Par Karl Eychenne.
Des taux bas créent des conditions favorables pour une reprise des investissements, les bons comme les mauvais. Dans ce dernier cas, on parle de faux positifs : ces investissements réalisés alors qu’ils ne devraient pas ; les faux positifs sont une notion bien connue dans les domaines médicaux, de la sécurité, de l’informatique, et autres.
Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, aussi longtemps. Plus que jamais, les taux bas sont l’arme principale de nos banquiers centraux pour dynamiser nos économies.
Des taux bas peuvent permettre aux entreprises, consommateurs, et gouvernements de s’endetter davantage en espérant ne pas trop alourdir leur charge d’intérêt afin de consommer ou d’investir. Mais les taux bas ont aussi un effet pervers…
L’effet pervers des taux bas
La relation prêteur–emprunteur se résume parfois à l’aide d’une seule grandeur : le taux d’intérêt. Plus grande sera la confiance du prêteur envers l’emprunteur et plus faible sera le taux d’intérêt proposé par l’emprunteur au prêteur. On obtient alors une palette de taux d’intérêt, censée discriminer les bons des mauvais emprunteurs, et en particulier décourager les plus mauvais emprunteurs.
Mais lorsque les taux d’intérêt sont trop bas, alors l’effet discriminatoire tend à s’évaporer. Il n’y a plus de nivellement par le coût du risque, plus de différence entre le financement des bons et des mauvais projets. Pour forcer le trait, certains avancent que le Quantitative Easing a pénalisé les épargnants en les expropriant du risque qu’ils prenaient. (twitter).
Ces effets pervers des taux bas peuvent alors produire toutes sortes d’anomalies dans l’économie réelle et sur les marchés financiers :
- une productivité qui croît faiblement malgré les progrès observés en nouvelles technologies ; peut-être serait-ce lié à une proportion trop forte de mauvais investissements contribuant négativement à la productivité ?
- des marchés d’actions et du crédit qui battent des records ; peut-être leur hausse est-elle exagérée par des achats de titres aux perspectives peu rentables mais peu coûteuses ?
- de nouveaux produits d’investissement basés sur des stratégies dont on aurait découvert les vertus au moment même où les rendements traditionnels étaient orientés à la baisse.
Une précision : lorsque l’on parle de taux bas, on veut dire des taux trop bas. En effet, il se peut très bien que des taux soient bas pour de bonnes raisons : ralentissement de l’inflation sous la cible de la Banque Centrale par exemple. Mais dans notre cas, nous parlons de taux qui seraient trop bas par rapport à ceux suggérés par les outils de mesure traditionnels (règles de Taylor, taux neutre, etc…)
Taux bas et faux positifs
Les faux positifs sont un problème bien connu du chercheur d’or :
- s’il utilise un tamis aux trous trop larges, il permettra aux grosses pépites de passer, mais également les gros cailloux : on parle alors de faux positifs pour désigner ce qui ne devrait pas passer mais qui passe.
- s’il utilise un tamis aux trous trop minces, il empêchera les gros cailloux de passer au travers du tamis, mais risquera aussi de rater quelques grosses pépites : on parle alors de faux négatifs pour désigner ce qui devrait passer mais ne passe pas.
Dans notre cas, les taux trop bas pourraient avoir les mêmes effets que les trous trop larges du tamis, laissant passant les bons investissements mais aussi les mauvais. Les taux trop bas donneraient donc des faux positifs trop importants.
Autres exemples de faux positifs connus :
- les fake news qui sont diffusées comme de vraies informations
- une alarme qui se déclenche alors qu’il n’y a rien
- un test médical qui vous déclare malade alors que vous n’avez rien
- un anti-virus qui bloque une application alors qu’elle est saine
- un backtest financier qui sélectionne une stratégie gagnante alors qu’elle ne l’est pas
- un algorithme de type deep learning qui surexploite des corrélations passées pour prévoir
- un détecteur de mensonge qui ne voit pas que vous mentez
Réduire les faux positifs en remontant les taux ?
Dans tous les cas, le meilleur moyen pour réduire le nombre de faux positifs serait de faire du cas par cas. Mais on ne peut pas tout savoir sur tout : soit c’est trop cher (tests médicaux spécifiques), soit cela prend trop de temps (vérification des fake news), ou c’est simplement impossible. À moins d’imaginer un monde Orwellien ou bien le panoptique de Jeremy Bentham, c’est-à-dire un monde où aucune information n’échappe à l’autorité. Mais ce monde n’existe pas (encore).
Bref, il y a donc perte d’information : les tests, les alarmes, les backtests, ne disent jamais tout ce qu’il faut savoir, il y a quelques angles morts impossibles à percevoir : les faux positifs (et les faux négatifs). Il faut donc se résoudre à tenter de réduire le nombre de faux positifs, à l’aide de tests moins spécifiques, d’alarmes moins sensibles, de backtests plus restrictifs, de tamis aux trous moins larges.
Dans notre cas, s’agirait-il alors de remonter les taux afin de réduire le nombre de mauvais investissements ? On voit tout de suite le prix à payer d’une telle démarche : en empêchant certains mauvais investissements de passer le test, vous empêchez également certains bons investissements de passer ce même test. Autrement dit, si vous réduisez le nombre de faux positifs (cas qui ne devraient pas être retenus mais qui le sont), vous augmentez le nombre de faux négatifs (cas qui devraient être retenus mais qui ne le sont pas).
Il s’agit donc de trouver le dosage parfait entre sensibilité et spécificité : une trop forte sensibilité signifie un manque de critères permettant de discriminer les faits, les personnes, les situations, et tend à produire des faux positifs. Une trop forte spécificité signifie un nombre de critères plus importants, mais tend à produire des faux négatifs. Dur métier que celui de banquier central qui n’a souvent que le seul taux d’intérêt comme outil de politique monétaire, et qui doit trouver le bon niveau de taux afin d’encourager justement les bons investissements sans trop encourager les mauvais.
Conclusion : démonstration boiteuse
Considérons deux sacs de boules : le sac mauvais investissements et le sac bons investissements ; les boules taux bas et taux hauts.
Fermons les yeux et tirons une boule au hasard dans l’un des sacs. Gardons les yeux fermés.
Quel sac a-t-on choisi ? A priori, l’histoire économique nous enseigne que la probabilité de tirer dans le sac de mauvais investissements est moins forte : en effet, le taux de défaut historique des entreprises est de l’ordre de 4 %, ce qui signifie que la probabilité de tirer le sac de bons investissements est lui de 96 %.
Maintenant ouvrons les yeux et regardons la boule tirée : il s’agit d’une boule taux bas. Cela doit-il modifier notre probabilité a priori d’avoir tiré dans le sac mauvais investissements ? Oui, cela doit augmenter la probabilité. En effet, si l’on croit à tout ce qui vient d’être dit plus haut, on se dit que le sac mauvais investissements doit contenir plus de boules taux bas que l’autre sac, c’est-à-dire que la probabilité de tirer une boule taux bas est plus forte dans le sac mauvais investissements que dans le sac bons investissements.
Or nous sommes aujourd’hui dans une situation où nous tirons sans arrêt des boules taux bas. Cela doit-il signifier que nous tirons très probablement dans le sac mauvais investissements ?
Malheureusement pour les épargnants ce sont les états surendéttés qui sont les gagnants de ces taux bas. Cette situation leur permet de continuer à durer, à vivre encore sur le meme pied, à ruiner un peu plus les pays qu’ils « exploitent ». Les épargnants Français paieront l’addition, particulièrement ceux qui ont souscrit de l’assurance vie. Pour survivre l’état les spoliera sans le moindre état d’ame. Et l’un des prétextes sera « la lutte pour le climat », qui justifiera tout. L’état et son chef ont bien compris cette « source » extraordinaire de prélèvements supplémentaires potentiels.
@Lesuisse, attends que la Fed remonte ses taux, tout le monde sera obligé de suivre. il en découlera une explosion de la charge de la dette. et là ça va saigner =p
In fine, cet article reconnait qu’il est très difficile (voire impossible) pour un banquier central de déterminer quel est le bon taux d’intérêt mais il n’y a aucune remise en question sur ce rôle attribué aux banques centrales : la fixation des taux directeurs. On peut certes ensuite disserter sans fin sur les risques de voir passer mauvais ou bon investissement selon le niveau du taux d’intérêt mais l’article reconnait implicitement que c’est à eux de fixer ce taux. Ce faisant, on accumule 2 risques d’erreurs : celui de la banque centrale (pour la fixation du taux) et celui de l’investisseur (choix du prêt à accorder).
Si ces taux étaient fixés par le Marché lui-même sans intervention étatique, il y aurait certainement des hauts et des bas plus marqués mais ceux-ci se corrigeraient également bcp plus vite et efficacement. Cela inciterait les investisseurs et prêteurs à une plus grande prudence en renforçant leur responsabilité vis-à-vis des conséquences de leurs choix et, en même temps ( ), l’économie serait régulièrement purgée de certains canards boiteux.
Evidemment, cela priverait les Etats d’un puissant moyen d’action sur l’Economie en général et tout perte de pouvoir est insupportable à ceux qui nous dirigent…
@cyde, pour la dernière phrase de ton commentaire : pour ce que ça a servi d’avoir un pouvoir sur l’économie..
C’est tout le problème de la BCE : comment faire « sauter le verrou » des banques pour transmettre son QE au reste de l’économie.? Elle n’a pas nore trouver la clé de l’egnime.
Article utile mais passant à côté de l’analyse des conséquences de la démultiplication des mauvais investissements maintenus miraculeusement en vie par la politique des BC. Il aurait été intéressant de poser ce mécanisme qui conduit à l’évanouissement progressif de la croissance, jusqu’à la récession.
Etape ultime de la destruction économique par la monnaie, constructivisme ultime si rien ne vient s’opposer à la folie des banquiers centraux, les BC passeront d’une création monétaire plus ou moins temporaire par le crédit à une création permanente, selon le principe du dividende monétaire, dernier suicide économique à la mode.
Un peu technique votre démonstration, je résume donc ce que j’ai cru comprendre :
‘ Plus je pédale moins fort, moins j’avance plus vite … ‘