – laissent entrevoir une potentielle révolution historique du paiement.

Economie financière

Ouvrir un nœud de routage et alimenter des canaux de paiement pour toucher des frais de transaction pourrait bien devenir une activité commerciale à part entière.

L’existence d’une rémunération pour la transmission des transactions est d’ailleurs une différence importante entre Lightning et le réseau Tor. Ce dernier a probablement pâti de l’absence d’incitation financière offerte aux acteurs qui contribuent à construire le réseau. La monétisation des nœuds du réseau Lightning est un mécanisme vertueux qui joue théoriquement en faveur de son développement.

Pour attirer des transactions et collecter des frais, les opérateurs de nœuds de routage doivent s’assurer que leurs canaux de paiement conservent une certain quantité de bitcoins (cf. supra) : il leur faut à la fois une capacité « entrante » et une « sortante », pour respectivement recevoir et transmettre des fonds (c’est vrai également pour des nœuds qui effectueraient beaucoup d’opérations sur le réseau sans nécessairement chercher à être des nœuds de routage).

Cet impératif de maintien d’une certain liquidité sur le réseau implique une gestion active des fonds en bitcoins entre canaux par les opérateurs de nœuds de routage. Elle suscite des stratégies et méthodes d’allocation de plus en plus sophistiquées, avec notamment l’apparition de nouveaux acteurs, les « fournisseurs de liquidités » (par exemple Bitrefill ou LNBig).

Opérer un nœud de routage et/ou fournir des liquidités représente ainsi un réel investissement en travail et en capital. C’est non seulement le seul moyen de « prêter » (sans toutefois qu’il y ait un « emprunteur » pouvant en disposer) des bitcoins sans se séparer de ses clés privées ; c’est aussi une manière de placer du capital de manière relativement peu risquée et de toucher une rémunération pouvant éventuellement devenir plus attrayante que sur les marchés financiers classiques, surtout dans un contexte de taux d’intérêt négatifs.

Aujourd’hui, le routage est encore peu rentable. Certains intermédiaires fixent d’ailleurs des frais nuls pour développer le réseau. Mais si Lightning se développe, ces nouveaux business pourraient devenir lucratifs, même si la concurrence entre les nœuds tend à égaliser à la baisse le niveau moyen des frais (une différenciation des services et des prix pouvant toutefois rester possible).

Enfin, la rémunération moyenne servie sur Lightning pourrait un jour fournir la meilleure approximation de ce que serait le taux d’intérêt naturel du marché sans risque, non faussé par les réglementations des Etats et les politiques monétaires des banques centrales (plus précisément, il s’agirait d’un risque différent : non pas un risque de contrepartie mais un risque technique de piratage nécessitant des investissements en sécurité). Elle pourrait même aboutir, comme l’a suggéré le financier Nik Bhatia, à un taux de référence de l’économie Bitcoin, tout comme il existe plusieurs taux de référence pour le dollar.

En conclusion, comme Internet, Lightning est un empilement de technologies complexes et au potentiel immense. Il répond à un besoin qui a été identifié dès les débuts de Bitcoin : effectuer des transactions en bitcoins instantanées et anonymes, des micropaiements pour des frais négligeables, un passage à l’échelle sans dépense énergétique additionnelle.

L’infrastructure du réseau Lightning n’est pas achevée. D’intenses efforts techniques et scientifiques sont actuellement fournis pour la perfectionner. Mais les progrès récents et en cours s’accumulent à une vitesse impressionnante (on parle d’ailleurs déjà de layer 3 se superposant au layer 2, par exemple le protocole RGB).

Lightning a probablement le potentiel de révolutionner l’industrie du paiement et une partie du secteur financier, et d’accélérer massivement la diffusion de Bitcoin comme système monétaire alternatif. C’est ce que l’on peut imaginer si le rythme de son développement se poursuit. Or (comme en témoignent notamment les récentes levées de fonds de deux des entreprises qui y contribuent, Acinq et Lightning Labs), il n’y a, à ce stade, pas de raison que ce rythme ralentisse.

A lire : première et deuxième partie de cet article.

  1. Cet article est le troisième chapitre de la note publiée le 23 juin 2020 par l’Institut Sapiens.
Voir les commentaires (2)

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  • et tout ceci sans aucune spéculation . . . 🙁

  • Comme d’innombrables développements dans le domaine des cybermonnaies, Lightning est un sujet passionnant sur le plan technique et théorique, mais très peu utilisé dans la réalité.
    Le seul indicateur d’utilisation que j’ai pu trouver est la capacité des canaux : 948 bitcoins (voir la première partie de cet article), ce qui est infime par rapport au nombre de bitcoins existants (18 411 031 à la même date du 20 juin)
    et ne prouve même pas que cette capacité est réellement utilisée !

  • Les commentaires sont fermés.

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