Le nucléaire français sauvé par la Chine ?

Le nucléaire en France manque désormais de main-d’œuvre hautement qualifiée.

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Demonstration against EPR by Demonstration against EPR by Alexandre Delbos (CC BY 2.0)

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Le nucléaire français sauvé par la Chine ?

Publié le 27 janvier 2020
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Par Michel Gay et Hervé Nifenecker.

L’absence de vision stratégique des gouvernements français successifs sur le nucléaire et l’organisation douteuse mise en place pour lancer les chantiers de nouveaux réacteurs ont conduit à une gestion velléitaire et sans perspective du nucléaire en France depuis 25 ans.

Le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy a annoncé fin 2019 la construction de six nouveaux réacteurs EPR en France, probablement après l’élection présidentielle (courage, fuyons…).

Mais par qui seront-ils construits ? Les Chinois viendront-ils aider les Français ?

Deux EPR ont été construits en Chine en moins de 10 ans. Le premier fonctionne depuis décembre 2018 et le deuxième depuis avril 2019.

Handicap français

Le grand handicap du nucléaire français provient d’une période de 25 ans sans réalisation de nouveaux réacteurs en France. La perte de compétence qui s’en est suivi s’est accélérée avec la suppression, en 2000, de la Direction de l’Équipement EDF, qui avait veillé à la construction du parc français.

Le nucléaire en France manque désormais de main-d’œuvre hautement qualifiée.

D’une façon générale les capacités industrielles de la France se sont effondrées avec la vente de la métallurgie de l’acier (Arcelor) et celle de l’aluminium (Pechiney), de la Chimie (Kulmann), de la haute mécanique (Alstom). Cette perte de substance industrielle s’est traduite par la quasi-disparition de certaines catégories de professionnels comme les soudeurs sur inox ou aluminium.

Areva NP a entamé le chantier du réacteur EPR à Flamanville en avril 2007, et le démarrage du réacteur était initialement prévu en 2012. Il est actuellement prévu pour 2022.

La dérive ne concerne pas que la durée du chantier (triplée), mais aussi le coût du réacteur (quadruplé).

À Olkiluoto en Finlande, le démarrage a aussi été retardé de 10 ans avec un coût plus que triplé. Ce fiasco provient sans doute de l’absence d’un véritable architecte industriel dans la collaboration entre AREVA et l’électricien finlandais TVO, et aussi du manque de compétence de l’Autorité de sûreté finlandaise. Mais ces défauts auraient dû disparaître à Flamanville avec l’architecte industriel EDF fort de la construction des 58 réacteurs français, et avec l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) française.

Mais ce ne fut pas le cas. EDF, qui a piloté le chantier de Flamanville via sa nouvelle filiale Framatome, n’a pas brillé non plus au vu des difficultés du chantier.

Heureusement, toutes les compétences françaises n’ont pas complètement disparu.

EDF est partie prenante à 30 % de la centrale de Taishan en Chine dans le cadre de l’entreprise commune sino-française baptisée la « Taishan Nuclear Power Joint Venture Company » (TNPJVC). Pour construire les réacteurs de Taishan, Framatome et EDF entretiennent une fructueuse relation avec la compagnie chinoise CGNPC (China General Nuclear Power Corporation) dans cette « joint-venture ».

Le nucléaire est en développement continu dans le monde avec 52 réacteurs en construction.

La France va-t-elle continuer à regarder passer les trains ?

Nucléaire français : la relève chinoise ?

La construction actuelle d’un parc de réacteurs en Chine présente des similitudes avec la situation qui régnait en France entre 1975 et 1990, période où jusqu’à huit réacteurs ont été mis en service en 1981.

Les pays de l’OCDE (UE, USA, Japon…) auront construit deux réacteurs de Génération 3 (EPR, AP1000) en 16 ans. Mais il n’aura fallu que 10 ans à la Chine pour en construire six !

Et six réacteurs supplémentaires de Génération 2 étaient aussi en construction en parallèle.

Le tarif garanti par l’État chinois pour l’achat de la production électrique de l’EPR de Taishan est de 57 euros par mégawattheure (MWh), soit deux fois moins cher que celui prévu pour la production des EPR européens. En Chine, le nucléaire est donc particulièrement compétitif puisque le prix moyen de l’électricité est d’environ 70 euros par MWh.

Le fonctionnement satisfaisant des deux réacteurs EPR de Taishan montre que, contrairement à certaines allégations (et souhaits malveillants), il est possible de construire un réacteur EPR en neuf ans.

Le coût de la construction des deux réacteurs EPR est estimé par les Chinois à 11 milliards d’euros (85,8 milliards de yuans avec 1 yuan = 0,13 euro). Ce chiffre est à comparer aux 12 milliards d’euros prévus pour le seul EPR de Flamanville, soit presque le double.

Initialement, le coût de construction de la centrale EPR de Taishan  prévu en 2009 était de six milliards. Il y a donc eu aussi une dérive du coût qui a doublé. Il est probable que cette dérive soit liée à l’évolution du coût de la main-d’œuvre qui, bien que restant peu élevé, a été multiplié par 2,6 en 10 ans entre 2007 et 2016, selon le Bureau national chinois des statistiques. Ce qui a sans doute contribué à l’augmentation du coût de la centrale.

Malgré cette augmentation, le coût de l’EPR de Taishan reste faible grâce avant tout à l’accès aux compétences dans l’industrie qui a bénéficié du développement ininterrompu du nucléaire depuis 30 ans, ainsi que de la construction d’une paire de tranches en parallèle.

La possibilité de mobiliser de la main-d’œuvre flexible, expérimentée et qualifiée grâce à un rythme de construction soutenu du nucléaire en Chine constitue un avantage indéniable pour Taishan. Les effectifs travaillant sur la construction de réacteurs nucléaires sont environ cinq fois plus élevés en Chine qu’en Europe.

La sureté nucléaire chinoise

Le système de régulation nucléaire en Chine est similaire à celui de France. Il y a les lois votées par le Congrès, les décrets approuvés par le Conseil des Affaires de l’État, les règles ministérielles, les décisions et les guides de NNSA (Administration nationale de la sûreté nucléaire chinoise) qui est l’équivalent de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) en France.

Les autorités de sûreté nucléaire de nombreux pays, dont la NNSA, comparent et harmonisent leurs pratiques pour garantir que les objectifs essentiels de sûreté sont respectés dans tous les pays.

Enfin, le contexte réglementaire est plus stable en Chine, et il n’y a pas lieu de supposer que la NNSA traite le sujet de la sûreté nucléaire avec une moindre rigueur que ses homologues français et finlandais.

Quelle stratégie pour le nucléaire français et franco-chinois ?

Alors que le nucléaire français était la référence mondiale dans les années 1980, le manque de vision stratégique des gouvernements successifs, obnubilés par le désir de conquérir des voix « vertes », a dangereusement réduit le savoir-faire des constructeurs de réacteurs en France.

Toutefois, l’actuelle collaboration avec la Chine peut faire renaître l’excellence de la construction nucléaire française.

Plus de 200 ingénieurs d’EDF ont été détachés sur le projet Taishan pour apporter leur expertise technique pour le bon déroulement du chantier. Ils assurent un retour d’expérience au bénéfice des ingénieurs de Framatome intervenant sur les trois projets EPR dans le monde (Olkiluoto, Hinkley-Point et Flamanville).

La conception des équipements clés de la technologie EPR est la propriété intellectuelle de Framatome qui s’est engagé à assurer le transfert du droit d’usage de la technologie EPR en Chine (l’export hors Chine étant exclu) et à accompagner la chaine d’approvisionnement (supply chain) chinoise pour la fabrication des équipements.

Ainsi, à Taishan, la majorité des équipements de haute technologie dans la partie nucléaire des installations a été fabriquée par des entreprises françaises ou européennes, et une petite partie par des entreprises chinoises. Les générateurs de vapeur et la cuve ont par exemple été assemblés en Chine avec de nombreux composants importés de France, et avec l’assistance de Framatome.

Avec la participation de près de 40 entreprises françaises (équipements ou services), le chiffre d’affaire pour la filière nucléaire française dans le projet Taishan est estimé à environ 2,4 milliards d’euros pour les deux réacteurs EPR.

Pérenniser la collaboration « TNPJVC » de la France avec la Chine permettrait de proposer immédiatement au monde entier deux types de réacteurs : l’EPR pour la génération 3, et le Hualong pour la génération 2, avec en perspective les immenses marchés du retraitement des combustibles et de la gestion des déchets.

Et un grand avenir s’ouvrira alors à l’industrie nucléaire française sauvée par la Chine !

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  • Le ciel vous entende !

    Pour le moment, depuis une trentaine d’années, nous sommes sous occupation des escrologistes qui, tels des virus hautement toxiques et contagieux, ont infiltré presque tous les partis et implantés un catastrophisme infondé dans la tête de millions de personnes qui adoptent en conséquence un comportement antinucléaire, évidemment primaire car fondé sur des mensonges et des rumeurs. Combien de temps faut-il encore attendre pour que l’on dise tout haut que le roi est nu, c’est-à-dire que l’éolien et le solaire sont des illusions ruineuses, que les vrais problèmes sont le charbon (et le lignite, ô vertueux Grüne allemands…), notamment dans des pays en voie de développement comme l’Inde : c’est dans de tels pays que la notion de  » transition écologique  » et une politique pour la mettre en oeuvre ont un sens et revêtent une vraie nécessité (cf. les récents et catastrophiques pics de pollution à New Delhi).

    Je vous remercie de mener avec autant de ténacité ce combat de désintoxication des esprits.Et j’espère bien que, progressivement, les charlatans escrologistes seront déconsidérés.

    • le refus du nucleaire est un des éléments de la doctrine des verts…
      l’escroquerie se situe au niveau des buts proclamés de l’ecologie, préservation  » optimum » de l’homme et de l’environnement..
      on va le répéter on peut penser que les buts sont contradictoires, cela leur permet de toujours avoir un argument pour être « contre ».
      pas social…ou pas bon pour l’environnement..

  • oui…ben en effet..

    ceci dit on ne saurait plus faire de téloche non plus..et des tas d’autres trucs…
    qu’est ce qui empêche de faire venir des entreprises chinoises construire les epr en france alors?
    ce serait amusant…

    • bon combien de temps avant que les chinois n’aient plus besoin de l’expertise des ingénieurs français ?

      • Ils ont quoi de plus le d’ingénieurs français ? Rien.
        D’ailleurs je me demande comment ils ont pu créer un epr …qui ne marche toujours pas ..2022….heureux si cela se termine avant 2030 !

      • A mon avis c’est déjà fait. En ayant construit 2 et avec ceux en construction ils ont acquis l’expertise suffisante!

        • oui ben on ne peut pas se plaindre…quand un pays ne veut pas de nucleaire… qu’il estime que c’est aux politiques de piloter le truc..c’est la conclusion logique…

        • A mon avis il leur faudra un peu de temps, le travail en Chine n’est pas soumis aux mêmes contraintes. Et comparer les coûts de construction en Chine et en Europe c’est comparer des choux et des navets.

  • Nos chinois construisent tout ce que nous ne pouvons plus construire ou fabriquer..heureux qu’ils soient plus d’un milliard…delà a dire que cela sauvera Notre nucléaire……..et puis , est-ce vraiment important ?

  • bien d’accord, mais c’est amusant de lire sur ce site qui défend la liberté totale des initiatives privées un article qui vante les mérites d’un état interventionniste… effectivement, il ne peut y avoir de nucléaire sans état, non seulement pour l’enjeu de sureté, mais aussi pour le cadre intégré de très long terme. Tout investisseur comparera le risque financier et le long temps de retour d’un investissement nucléaire comparé avec la machine à cash immédiat garanti des éoliennes… et fait son choix…

    • Il’ne faut pas opposer ce qui est complémentaire. Ceux qui veulent sortir à tout prix l’Etat de tout, y compris des industries stratégiques, ne servent pas forcément les intérêts de la population…

    • Euh quand c’est le nucléaire, c’est pas bien… Quand c’est les hachoirs à oiseaux, c’est bien…
      Rien ne vous gêne ❓

    • les éoliennes ne sont un machine à cash que du fait des obligations d’achat …

    • S’il y a une entreprise d’état qui a plutôt remarquablement réussi, c’est EdF, en situation de monopole mais fournissant un service de qualité avec un prix de l’électricité dans les plus bas d’Europe et tout cela sans l’aide de l’état ou plutôt malgré nos dirigeants politiques qui ont parfois fait main basse sur une partie des recettes.
      Malheureusement depuis déjà un certain nombre d’années nos dirigeants politiques font tout pour détruire cette entreprise, loi NOME, ARENH… pour faire vivre une fausse concurrence sur le dos des consommateurs.

  • En gros vous dites que, comme De Gaulle à Londres en 1940, nos ingénieurs (et leur savoir) se réfugient à Pékin pour organiser leur retour en France après la chute de la dictature verte ?

    « … Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ?
    Non !
    Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la
    France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire…  »

    Bon d’accord, n’est pas De Gaulle qui veut…

  • ‘La France va-t-elle continuer à regarder passer les trains ?’
    Bien sûr, c’est électoraliste et certifié écologique… ?

  • Il ne faut pas compter sur nos politiciens pour sauver un des rares secteurs où la France était experte. Le fait que nous n’ayons plus le personnel qualifié en dit long. Après avoir détruit l’industrie française ils s’attaquent maintenant à l’agriculture et au secteur agricole en interdisant les produits de synthèse et réglementant à tort et à travers l’industrie agro-alimentaire!

    • On était expert en beaucoup de choses mais nos politiques ont décidé de gouverner des ânes , qu’auraient ils pu faire d’autre ,ils sont a 100% corrompus et idiots

  • Ben c’est ce qui se passe lorsqu’une filière industrielle est entièrement dépendante de l’état…Dès que l’état fait défaut, la filière s’effondre.

  • Un mélange de bas du front et de journalistes corrompus est au pouvoir: la chute n’est pas loin et cela passe par le sous-développement… et la ruine

  • Même si je suis bien d’accord avec certaines parties de l’article, (sur la désindustrialisation de la France par exemple) comparer les coûts de construction en Chine et en Europe c’est un peu comparer des choux et des navets.
    Lorsqu’il est nécessaire de casser quelques m3 de béton; en Chine il sera très facile de trouver le personnel nécessaire, éventuellement plusieurs équipes pouvant travailler en 3×8 ou tout autre organisation, en France compte-tenu du coûts du travail les équipes seront sous-dimensionnées et au final la même opération aura bien coûté 2 ou 3 fois le coût en Chine de la même opération.
    Si l’essentiel de nos smartphones ou de nos tablettes et ordinateurs sont fabriqués en Chine il y a de bonnes raisons.

    • Lorsqu’on voit le nombre de chantier en attente en France, qui avancent de temps en temps par petits morceaux, on se dit quand même qu’on a un problème. En Chine, c’est impossible.

  • revenons quelques instants sur Fessenheim :
    L’exemple de détruire ce qui fonctionne avant la retraite est bien un raisonnement de gauche: les voitures, la retraite avant l’heure, les mobiles . . . jetez, jetez, jetez « qui disaient ». En ce qui concerne Fessenheim c’est pareil on jette bien avant d’avoir usé (et entretenu à grands frais grâce aux 700 salariés et aussi tous les sous-traitants) Si le démantèlement doit démarrer, les allemands et les suisses devraient aussi participer financièrement et pas symboliquement

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