Simplifier l’impôt sur le revenu est une urgence au Canada (aussi)

La simplicité est l’un des principes établis pour juger de la qualité d’un système fiscal. Celui-ci doit notamment être compréhensible par tous et fournir une certitude quant aux montants prélevés.

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Déclaration d'impôt sur le revenu (Crédits Stéphane DEMOLOMBE, licence Creative commons)

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Simplifier l’impôt sur le revenu est une urgence au Canada (aussi)

Publié le 16 avril 2019
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Par Kevin Brookes et Mathieu Bédard.

Le contribuable voit toujours arriver les mois de mars et avril avec appréhension, alors qu’il devra consacrer des heures précieuses de son temps à remplir sa déclaration de revenus ou débourser pour que quelqu’un le fasse pour lui. Est-il possible de lui faciliter la vie en simplifiant le régime fiscal ?

La simplicité est l’un des principes établis pour juger de la qualité d’un système fiscal. Celui-ci doit notamment être compréhensible par tous et fournir une certitude quant aux montants prélevés. Or, au fil des ans, le gouvernement du Canada s’est progressivement écarté de ces lignes directrices. Son régime fiscal est devenu de plus en plus complexe et coûteux à administrer ; il est aussi plus difficile de s’y conformer.

Malgré son expansion considérable depuis sa création, la Loi de l’impôt sur le revenu n’a pas fait l’objet d’un examen détaillé depuis un peu plus d’un demi-siècle. De nombreux spécialistes, associations professionnelles et parlementaires croient que le temps de mener cet exercice est venu. L’expérience du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, trois pays du Commonwealth, peut servir d’inspiration pour le Canada et donner un aperçu des pistes de réformes envisageables.

Complexité fiscale de l’impôt sur le revenu

La complexité fiscale peut être définie comme l’ensemble des facteurs qui nuisent à la bonne compréhension du système d’impôts par tous les acteurs concernés. Elle renvoie aussi bien à sa conception (nombre et types d’impôts, de taux et de crédits) qu’à la facilité de s’y conformer (le nombre d’étapes pour produire sa déclaration de revenus, les incohérences du régime, la fréquence des changements et la simplicité du langage utilisé).

Cette complexité fiscale pose quatre problèmes majeurs.

D’abord, elle est inéquitable : des gens qui perçoivent le même revenu finissent par payer des montants différents en raison des règles fiscales. Ce manque d’équité est le fruit de l’activité intense de groupes organisés qui font du lobbying pour obtenir des avantages, ou encore de calculs politiques électoralistes.

Deuxièmement, elle représente un coût important pour le contribuable en temps et en argent consacrés à produire sa déclaration de revenus, mais aussi pour le gouvernement, puisque percevoir les impôts devient plus coûteux.

Troisièmement, elle crée de l’incertitude pour les contribuables, ce qui rend la planification de leurs finances personnelles plus difficile.

Enfin, elle peut favoriser l’évasion fiscale.

À l’opposé, un système fiscal simple permet au contribuable « de mieux comprendre comment il est taxé, de se conformer aux règles en vigueur et de prendre de meilleures décisions économiques ».

La Loi de l’impôt sur le revenu : trop complexe et trop imposante

Le régime fiscal canadien est d’une grande complexité, et celle-ci s’est accrue ces dernières années. Alors que le texte de la Loi de l’impôt sur le revenu comptait 4 000 mots lors de son adoption en 1917, il en comprend aujourd’hui plus de 1,1 million, soit l’équivalent des sept volumes de la série Harry Potter réunis. La loi est aujourd’hui 275 fois plus longue que lorsqu’elle a été créée. Seulement depuis 2005, sa longueur a augmenté de 36 % (voir la Figure 1).

En plus d’être très volumineuse, la Loi de l’impôt n’est pas simple à comprendre, même pour les fonctionnaires : près du tiers des réponses données aux contribuables par les employés de l’Agence du Revenu du Canada (ARC) dans les centres d’appels sont erronées.

Un autre aspect de la complexité du système canadien est le nombre élevé de crédits personnels d’impôt, qui sont autant d’exceptions dont on doit tenir compte lorsque l’on remplit sa déclaration de revenus. Le nombre de ces crédits a augmenté de 26 % entre 1991 et 2015, et leur somme totale de 74 %. On a créé pendant cette période quatre fois plus de nouveaux crédits d’impôt qu’on en a supprimé.

En plus d’être pour la plupart inconnues du grand public, ces déductions et exceptions n’ont pas toujours rempli de manière efficace leurs objectifs. Par exemple, le crédit d’impôt pour la condition physique des enfants et le crédit d’impôt pour les activités artistiques des enfants n’ont pas eu d’influence sur le choix des parents d’inscrire ou non leurs enfants à de telles activités. Enfin, un sondage a montré que 71 % des comptables professionnels agréés considèrent que le système de déductions fiscales est trop compliqué.

Un effort de simplification devrait également viser le Guide d’impôt et de prestations fédéral. Ce guide, qui comptait 82 pages en 2017, comprenait encore 58 pages en 2018. Malgré les efforts réalisés pour en réduire le nombre de pages et d’instructions et pour en simplifier le langage, l’existence même d’un guide aussi volumineux est en soi un aveu de la complexité que représente la tâche de remplir sa déclaration de revenus.

Un système doublement coûteux

La longueur de la Loi de l’impôt sur le revenu, son langage inaccessible et ses nombreuses exceptions augmentent le coût de conformité pour le contribuable. En moyenne, ce coût s’élevait à 501 dollars pour chaque ménage canadien en 2012. Cette complexité frappe encore plus durement les contribuables moins fortunés, qui consacrent une part plus importante de leur revenu pour se conformer à la loi.

La complexité fiscale coûte également cher au contribuable en raison des ressources supplémentaires que le gouvernement doit consacrer à gérer son régime fiscal. La Figure 2 montre que le régime canadien est plus coûteux à administrer que la moyenne des pays de l’OCDE. Pour chaque tranche de 100 dollars de recettes fiscales perçues, le gouvernement canadien doit ainsi dépenser 1,15 dollar, soit environ 50 % de plus qu’au Royaume-Uni, par exemple.

De plus, le Canada mobilise un grand nombre de fonctionnaires pour appliquer ses lois fiscales : il y a environ 40 000 employés à l’ARC, soit la moitié du nombre d’employés du fisc américain, qui doivent pourtant traiter les dossiers de cinq fois plus de contribuables.

Enfin, le nombre de litiges entre les contribuables et l’ARC augmente et ils concernent des montants toujours plus importants. Avoir simplement accès à un fonctionnaire est difficile puisque l’ARC ne répond qu’à un peu plus d’un appel sur trois. Le montant total d’impôt fédéral faisant l’objet d’un différend en attente de règlement a été multiplié par trois entre 2005-2006 et 2015-2016, et le nombre de dossiers en attente d’un règlement a augmenté dans les mêmes proportions, passant de 63 384 à 171 744.

Les leçons britannique, australienne et néo-zélandaise

Alors que le Canada n’a procédé à aucune révision majeure de sa Loi de l’impôt sur le revenu depuis les années 1960, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Royaume-Uni y ont eu recours à plusieurs reprises depuis 25 ans. Tous ces pays ont pris des mesures pour réduire la taille et la complexité de leurs codes fiscaux. Des commissions ad hoc et même des organismes permanents ont notamment été créés pour simplifier le régime fiscal.

Au Royaume-Uni, entre 1996 et 2010 le projet « Tax Law Rewrite » a réécrit 6 000 pages de lois relatives à l’imposition des revenus des particuliers et des entreprises afin de le simplifier. Le bilan a été jugé positif aussi bien par le gouvernement que par les comptables.

On a ensuite créé en 2010 le Bureau de simplification fiscale (Office of Tax Simplification) pour conseiller de manière indépendante le ministre des Finances. Afin d’évaluer les efforts à faire par le gouvernement et pour fixer des objectifs par secteur, ce dernier a établi un indice de complexité fiscale. Cet indice tient notamment compte du nombre de changements dans la loi au fil des ans, du nombre de pages des textes de loi, de la lisibilité de la législation, du coût supporté par les contribuables, etc. Le Bureau de simplification fiscale a aussi procédé à un examen d’un échantillon de crédits d’impôt et proposé que certains soient abolis ou simplifiés.

En Nouvelle-Zélande, un Panel consultatif de réécriture a été créé en 1994. Des experts ont donc été mandatés pour réécrire, mais aussi réorganiser des lois fiscales ainsi que les documents utilisés pour communiquer avec les citoyens. Ce processus mené de manière collégiale a rendu la loi plus facile à lire pour les contribuables et ceux qui remplissent leurs déclarations. Le gouvernement néo-zélandais a d’ailleurs reçu des prix pour la clarté de l’anglais utilisé pour communiquer avec les contribuables, que ce soit à l’aide de sites web, de guides ou d’outils simplifiés (comme une application mobile destinée aux contribuables et aux chefs d’entreprise).

Le gouvernement australien a mis sur pied en 1993 une équipe chargée de réorganiser et de réécrire le Code fiscal dans un anglais moderne, dans le cadre d’un projet d’amélioration de la loi fiscale. Éventuellement, 30 % du contenu de la loi a été supprimé.

Dans tous ces pays, les organismes chargés d’examiner le régime fiscal ont tenu compte de l’expertise d’universitaires et de professionnels. On a ainsi évité de laisser aux seuls fonctionnaires le monopole de l’examen du système d’impôt, puisqu’un tel exercice nécessite une liberté de parole beaucoup plus grande que ce que les employés de l’État peuvent généralement se permettre. Cela a aussi empêché que ceux-ci soient à la fois juges et parties.

Conclusion

Un examen détaillé du régime fiscal canadien s’impose et devrait viser à le simplifier. Il serait cependant contre l’intérêt des contribuables – et absurde – que l’élimination de crédits d’impôt mène à une hausse nette des taux d’imposition effectifs. La contrepartie de l’élimination de crédits d’impôt en tout genre devrait donc être une baisse équivalente des taux d’impôt. Cela permettrait d’abaisser le coût de perception des impôts tant pour le gouvernement que pour le contribuable sans affecter les recettes fiscales de l’État, tout en rendant le régime plus compréhensible.

Outre l’élimination de crédits d’impôt, l’expérience étrangère nous donne d’autres pistes, comme la simplification du langage de la loi, la réduction de sa taille, l’usage d’un indice de complexité fiscale et l’amélioration de la communication avec les contribuables. Un effort significatif de simplification du régime fiscal permettrait à terme, par une plus grande transparence du système, de recentrer le débat sur des questions plus cruciales dans nos démocraties, comme la part de revenus que le gouvernement prélève auprès des citoyens par rapport aux avantages qu’ils en retirent.

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