Par Matthieu Baumier.
Un article de Conflits
La procédure d’impeachment qui frappe le président Donald Trump semble politiquement capitale vue d’Europe. Ce n’est pas le cas. Le président américain risque peu d’être destitué, et peut-être sortira-t-il même avantagé, voire vainqueur d’une opération démocrate menée sur la base de soupçons réels, mais de preuves tangibles peu ou pas concluantes.
L’affaire ukrainienne risque d’ailleurs de faire pschitt, à l’instar de l’affaire russe. Il n’est guère certain que cette agitation joue un grand rôle dans la campagne électorale présidentielle.
Au fond, ce qui importe n’est pas ce que la procédure pourrait produire, contrairement aux procédures ou velléités de procédures de destitution que les États-Unis ont déjà connues. Jusqu’alors, la question importante était celle des conséquences.
Avec l’impeachment engagé contre Donald Trump, nous assistons exactement au contraire : ce qui importe, c’est la cause.
Ou, pour être plus précis, ce que la mise en œuvre de la procédure dit de la situation politique interne des États-Unis, de la rupture de la règle du compromis et de la recherche du consensus voulue par les Pères fondateurs, pratique sur laquelle fonctionnait le système démocratique américain.
La bipolarité et la recherche du compromis consensuel allaient ensemble en Amérique, dans le cadre d’une pratique habituelle et permanente de la négociation. Il s’agissait d’un équilibre, de sa recherche et de la volonté de l’obtenir. Cela demandait que les deux partis soient en interne eux aussi équilibrés, aptes au compromis et au consensus.
Bien sûr, partis républicain et démocrate ont toujours été sujets à des tensions internes, mais elles se résolvaient habituellement au centre, chacun lâchant assez de lest pour que le consensus politique soit possible – et de là un compromis avec l’autre acteur du système bipolaire.
Ainsi allait la démocratie en Amérique, ainsi allait la bipolarité. Cette dernière étant aux yeux des Américains, jusqu’à présent, la condition sine qua non de la gouvernabilité du pays.
La polarisation est devenue conflictuelle à toutes les échelles
Il y a eu la radicalisation progressive des positions extrêmes proches, mais extérieures au parti démocrate, celles de campus dont nombre d’acteurs ont peu à peu rejoint les rangs du parti, le poussant idéologiquement vers sa gauche, il y a eu le Tea Party, la crise économique, la montée en puissance de Bernie Sanders, Black Lives Matter, les « déplorables » de Clinton, la mondialisation malheureuse… Donald Trump vient dans la continuité.
Il n’est pas une cause, mais un révélateur.
Au printemps 2018, un sondage du Pew Research Center indiquait que seules des minorités des deux grands partis sont favorables aux compromis avec l’autre parti (46 % des démocrates et 44 % des républicains). Autrement dit, une majorité des membres des deux partis remettent en cause le fondement même de la constitution des États-Unis : la recherche du compromis politique.
Bien sûr, le phénomène n’est pas spontané, il est apparu progressivement, déjà à la fin du siècle passé et au début du nôtre, mais à force de creuser un double écart (au sein de chacun des partis ; entre les partis), la perte du sens du compromis pose un problème à la démocratie américaine et à son histoire.
C’est sans aucun doute de cela dont Donald Trump est le nom, pas la cause, et non d’un quelconque « fascisme », « populisme » ou autre nom d’oiseau. Donald Trump révèle ce que la démocratie américaine tend à devenir, est devenu peut-être déjà : un lieu où l’émotionnel a remplacé le politique.
C’est le concept même de polarisation de la vie politique américaine qui a changé, et ne pas saisir cela, par exemple de ce côté-ci de l’Atlantique, empêche de comprendre ce que des écrivains comme Bret Easton Ellis ou Seth Greenland veulent dire dans des livres tels que White, pour le premier, Mécanique de la chute, pour le second : le remplacement de la recherche bipolaire du compromis par la polarité en forme de tensions et de violences qui marquent actuellement l’Amérique n’est pas seulement le résultat des politiques des gouvernements, mais aussi, peut-être surtout, celui de l’évolution idéologique radicale des franges les plus extrêmes de chacun des deux partis, et la part que ces franges tendent à prendre au sein de ces mêmes partis.
C’est cette évolution qui prend le pas sur le centre, tant au sein des démocrates que des républicains, et c’est cette évolution que critiquent Greenland et Easton Ellis. Les républicains sont-ils conservateurs, libéraux, libertariens, populistes, évangéliques ? Les cinq. Les démocrates sont-ils libéraux, sociaux-démocrates, centristes, socialistes, radicaux socialistes ? Les cinq, et plus si l’on ajoute les velléités écologistes.
Ce que cela traduit ? Au sein de chaque parti, des fossés se sont creusés et se creusent entre des conceptions idéologiques du monde impossibles à concilier, d’où le risque réel, même si peu clairement ressenti pour le moment, d’un éclatement des deux partis historiques de la bipolarité politique américaine, à commencer par le parti démocrate.
C’est en effet au sein de celui-ci que les tensions sont les plus fortes. Ce ne sont plus simplement des arguments idéologiques rationnels qui positionnent un membre des républicains ou des démocrates à la droite, la gauche ou au centre de son parti, ce sont des manières de réagir émotionnelles.
Autrement dit l’émotion prime sur le politique, et même sur l’idéologie. Chacun des deux partis, plutôt que d’être un arbre avec des branches multiples, mais un tronc solide, devient un agrégat de tribus sans liens autres que conflictuels, entre elles, mais aussi à l’encontre de l’adversaire politique.
La polarisation de la vie politique américaine n’est ainsi pas seulement celle de la politique au sens des élections, mais celle de la politique en tous les sens possibles de ce mot.
L’émotionnel s’est substitué au débat avant Trump
Polarisés en dedans, chacun des partis l’est de même de plus en plus à l’égard de l’autre, d’où le recul du compromis, ce que révèle l’ubuesque, à nombre d’égards, procédure d’impeachment en cours : le Pew Research Center notait ainsi dès 2014, sous Obama donc, que 43 % des républicains considéraient le parti démocrate comme une menace (contre 17 % lors de l’étude précédente) et que 38 % des démocrates voyaient de même le parti républicain comme une menace (contre 16 % lors de l’étude précédente). Évidemment, le compromis consensuel voulu par les Fondateurs ne peut qu’en pâtir.
Toujours selon le Pew Research Center, en 2016, 62 % des républicains très engagés jugeaient « effrayants » les démocrates ; de l’autre côté, 70 % se disaient aussi « effrayés » par les républicains. La démocratie américaine n’est donc pas devenue démocratie d’émotion avec les tweets de Trump, c’est bien le contraire qui est à l’œuvre : le président américain ne fait que traduire une réalité que l’a précédé.
Résultats ? Le débat politique sort du rationnel, de la recherche d’arguments clairs et fondés en raison, au profit de la réactivité émotionnelle, de la diabolisation de l’autre. Les réactions émotionnelles marquent une sorte de recul : chacun réagit avec sa tribu contre la tribu de l’autre. La tribu devient la base de la démocratie en Amérique.
Les causes ? Elles sont nombreuses. Le déclin des corps intermédiaires, ainsi les syndicats, le recul des pratiques religieuses, la jeunesse américaine est de moins en moins concernée, le développement de la gauche identitaire des campus, obsédée par les questions de race et de genre, le libéralisme fanatique d’une partie de la droite de l’échiquier politique et des acteurs principaux de l’économie, le déclassement réel et ressenti par les Poor white trash, les réseaux sociaux, le déclin de l’école publique…
Tout cela joue un rôle, pousse chacun vers une tribu sécurisante, à moins qu’il ne sorte du système, rejoignant les divers mondes interlopes que propose l’échec du rêve américain.
Peut-être assistons-nous à la fin, au moins provisoire, de ce qui fondait la démocratie en Amérique : le sentiment quasi religieux de participer d’une citoyenneté partagée.
Cela ne date pas de Donald Trump, même si du fait de sa personnalité il ne peut qu’en être un accélérateur. C’est une dérive ancienne, maintenant profondément installée, qui fait que ce pays est violemment polarisé, et même multi-polarisé.
Le risque qui pèse ainsi sur la démocratie américaine n’est pas le « populisme », c’est le recul de l’équilibre voulu par les Pères fondateurs, un recul qui se ferait au profit de factions dont le socle politique ne fonctionnerait que selon l’émotionnel, et la variabilité de celui-ci. Ce qui menace les États-Unis, c’est la désunion. Et la menace n’est pas mince, étant donné le rôle que joue ce pays à l’échelle internationale.
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la bipolarité avec consensus c’est une escroquerie..
en effet les partis politiques ont des campagnes agressives basées sur des promesses de changements qui n’arrivent jamais .. grâce au consensus justement..et a cause des contre-pouvoirs ou d’une situation économique intérieure ou exterieure..
Les électeurs commencent a comprendre ce que les politiques choisies impliquent dans leur quotidien compte tenu des contraintes incontournables des évolutions sociales..
Les élections se gagnent aux extrêmes alors que les pays se gouvernent au centre.; toujours le consensus..
et la democratie vends le contraire
quel sens donnez vous à démocratie en danger?
je dirais civilité sinon paix civile en danger.. dialogue impossible..
il est illusoire de penser qu’on puisse faire société avec quiconque..il faut partager des valeurs..et en rappeler l’importance.
est ce qu’il n’est pas plus inquiétant de voir mises en question des libertés fondamentales telle la liberté d’expression?
la mécanique qui détruit le dialogue est sans doute la reconnaissance du statut de minorité ..
chacun cherche à se présenter ensuite comme victime pour obtenir privilège et pouvoir…
La recherche d’un consensus est possible quand les positions ne sont pas trop éloignées l’une de l’autre.
Quand vous avez un groupe se gauchisant fortement, d’abord avec Clinton puis surtout avec Obama et maintenant les Sanders et consorts, le consensus devient impossible. Certains diront que les Républicains se sont droitisés. Mais les groupes comme le Tea party ont toujours existé avec une influence limitée d’ailleurs.
La différence est qu’avant, la victoire électorale de l’autre a toujours été acceptée par le vaincu qui profitait de son passage dans l’opposition pour préparer les prochaines élections et qui n’avait pas trop intérêt à une adopter attitude contreproductive électoralement parlant.
Or les démocrates n’ont jamais accepté le dernier résultat électoral et font tout pour essayer de dégommer Trump. Ce n’est pas une attitude très constructive les faisant apparaître comme peu respectueux de la démocratie. Cela ne fédère que les démocrates les plus ultras au risque de décourager les modérés.
on voit clairement à gauche , brexit et trump, un rejet du processus démocratique… pour le moment, la volonté de supplanter la démocratie en recherchant une autorité extérieure et supérieure est le fait de la gauche..
Bof le non consensus est de façade ,ils se tiennent tous a la culotte ,ils ont tous tellement magouillé et fait de coup foireux a la terre entière.
Je pense que vous oubliez un element majeur dans les causes: le role de la presse. Je vis aux US et ai de plus en plus de mal a trouver un moyen de m’informer sans multiplier mes sources pour avoir une idee generale des FAITS. La presse mainstream (typiqument a gauche) a balance toute sa credibilite depuis qq annees et se concentre sur l’endoctrinement quitte a mentir sans complexe. La presse de droite (au moins on en a une) ne fait pas tellement mieux (quoique plus credible au niveau des faits sur bien des points). Le resultat est que le lecteur democrate du WaPo a une vision completement tronquee de l’Amerique d’aujourd’hui et vice versa. Ca ne date pas de Trump mais ca s’est serieusement accelere en 2016.
Je ne suis pas convaincu.
– les accords bi-partisans existent, même aujourd’hui.
– il ne me semble pas que les US ait moins été en conflit interne dans le passé qu’aujourd’hui.
– Trump me semble être une exception dans la lignée des présidents, à l’exception de Eisenhower.
A mon avis, même la crainte d’une désunion entre les états US me semble exagéré, tant la fluidité au sein des liens entre états est un frein à la sortie, sans compter la faiblesse des « voisins » canadiens et mexicains.
En fait, l’espoir est dans la crainte de l’auteur, qui visiblement a peur du reste du Monde. Et cette peur soutient le centre contre les 2 extrêmes, comme en UE.
Très bon article de fond, même si j’ai du mal à saisir le sens d’une phrase comme « le libéralisme fanatique d’une partie de la droite de l’échiquier politique et des acteurs principaux de l’économie »… sachant qu’il y a presque autant de définitions du libéralisme qu’il y a de libéraux, l’auteur aurait gagné à expliciter ce qu’il entend par « libéralisme fanatique ».
Cela dit, le constat sur la polarisation politique aux USA, et sur les inquiétudes que cela suscite, est juste. Ce pays a déjà connu une guerre civile, faut-il le rappeler. À mon sens, c’est le développement du gauchisme, du prétendu « progressisme », de l’idée d’État-providence, bref l’abandon du principe de liberté-responsabilité individuelle, sur fond effectivement de recul des pratiques religieuses, qui en sont responsables, au départ.
L’auteur ne note pas un autre phénomène inquiétant, qui est une baisse sensible du soutien à Israël parmi les Démocrates (avec même la montée en puissance de personnalités quasi-ouvertement antisémites), qui traduit également une perte des repères démocratiques chez un certain nombre d’Américains. Cela ne peut manquer d’inquiéter.
« Les partis républicain et démocrate ont toujours été sujets à des tensions internes, mais elles se résolvaient habituellement au centre » ?
Etonnante remarque. Il semblait pourtant que les tensions se résolvaient habituellement à gauche depuis plusieurs décennies, avec toujours plus de « progrès social » et toujours plus de dépenses publiques, le tout agrémenté d’un effet cliquet systématique. Maintenant que les républicains semblent en avoir retrouvé une paire, soudainement, le consensus politique n’existe plus. Quelle surprise !
Autrement dit, c’est chez les démocrates mal nommés qu’il y a incapacité à faire un pas vers l’autre, reflétant une absence dramatique de culture démocratique dont le shampeachment, minable manipulation politicienne et, au fond, refus obstiné d’accepter le résultat des urnes quand il est défavorable, n’est pas le moindre des exemples.