Cameroun : aux origines de l’hécatombe des entreprises publiques

En 1988, le pays comptait 188 entreprises publiques. En 2018, il n’en restait plus que 28 parmi lesquelles 12 présentaient des bilans déficitaires selon l’annexe de la loi des finances 2017.

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Yaoundé Cameroun (Crédits : Ville Miettinen, licence CC-BY-NC 2.0), via Flickr.

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Cameroun : aux origines de l’hécatombe des entreprises publiques

Publié le 27 juin 2019
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Par Louis-Marie Kakdeu.
Un article de Libre Afrique

Le président de la République du Cameroun a signé le 19 juin 2019 les décrets 2019/320 et 2019/321 portant les modalités d’application de certaines dispositions des lois N°2017/010 et 2017/011 du 12 juillet 2017 sur la gestion des entreprises publiques. Ces textes interviennent au moment où l’essentiel des entreprises publiques sont en difficulté.

En 1988, le pays comptait 188 entreprises publiques. En 2018, il n’en restait plus que 28 parmi lesquelles 12 présentaient des bilans déficitaires selon l’annexe de la loi des finances 2017. Pis, les 28 entreprises publiques existantes comprenaient aussi des entreprises créées après 1988. Cette hécatombe n’est que le résultat inéluctable de la mauvaise gouvernance de ces entreprises publiques. Qui en est responsable ? Au regard de leur statut, la faillite des entreprises publiques relève essentiellement de la responsabilité de l’État qui va de la création des entreprises à leur fonctionnement et à leur organisation.

Création d’entreprises publiques en fonction du cycle politique

Il faut remarquer que la vocation de l’État n’est pas de créer des entreprises, mais plutôt de les réguler. Les entreprises fonctionnent suivant un calcul économique, alors que l’État fonctionne suivant un calcul politique inadapté aux réalités du marché. À titre d’exemple, la Société d’Expansion et de Modernisation de la Riziculture de Yagoua (SEMRY) avait enregistré un déficit de 914,9 millions de FCFA en 2015 contre 899 millions de FCFA en 2014.

Une telle situation intervenait dans un contexte où, par exemple, la politique de distribution des semences correspondait plutôt au calendrier électoral en décalage avec les exigences du calendrier agricole. On peut dire la même chose de la société Electricity Development Corporation (EDC) qui avait enregistré un déficit de 2,92 milliards en 2015 dans un pays en manque d’électricité, mais où les actions d’électrification ne débordent que très rarement la période électorale.

On observe le même phénomène dans l’entretien routier, la construction des logements sociaux, etc. La négligence des exigences de la réalité économique s’est traduite par une explosion des dépenses sans que les recettes ne suivent, ce qui explique l’accumulation de déficits colossaux par les entreprises publiques. En 2015, la société Immobilière du Cameroun (SIC) avait enregistré un déficit de 2,124 milliards de FCFA dans un marché de logement pourtant très porteur avec plus de 2,5 millions de ménages en attente de logements décents selon le Bureau Central de Recensement et d’Étude de la population au Cameroun (BUCREP). En 2019, au lieu d’inciter le privé à investir massivement dans ces secteurs porteurs, l’État y conserve un quasi-monopole alors que la demande est très élevée et l’offre de qualité inexistante au niveau local.

Entreprises publiques et néo-patrimonialisme

En ce qui concerne le fonctionnement des entreprises publiques, l’on note que l’État opère une confusion de caisse. Bien souvent, il est en même temps producteur et client. Or, en tant que client, il consomme sans payer, ce qui plombe la comptabilité des entreprises publiques. Par exemple en 2015, la compagnie aérienne nationale Camair-co enregistrait un déficit de 10 milliards de FCFA et l’État était le plus gros débiteur.

Ce problème chronique avait déjà conduit à la faillite de la Camair (défunte compagnie nationale) et en 2019, il a déjà conduit à l’immobilisation de la moitié de la flotte de Camair-co (3 avions sur 6), faute d’entretiens adéquats. Aussi en marge des exigences de performance, l’État nomme à la tête de ces entreprises des personnalités politiques qui les dépouillent pour financer la politique comme l’atteste la composition de la commission des finances du parti au pouvoir (RDPC) lors des échéances électorales.

Le principe de nomination par décret à la tête des entreprises est en lui-même un frein pour la performance dans la mesure où le décret répond mieux au pouvoir discrétionnaire du président de la République qu’au profil de compétence exigé par le poste. Pire, il permet au décideur de nommer des fonctionnaires qui n’ont pas été formés pour gérer les entreprises.

Enfin, il instaure un système de clientélisme ou de déférence au décideur dans un environnement où il faut respecter les normes du marché et consacrer du temps à la Recherche & Développement (R&D). Pour conserver leurs postes, les chefs d’entreprises publiques s’emploient plutôt à entretenir les réseaux de clientélisme que de travailler à la création de la valeur pour leurs entreprises. Par conséquent, il n’y a que très peu de création de richesse au Cameroun et donc d’émergence.

Bureaucratie fatale pour la gouvernance

En ce qui concerne l’organisation, il faut noter que la composition des conseils d’administration est bureaucratique et donc coûteuse pour les entreprises publiques. On enregistre à chaque fois des représentants d’une dizaine d’administrations en plus de ceux de la présidence de la République et du Premier ministre. La loi de 2017 a fait passer le nombre de membres de 5 à 12, ce qui alourdit les charges des entreprises bien que satisfaisant aux exigences politiques de redistribution des postes. Bien que le décret 2019/320 vienne répartir les rôles, il est important de se demander à quoi sert d’améliorer la bureaucratie. Si les représentants de l’administration publique sont là pour défendre l’orientation des politiques publiques donnée par le gouvernement, à quoi sert-il d’en avoir 12 ? Surtout que le chef du gouvernement est aussi représenté. Même si le décret 2019/321 fixe le plafond des rémunérations, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de leur présence.

Nous arrivons donc à la conclusion selon laquelle les décrets du 19 juin dernier ne permettront pas de sauver le peu d’entreprises publiques qui restent au Cameroun dans la mesure où ils ne touchent pas à leurs problèmes structurels. Il convient pour l’État de se désengager davantage pour laisser ces entreprises fonctionner selon les règles du marché. Cela passe par l’adoption d’un pack de performances excluant par exemple les nominations par décret et valorisant une fois pour toutes les plans de carrière en vue de favoriser l’accession aux postes de responsabilité aux personnes les plus performantes.

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  • je vois néanmoins un point très positif à ce que vous évoquez : 85% des entreprises publiques au Cameroun ont disparu en 30 ans pour insuffisance de situation financière.

    je rêverais de cette situation en France …

  • ah !!! quand corruption massive , clientélisme , népotisme …..étouffe le Cameroun et toute l’Afrique !!!!…c’est pas prêt de changer !!!!!!!

  • pauvres camerounais de base , innocentes victimes de tous les voleurs de haut vol jusqu’à l’inamovible président de la non-repubique du Cameroun!!!

  • Les commentaires sont fermés.

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