Comment la lecture change votre cerveau (et votre rapport aux autres)

Quels sont les bénéfices de la lecture sur le cerveau ?

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Comment la lecture change votre cerveau (et votre rapport aux autres)

Publié le 17 mars 2019
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Par Frédéric Bernard1.
Un article de The Conversation

Nos motivations à lire sont diverses. Nous lisons des fictions populaires pour nous distraire, des fictions littéraires pour l’esthétique de leurs tournures, des textes documentaires pour enrichir nos connaissances, qu’elles soient académiques ou techniques, ou des ouvrages de développement personnel, dans un but explicitement énoncé par leur désignation même…

Une chose est sûre : si l’on en croit la 3e édition du baromètre « Les Français et la lecture », publiée le 13 mars par le Centre National du Livre, la France aime lire : 88 % de ses habitants se déclarent lecteurs, avec une nette prédilection pour le roman.

Pourtant, si de nombreuses études scientifiques se sont penchées sur les effets, à plus ou moins long terme, de la pratique de la méditation ou de la musique sur le cerveau, on connaît mal ceux de la lecture. Étonnamment, ils n’ont pas fait l’objet de beaucoup de recherches. La plupart des travaux existants se sont en effet attachés à décrire ce qui se passe dans le cerveau au moment où on lit, ou à identifier les structures cérébrales nécessaires à la lecture.

Il a toutefois été clairement démontré que la lecture procure des bienfaits considérables, en particulier sur la pensée, même si à ce titre, toutes les catégories d’ouvrages ne se valent pas. Retour sur quelques enseignements marquants des rares études existantes.

Mieux « lire » les autres grâce à la littérature

Le résultat le plus stupéfiant est celui obtenu par David Comer Kidd et Emanuele Castano, publié dans la prestigieuse revue Science en 2013, puis reproduit par une autre équipe en 2018.

Kidd et Castano ont montré que le simple fait de lire un extrait d’une fiction littéraire (autrement dit, un ouvrage récompensé par un prix et/ou écrit par un auteur de référence, comme Patrick Modiano ou Jean‑Marie Gustave Le Clézio), permet d’obtenir par la suite de meilleures performances en « théorie de l’esprit » que le fait de lire un passage tiré d’une fiction populaire (tel qu’un ouvrage faisant partie des meilleures ventes).

La théorie de l’esprit se définit comme la capacité à attribuer à autrui des pensées, des intentions, des émotions, et être ainsi à même de comprendre et de prédire le comportement des autres. Durant leurs travaux, Kidd et Castano ont évalué cette aptitude grâce au test d’interprétation du regard qui consiste à sélectionner le mot qui correspond à la pensée, à l’intention ou à l’émotion exprimée par le regard d’un individu.

En plus de cet effet à court terme de la lecture, les auteurs ont montré qu’il existait une corrélation positive entre l’expérience de la lecture chez les sujets, mesurée à partir d’un test de reconnaissance d’auteurs, et la performance au test d’interprétation du regard, ce qui suggère cette fois-ci un effet à long terme de la pratique de la lecture sur la théorie de l’esprit.

Il est donc clair que la lecture d’une œuvre littéraire a des conséquences positives, mais comment ces dernières s’expliquent-elles du point de vue neurologique ?

La littérature modifie les connexions cérébrales

Diverses études ont exploré les bases cérébrales de la théorie de l’esprit. Ces travaux consistaient à faire lire aux participants des textes visant à mobiliser cette capacité, tout en observant l’activité de leur cerveau par neuroimagerie fonctionnelle. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence l’implication de deux régions cérébrales spécifiques : le cortex préfrontal médian et la jonction temporo-pariétale. Toutes deux jouent notamment un rôle dans la compréhension des intentions d’autrui.

Ces résultats sont intéressants, mais ne renseignent pas vraiment sur les effets de la lecture de textes littéraires sur le cerveau. À ce jour, une seule étude a exploré cet aspect : celle de Berns et de ses collègues, publiée en 2013 dans la revue Brain connectivity. Les auteurs ont demandé à un groupe de sujets sains, des étudiants de l’université Emory, où travaillaient les chercheurs, de lire chaque soir pendant neuf jours 30 pages du roman Pompeii : A Novel, de Robert Harris. Leur activité cérébrale au repos était ensuite systématiquement mesurée le lendemain matin. Ce protocole visait à déterminer si l’impact de la lecture sur le cerveau durait dans le temps.

Les résultats montrent que, pendant cette période de lecture de neuf jours, la connectivité fonctionnelle entre le cortex préfrontal médian et la jonction temporo-pariétale avait augmenté. La communication améliorée entre ces deux régions (impliquées, comme nous l’avons vu, dans la théorie de l’esprit) pourrait expliquer pourquoi les compétences des lecteurs de romans augmentent au regard de cette fonction.

Aller plus loin, pour optimiser les bienfaits de la lecture

La lecture semble donc capable d’améliorer certaines capacités cognitives importantes pour la vie en société. Ces résultats très intéressants restent toutefois encore parcellaires, et appellent des recherches complémentaires.

Une étude idéale associerait des mesures cognitives de la théorie de l’esprit à des mesures cérébrales fonctionnelles et anatomiques. Celle-ci viserait à mettre en évidence les effets à court et à long terme de la lecture sur la théorie de l’esprit, ainsi qu’à mieux définir la signature cérébrale associée.

La littérature a déjà été intégrée dans des programmes destinés à renforcer le lien social, comme ceux visant à promouvoir l’empathie chez les médecins, ou à développer les aptitudes des détenus.

Mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui sous-tendent les effets bénéfiques de la lecture sur le cerveau permettrait de rendre ces approches plus efficaces, voire d’en inventer de nouvelles.

Sur le web-Article publié sous Licence Creative Commons

  1. Maître de conférence en neuropsychologie, Université de Strasbourg.
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  • très intéressant et tout à fait exact ; reste plus qu’à espérer que le jeunesse actuelle apprenne à lire correctement…..

    • Oui véra, mais même s’ils savaient lire correctement, rien ne dit qu’ils en aient envie. Lobotomisés qu’ils sont par les écrans et infestés par les fesse bouc, net flic et autres instinct gram

      • S’ils ont appris le plaisir de la lecture avant, ils continueront et utiliseront les applications que vous citez à bon escient. Tout n’est pas à jeter dans ces applications. Les parents ont, là encore, un rôle à jouer dans les 1ères années de leurs enfants : goût de la lecture et apprendre le discernement par rapport aux reso socio.

  • Je lis depuis mon plus jeune âge, énormément. Pourtant, ça ne m’aide pas dans mon quotidien « social ». Je passe pour l’intello bourgeois chiant systématiquement.

  • Si je comprends bien : « la lecture est de gôche ».

    C’est dommage pour la gôche car au train où on va, la lecture et la capacité à écrire auront probablement disparu d’ici 50 ans. En effet à quoi sert d’écrire si on peut diriger ses robots par commande vocale. Bien sur les anciens romans auront été numérisé, mais quel intérêt par rapport au dernier jeu vidéo en réalité virtuelle piloté par réseau d’électrodes. Pourquoi pas écouter de la «  » »musique » » » classique tant qu’on y est en place du « métal slam 5D resampled »

  • Etude sponsorisee par jacob et laffond..c’est evidement bidon de chez bidon comme les jeunes ne lisent plus..moi non plus mais j’en’ ai mal aux yeux de cet ecran culturel offert par le grand bill !

  • « Le résultat le plus stupéfiant est celui obtenu par David Comer Kidd et Emanuele Castano, publié dans la prestigieuse revue Science en 2013, puis reproduit par une autre équipe en 2018. »

    Vous emballez pas, je suis en train de lire l’article de l’autre équipe:

    Les auteurs font lire un texte de mauvaise qualité vs un texte de grande littérature, pour vérifier l’effet sur les théories de l’esprit de la lecture de textes de qualité.

    Ils ont pleins de variables en contrôle qui enlèvent des parts de variance pour avoir un effet plus fort de la variable manipulée (si votre variable explique 10% d’un phénomène et que vous enlèvez 50% de variance non commune expliquée par d’autres variables vous expliquez soudainement 20% du phénomène au lieu des 10% bruts), et malgré cela la manipulation qui certes produit un effet au seuil considéré, explique à peine 2% de la variance résiduelle du score sur le test relatif aux théories de l’esprit. Ca veut dire que 98% de la mesure est expliquée par d’autres facteurs.

    Autrement dit je vous dit pas les milliers d’heures de lecture de grand littérature qu’il faut pour espérer obtenir un effet notable et conséquent sur la cognition.

    Les auteurs font aussi des tests sur toutes sortes d’autres mesures dont une compréhension améliorée des émotions exprimées sur la base de photo et font une méta-analyse des études existantes relatives à cette mesure. Conclusion: il n’y a pas d’effet.

    Franchement, il n’y a rien de stupéfiant…..Quand vous lisez ces études en sciences sociales, au lieu de juste regarder la p-valeur, regardez toujours les état-carrés ou autres indices de parts de variance expliquées. Dans la plupart de ces études, même si les variables explicatives montrent un effet, elles n’expliquent le plus souvent pas grande chose du phénomène observé.

    • Un autre détail très bête qui relève de principes de méthodologie 101:
      Ils ont deux conditions de lecture, plus précisément un texte de de fiction littéraire (le texte de qualité élevée) et un de texte de fiction populaire (le texte de qualité mauvaise). La deuxième condition sert de contrôle à la première pour s’assurer que l’effet n’est pas simplement dû au fait de lire. Par contre il n’y a pas de condition de contrôle sans texte.

      Il s’ensuit que d’un point de vue strictement méthodologique, il est impossible de prétendre savoir quelle condition produit l’effet.

      Autrement dit, même si c’est très probable que l’effet aille dans le sens supposé, on ne sait pas si c’est de lire de la bonne littérature qui améliore le score sur le test des théories de l’esprit ou si c’est le fait de lire de la daube qui le péjore………

  • La lecture fait un bien considérable à la confiance intellectuelle. Depuis que je me suis remis à lire, je me sens mieux armé dans les discussions et dans le quotidien en général. Paradoxalement, on est plus l’écoute des opinions des autres, moins agressif dans sa manière d’exposer ses idées. Cependant, je ne trouve pas que ça améliore pas la vie sociale. Bien que je ne m’enorgueillis jamais de mes lectures, les gens deviennent méfiants, sans doute est-ce une forme de complexe parce que lire n’est pas toujours simple.

    A moins de trouver des cercles sociaux qui nous ressemblent, je crains que la lecture et plus généralement « se cultiver » vous éloignent des autres. Un constat que j’ai pu lire souvent sur des forums et autres salons, et dont j’ai pu faire moi-même l’expérience. Parfois je me dis que je serais plus heureux et plus entouré si je consommais comme tout le monde des productions de Youtubers.

  • Les commentaires sont fermés.

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Michel Desmurget est l’auteur notamment de La Fabrique du crétin digital, ouvrage sorti en 2019. Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, il s’appuie sur ses travaux, ainsi que sur de très nombreuses études approfondies qui ont été menées à travers le monde, pour mesurer l’impact de la lecture sur l’intelligence dès le plus jeune âge, et d’autres qualités humaines essentielles qu’elle permet de développer.

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