Par Colline Brassard1.
Un article de The Conversation
Si les amateurs de chats en étaient déjà convaincus, la science devait encore le prouver : oui, les chats peuvent nous aimer ! Une étude publiée dans la revue scientifique Current Biology vient de démontrer, une nouvelle fois, que les capacités sociocognitives des chats étaient largement sous-estimées.
Avec près de 700 000 chats identifiés en France en 2018, le chat est l’un des animaux de compagnie les plus représentés sur le territoire. L’affrontement entre amoureux des chats et des chiens ne faiblit pas, ces derniers reprochant au chat d’être « trop indépendant » et d’être notre maître plus que nous ne sommes le sien.
Des chats attachants mais aussi attachés
Lorsqu’ils sont errants, les chats, tout comme les chiens, sont des espèces sociales facultatives. Ils vivent soit seuls, soit en groupe, en fonction des pressions environnementales et de la disponibilité des ressources. Le chien est reconnu depuis longtemps comme étant un spécialiste des relations inter-espèces, puisqu’il s’épanouit très bien dans les groupes humains. Des chercheurs de l’université d’Oregon ont démontré que cette flexibilité sociale s’applique aussi aux chats. Dans Demain les Chats, de Bernard Werber, Bastet pense :
« Je m’approche et me frotte à elle en ronronnant, espérant qu’elle consente à me caresser pour me remercier de cette facétie qui montre notre haut niveau de complicité. »
Le personnage pensé par Werber est l’illustration parfaite de ce que la chercheuse Vitale et ses collègues ont démontré : les chats présentent les mêmes traits sociaux que ceux qui n’étaient autrefois attribués qu’aux chiens et aux humains, ce qui suggère l’existence de capacités sociocognitives et d’un attachement interspécifique comparables chez ces trois espèces.
Les chats nous voient-ils seulement comme des fournisseurs de croquettes ?
Dans leur expérience, 70 chatons de 3 à 8 mois sont soumis au protocole suivant : après avoir été placés deux minutes dans une nouvelle pièce avec l’humain qui a l’habitude de les soigner, ils sont laissés deux minutes tous seuls, avant de retrouver leurs soigneurs pendant deux nouvelles minutes. L’attachement des chats a ensuite été classé en attachement « sécure » ou « insécure », selon les critères habituellement utilisés pour les chiens et les enfants.
Les résultats montrent qu’au retour du soigneur, 65 % des chats sont moins stressés, cherchent le contact, puis sont capables de reprendre un comportement exploratoire (attachement sécure), mais 35 % sont stressés (attachement insécure) et recherchent soit la proximité de manière excessive (84 %), soit adoptent un comportement de fuite (12 %) ou alors un mélange entre les deux (4 %).
Les chercheurs ont aussi montré qu’une fois cet attachement sécure établi, il persiste dans le temps, sans influence ni de l’existence, ni de la durée d’un entraînement de sociabilisation avec l’homme. Selon eux, ceci suggère l’existence de facteurs héréditaires conditionnant le tempérament, le type et la stabilité de l’attachement.
Les chats se sont auto-domestiqués
Nos chats de canapés se seraient domestiqués tout seuls à partir de l’espèce sauvage Felis silvestris lybica, le chat ganté.
Si selon la mythologie égyptienne c’est la déesse Bastet, qui, pour la première, domestiqua les chats, les mécanismes réels sont encore sujets à de nombreuses discussions.
Voici le scénario le plus probable : les ancêtres sauvages de nos chats modernes auraient suivi les souris, elles même attirées par les stocks de céréales entreposés dans les greniers des premiers agriculteurs. La pression de sélection s’exerçant sur les individus s’accommodant le mieux du contact avec l’homme expliquerait alors la divergence progressive des premiers chats domestiques. L’homme, tirant de cette lutte contre les nuisibles un avantage (pour la préservation contre les maladies ou la conservation des stocks de nourriture), a retenu le félin en disposant à son attention de la nourriture.
Les chats sont cependant aujourd’hui considérés comme appartenant à une espèce « semi-domestiquée ». D’ailleurs, peu de caractères permettent de les distinguer de leur ancêtre sauvage, si ce n’est leur gracilité, leur docilité, et la pigmentation de leur pelage.
En comparaison du chien, le nombre de régions génomiques impliquées dans la domestication du chat est modeste, d’une part parce que c’est un phénomène plus récent, impliquant des sélections sur des caractères physiques, un contrôle de l’alimentation et de la reproduction moindres, et d’autre part parce que les populations sauvages ne sont pas toujours nettement isolées. Ceci rend l’interprétation des vestiges osseux archéologiques très difficile.
Un attachement qui ne date pas d’aujourd’hui
Les nombreuses représentations du chat en Égypte ancienne témoignent d’un lien entre nos deux espèces très ancien. Le félin, déjà , était présent dans la maison, sous le siège de ses maîtres, dans les champs pour aider à la chasse aux oiseaux, dans les récits satyriques, et même dans la tombe de leurs propriétaires.
On a longtemps cru que l’Égypte était le berceau de la domestication du chat, environ 3600–3800 ans avant notre ère. Cependant, des découvertes archéologiques suggèrent qu’elle pourrait avoir été bien antérieure, dans le Levant comme le raconte Jean‑Denis Vigne.
Une phalange de Felis silvestris lybica, retrouvée à Klimonas, suggère que le chat a été introduit volontairement et par bateau, sur l’île de Chypre il y a 11 000 ans. De plus, sur le site de Shillourokambos, un chat Felis sylvestris, datant de 7300–7000 avant notre ère, a été retrouvé faisant face à un jeune homme dans sa tombe. Un lien de familiarité semblait donc déjà exister, et une domestication s’est certainement entamée dans le Levant des milliers d’années avant le début de la domestication égyptienne !
Nos chats sont issus des foyers de domestication proche-orientaux et égyptiens, d’où ils ont diffusé pour arriver sur le sol français au début de l’âge du fer, vers 1000-1800 avant notre ère.
En Chine aussi, de nombreux sites néolithiques ont livré des restes osseux de félins. Bien que parfois consommés, les chats pouvaient aussi bénéficier d’un traitement particulier. Un individu, datant de 3600–3300 avant notre ère, a ainsi été retrouvé en contexte funéraire à Wu Zhuang Guo Liang. Une étude a montré que les chats en question étaient issus d’une lignée locale de chats du Bengale, ce qui suggère l’existence d’un troisième foyer de domestication. Cependant, les chats asiatiques modernes montrent des morphotypes occidentaux, ce qui semble indiquer que cette domestication n’a pas perduré.
Une co-évolution qui a rendu les chats plus intelligents ?
Montague et ses collègues, en explorant les différences génomiques entre chats domestiques et chats sauvages, ont montré que la domestication a affecté la mémoire, le conditionnement à la peur, et l’apprentissage par stimulation et récompense. Parmi les modifications, les chercheurs ont montré que les chats domestiques avaient un système voméro-nasal plus développé, se traduisant par une plus grande aptitude à détecter les phéromones, aux dépens de la détection des odeurs.
Les chats développeraient les mêmes traits comportementaux que leurs propriétaires. Dernière cette affirmation alléchante se cache une réalité plus nuancée, si l’on en croit une étude menée sur plus de 3000 propriétaires de chats. Un maître névrosé serait plus susceptible d’avoir un chat présentant des problèmes du comportement (anxiété ou agressivité), avec un accès à l’extérieur restreint, et une surcharge pondérale. Au contraire, les chats des propriétaires extravertis et plus prévenants ont un poids normal, un accès facilité à l’extérieur et un comportement plus serein et grégaire.
Et si les cat-lovers étaient manipulés ?
Vous avez sûrement déjà entendu parler de la toxoplasmose. Redoutée par les femmes enceintes, elle est due à un protozoaire intracellulaire, Toxoplasma gondii, capable de s’enkyster dans nos muscles et notre cerveau. Si le chat est souvent incriminé, ses fèces sont loin d’être le facteur de contamination le plus important (d’autant plus qu’il ne concerne que les chats en mesure d’accéder à l’extérieur et de chasser). La consommation de viande crue ou mal cuite est la principale responsable.
On estime qu’au moins la moitié de la population est porteuse de ce parasite. Mais pas de panique ! Celui-ci est inoffensif, excepté chez les personnes immunodéprimées ou les femmes enceintes qui risquent de le transmettre à leur fœtus.
Le chercheur Jaroslav Flegr affirme cependant que les infections à toxoplasmes peuvent modifier le comportement des Hommes et entraîner une diminution de la performance psychomotrice. Infectés, les hommes seraient plus enclins à ignorer les règles, et se montreraient plus expéditifs, méfiants, jaloux et dogmatiques. Au contraire, les femmes seraient plus chaleureuses, sociables, consciencieuses, persistantes et moralistes. Tous deux seraient plus angoissés, et plus sujets aux accidents de voiture puisqu’ils y sont 2,65 fois plus exposés.
Il convient d’être extrêmement prudents avec ces résultats, car ils peuvent être fortement biaisés par l’échantillon lui-même. Il est possible, par exemple, que des personnes ayant certaines caractéristiques de personnalité se comportent d’une manière qui augmente les risques d’infection, ou que des personnes infectées et non infectées présentent des taux de testostérone différents, entraînant alors des comportements différents.
Ainsi, si l’Homme a créé le chat, le chat nous a peut-être changés à son tour. Finalement, la science ne cesse de nous démontrer que nos deux espèces ont co-évolué, au même titre que le chien ? C’est peut-être ce qui explique notre extraordinaire complicité.
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- Docteur vétérinaire, doctorante en anatomie fonctionnelle et en archéozoologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). ↩
Un bel exemple de relation gagnant-gagnant.