Contractuels : les vilains petits canards de la fonction publique

Fonction publique : la gestion des contractuels doit être impérativement professionnalisée, comme le souligne une étude récente.

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canard credits Jacob Spinks (licence creative commons)

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Contractuels : les vilains petits canards de la fonction publique

Publié le 13 décembre 2021
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Par Philbert Carbon.
Un article de l’Iref-Europe

Six-cent quatre-vingt une pages ! Telle est l’épaisseur de l’édition 2019 du rapport annuel sur l’état de la fonction publique. Une édition 2019 qui porte mal son nom puisque les chiffres les plus récents sur lesquels elle est construite sont ceux de 2017. Néanmoins, ce pavé, apte à occuper les longues soirées d’hiver, est une source inépuisable de renseignements sur les ressources humaines des trois versants, comme on dit maintenant, de la fonction publique.

Le rapport 2019 s’intéresse plus précisément aux contractuels, une sorte de vilains petits canards en comparaison des fonctionnaires qui constituent l’aristocratie de notre administration.

 

Des contractuels, pour quoi faire ?

La règle générale dans la fonction publique est que les emplois civils permanents soient occupés par des fonctionnaires. Jusqu’en 2019 la loi autorisait, par dérogation, le recrutement d’agents non titulaires sur contrat à durée déterminée d’une durée maximale de trois années, renouvelable dans la limite d’une durée totale de six années. Si, à l’issue de cette durée de six ans, les contrats étaient reconduits, ils l’étaient pour une durée indéterminée.

Les cas de dérogation sont limités. Pour répondre à un besoin permanent, le recours aux agents contractuels s’effectue dans deux cas précis :

  1. Il n’existe pas de corps de fonctionnaires susceptible d’assurer les fonctions correspondantes
  2. La nature des fonctions ou les besoins du service le justifie, mais uniquement pour les emplois relevant de la catégorie A.

 

S’il s’agit de répondre à un besoin temporaire (remplacement d’agent absent, accroissement d’activité, etc.), la durée des contrats est limitée à douze mois sur une période de dix-huit mois consécutifs. Il est également possible d’utiliser le contrat pour pré-recruter des fonctionnaires, en particulier des travailleurs handicapés.

Pourtant, les contractuels ne sont pas quantité négligeable puisqu’ils représentaient, en 2017, plus d’un emploi public sur cinq (22,5 %). Entre 2011 et 2017, leur nombre a augmenté en moyenne, de 1,1 % par an alors que l’emploi de fonctionnaires ne progressait que de 0,2 %.

Ces 1,4 million de contractuels sont présents dans les trois fonctions publiques, mais dans des proportions variables. Leur part est ainsi plus élevée dans la fonction publique territoriale (26 %) que dans la fonction publique hospitalière (23 %) et la fonction publique d’État (20 %).

 

Une gestion des ressources qui laisse à désirer

Le rapport révèle que les contractuels ont fréquemment un niveau de diplôme nettement supérieur à celui requis pour occuper leur poste. Ainsi, pour les professions intermédiaires (hors enseignants), 27 % des contractuels ont un diplôme de deuxième ou troisième cycle contre seulement 17 % des fonctionnaires. De même, parmi les employés et ouvriers, 44 % des contractuels sont au moins titulaires du baccalauréat, contre 38 % des fonctionnaires. Est-ce vraiment de la bonne gestion des ressources humaines que de sous-employer quelqu’un ? N’est-ce pas le meilleur moyen de faire des aigris ?

Selon le rapport, les contractuels sont davantage présents dans les zones d’emploi rurales et dans l’agglomération parisienne. Par exemple, plusieurs zones d’emploi franciliennes se caractérisent par un recours relativement plus important aux enseignants contractuels. Plus précisément : les contractuels représentent 5,5 % de l’emploi enseignant dans les zones les plus attractives, et 7,6 % dans celles qui le sont le moins. Cela signifie que l’on envoie dans les zones les plus difficiles des enseignants parmi les moins bien formés et les moins aguerris. Là encore, on peut s’étonner d’une telle utilisation des ressources humaines.

Sur le plan des rémunérations, on apprend que, à caractéristiques égales, près de 7 contractuels sur 10 seraient mieux rémunérés s’ils étaient fonctionnaires. La fonction publique sous-rémunère donc les contractuels au regard de ses propres critères. Et si l’on compare la rémunération des agents contractuels publics avec les salaires du privé, on constate que ceux qui ont les plus faibles niveaux de qualification sont mieux rémunérés dans la fonction publique.

À l’inverse, les plus diplômés sont mieux rémunérés comme salariés du privé que comme contractuels de la fonction publique. En résumé, les plus qualifiés sont payés en dessous du marché et les moins qualifiés au-dessus. C’est assurément un excellent moyen d’attirer les meilleurs…

 

Vers davantage de contractuels ?

La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique facilite l’embauche de contractuels par les administrations. Elle maintient le principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires, mais elle élargit sensiblement le champ des dérogations.

Par exemple, un décret relatif aux emplois de direction de l’État est paru le 1er janvier 2020 : près de 3000 emplois pourront être pourvus par des non-fonctionnaires, tant en administrations centrales qu’en services déconcentrés ou à l’étranger.

Comme dans le privé, les administrations sont désormais autorisées à recruter sur des contrats de projet.

Les administrations d’État peuvent maintenant recruter des agents contractuels sur la majorité des emplois permanents. Toutes les catégories d’emplois sont concernées, et non plus seulement les emplois de catégorie A. Les cas permettant le recrutement d’un agent contractuel sont également élargis dans la fonction publique hospitalière et dans la fonction publique territoriale.

Ces assouplissements, quoique encore modestes, sont les bienvenus. Reste à savoir si les administrations vont s’en emparer. La campagne électorale des municipales qui se profile est peut-être une bonne occasion pour faire pression sur les candidats afin qu’ils privilégient désormais le recrutement de contractuels. Une occasion rêvée, même, pour disposer d’une administration plus agile. Mais encore faut-il que la gestion des contractuels soit professionnalisée.

Quoi qu’il en soit la fin du statut de fonctionnaire est encore loin. Pourtant, de la Suisse à la Nouvelle-Zélande, du Canada à l’Autriche en passant par les pays scandinaves et même l’Italie, on ne compte plus les pays qui se sont attelés vraiment à la réforme de leur fonction publique.

Il est difficilement compréhensible qu’un aussi « grand réformateur » qu’Emmanuel Macron soit si timide sur cette question.

Article publié initialement le 29 janvier 2020.

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  • les promotions automatiques et les plans de carrière a l’ancienneté font qu’il faut bien trouver de nouveaux entrants pour faire le boulot..
    Donc les fonctionnaires sous statuts règnent , la caractéristique la plus flagrante étant les congés et RTT qui font que chaque poste doit etre couvert a 1.5 de « headcount « pour les remplacements.. si on y ajoute les congés maladie… il faudra bientôt 1 contractuel par fonctionnaire …

    • peut-être même 2, au cas ou le 1er se ferait porter pâle 🙂

      • Cela me rappelle la ponte de Ségolène lors du débat avec Sarko. Chaque policière devait être raccompagnée à son domicile.
        Plus de chômage, la FP aurait embauché à tours de bras…
        TOUT LE MONDE POLICIER, COOL :mrgreen:

  • Si un diplômé n’a trouvé dans l’Administration qu’un emploi à un niveau inférieur à son niveau de diplôme, c’est peut-être bien parce qu’il n’en a pas trouvé non plus dans le privé. Donc, cela fait peut-être un aigri, mais un aigri qui a un emploi.

  • Oui, mais…
    Comme le laisse sous-entendre “xc”, le diplômé non recruté par le privé va bien souvent taper à la porte du public pour vivre.
    Pourquoi ?
    Parce que l’avantage du privé est de trier soigneusement ce qui sera rentable : un entrepreneur est là pour faire de l’argent par son activité et ses choix, non pour brader l’argent qui lui tombe du ciel (parfois nommé « Ministère des finances »).
    En d’autres termes, et même dans la fonction publique enseignante, le contractuel ne fait pas partie de l’élite des diplômés (j’aime bien user d’euphémismes).
    Mais, comme le dit très justement Claude de façon implicite, il faut bien remplacer les fonctionnaires qui, leur titularisation acquise, ne foutent plus grand chose.

    La solution n’est (surtout) pas ce qui ressort implicitement de cet article (« titulariser » les contractuels), mais bien l’inverse. Responsabiliser les fonctionnaires et arrêter de les titulariser à vie.
    Ce n’est pas possible ? Voyez le système des contrats de nos militaires.

    • Il y a qu’à mettre les mêmes contrats partout, CDD pour postes temporaires et cdi pour postes pérennes.
      Pourquoi mettre des contractuels sur des postes pérennes ? Pour emmerder les agents publics ? Pour que les élus puissent placer par simple piston leurs copains dans les administrations, plutôt que par concours, et ainsi favoriser la corruption ? De toute façon le principal problème de la fonction publique ces prochaines années, ça va être le recrutement : la moitié des emplois ne trouvent plus preneur : instituteurs et médecins dans les banlieues et déserts médicaux, profs de maths, langues, science et technologie, chercheurs labo, certaines fonctions de police, ingénieur réseaux, crèches… Manque de candidats.

      • Mais grâce à l’État, le seul employeur en France sera bientôt l’État : il fait tout pour que les entreprises privées partent à l’étranger.

  • Cela signifie qu’avec 6 millions de fonctionnaires + les « fonctionnaires » assimilés de la SNCF, de l’URSSAF, d’EDF etc… l’Etat est obligé de recourir aux contractuels pour que les administrations tournent ?

  • Ca me fait frémir… Imaginer être contractuel dans une administration, entourés de fonctionnaires en place à vie, alors qu’on a un contrat à durée déterminée… Bon courage pour faire bouger les choses !!

  • ce qui est franchement rigolo est que le seul employeur qui paye de façon différente des gens pour le m^me travail est l’etat…
    vous savez le fameux à travail égal salaire égal…

    quand on me dit que c’est le cas dans le privé je demande de me montrer des cas..

    • cas qui peuvent exister..mais qui conduisant à une sous performance économique tendent à être éliminés par les processus de marché!!!

      on marche sur la tété..

      les bourreaux se disent victimes..

    • Beaucoup d’éléments font écho à mon quotidien depuis un an et quelques avec notamment cette cohabitation entre les « piliers de bureau » & « ceux qui doivent faire le travail » (ça entraine parfois de vives tensions).

    • Mais non l’état est juste le superbrut n’existe pas donc alors que vous êtes payé au superbrut zut alors 🙂

    • @sabalance oui et il y a plus « drôle » . Une de mes cousines est contractuelle en crèche . CDD sur CDD. L’état la vire chaque été pour ne pas la payer …et elle est réemployée à chaque rentrée … L’état c’est celui qui fait la leçon toute la journée au privé et qui se conduit comme le pire des sal**ps avec ses propres employés … La fonction publique c’est Tartuffe

    • les agrégés c’est une escroquerie

  • oubliez les diplômes comme un signe évident de « compétence ».

  • Il faut bien faire le travail ! Alors comme les fonctionnaires ne le font pas, L’État embauche des contractuels licenciables à merci.
    Une fois qu’ils sont titularisés, ils arrêtent de bosser car leurs collègues leurs demandent de lever le pied. Donc chaque titularisation entraine une nouvelle contractualisation.
    La boucle est bouclée.
    Et Pécresse va supprimer 250.000 fonctionnaires qui seront remplacés par des contractuels naturellement puisqu’elle ne va pas réformer l’état.

  • Ça rappelle l adage de l apparatchik soviétique :

    « On fait semblant de travailler comme ils font semblant de nous payer ! »

    Et l avenir du Fonctionnement de l Etat de nos Impots et de la Valeur Ajoutée taxee ?
    Et Salina de répondre « Il faut que Tout change pour que rien ne change «

  • Les commentaires sont fermés.

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