C’est le principe de simplicité qui devrait guider l’action publique

Dans le domaine scientifique, le rasoir d’Ockham, ou principe de simplicité, suggère de considérer en premier les hypothèses les plus simples. Il est regrettable que ce principe ne guide pas l’action publique.

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C’est le principe de simplicité qui devrait guider l’action publique

Publié le 23 janvier 2019
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Par Boris Lapeyre de Cabanes.

La nouvelle année et les projets de réformes qui l’accompagnent posent, comme de coutume, les questions habituelles du bien-fondé de l’action gouvernementale et de son financement. Une question risque cependant de ne pas être posée : celle de la simplicité de l’action publique. Un coup d’œil aux propositions du gouvernement en ce qui concerne le Code du travail et le pouvoir d’achat me permettra d’illustrer mon propos.

Les réformes touchant au pouvoir d’achat

Parmi les propositions du gouvernement pour améliorer le pouvoir d’achat, on en trouve sur la défiscalisation des heures supplémentaires (une mesure qui semble faire des va-et-vient depuis la présidence Sarkozy), la défiscalisation de la prime de fin d’année, jusqu’à 1 000 euros et pour les salaires inférieurs à trois fois le SMIC, l’augmentation de la prime d’activité de 100 euros pour les salariés au SMIC (financée par une augmentation de ce seuil et un coup de pouce à la prime d’activité existante) à condition que leur conjoint dispose d’un revenu faible, une baisse de la CSG pour les retraités touchant entre 1 200 et 2 000 euros par mois, une diminution de la taxe d’habitation dont on ne sait pas encore si elle concernera tous les foyers, un élargissement du crédit impôt transition énergétique (CITE) dans la limite de 100 euros (mais en réduisant le périmètre pour ne plus inclure le double vitrage), le versement d’un acompte correspondant à 60 % du crédit d’impôt perçu en 2017 pour les ménages bénéficiant de crédits d’impôts, etc.

En-dehors des questions évidentes sur le principe d’égalité devant l’impôt (en particulier en ce qui concerne la CSG et la taxe d’habitation, qui n’ont pas vocation historique à être des moyens de redistribution), ce qui saute aux yeux est la complexité des mécanismes, particulièrement lorsque l’on songe aux moyens qui devront être mis en place pour s’assurer de leur bon fonctionnement : en ce qui concerne la prime d’activité, il faudra par exemple s’assurer avant chaque versement que le conjoint du demandeur touche un revenu faible et de vérifier cette information (donc de prendre en compte les revenus touchés à l’étranger par le conjoint, les plus-values, etc.).

C’est l’occasion de discuter des crédits d’impôt : subdivisés en quatre groupes et vingt sous-catégories qui incluent notamment un crédit aux dépenses d’équipement contre les risques technologiques, un crédit aux versements de cotisations syndicales (soit une subvention publique aux syndicats, finançant aussi bien la CGT que le Medef) et un crédit aux dons aux partis politiques (dont le fonctionnement semble être un appel à la fraude), leur fonctionnement est tel qu’il est encore possible d’en accumuler jusqu’à atteindre un impôt négatif malgré les plafonnements des niches fiscales mis en place au cours des dernières années.

Lorsque l’on sait que ces crédits d’impôts touchent jusqu’au cas très particulier des frais engagés par les bénévoles des clubs de plongée, on est en droit de se demander s’il n’existait pas de solution plus simple, moins coûteuse d’argent public et moins susceptible de devenir une niche fiscale. Plutôt que d’attribuer des crédits d’impôts s’appliquant à plus d’une trentaine de situations différentes, ne vaudrait-il pas mieux, à la fois pour éviter les risques de fraudes et pour assainir les finances publiques, se contenter de diminuer simplement les taux d’impôt sur le revenu ?

Certes, la moitié de la population active ne s’en acquitte pas ; mais cette même moitié paie tout de même la CSG, la contribution à l’audiovisuel public, les taxes sur le carburant, etc. Plutôt que que de taxer d’une main et de verser un crédit d’impôt de l’autre, le bon sens ne dicterait-il pas de tenter de diminuer les deux côtés de la balance ?

On me répondra alors très certainement que c’est le système de redistribution en lui-même que j’attaque ; cette critique s’effondre lorsqu’on observe à qui profitent les crédits d’impôt. Même si les données manquent en ce qui concerne les impôts des particuliers, on retrouve tout de même un exemple dans une étude éclairante de l’INSEE, malheureusement quelque peu datée, indiquant que le crédit d’impôt en faveur du développement durable profite environ 8 fois plus aux classes supérieures qu’aux plus démunis.

Asymétrie d’information, manque de moyens ; quelle que soit la raison de cette différence, le résultat est tel que ce crédit d’impôt favorise avant tout les plus aisés. Les études sur les crédits d’impôt concernant les investissements locatifs vont dans le même sens (il est d’ailleurs éclairant de constater que l’État maintient d’une part un impôt sur la fortune immobilière en accordant par ailleurs des avantages fiscaux aux investisseurs dans l’immobilier…).

La réforme du Code du travail

Chantier déjà entamé par Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Économie, puis à nouveau quelques mois après sa prise de fonction, la réforme du Code du travail est un cas éclairant de l’inflation des textes législatifs dans notre pays. L’année 2019 s’ouvre ainsi avec un nouveau barème pour les indemnités prud’homales : en cas de licenciement abusif, le plafond sera fixé d’un à vingt mois en fonction de l’ancienneté du salarié ; dans les TPE, la réforme instaurera un plancher, fixé de quinze jours de salaire à deux mois et demi en fonction là aussi de l’ancienneté, mais attention : en cas de « violation d’une liberté fondamentale », les plafonds seront abolis et le plancher fixé à six mois.

Par ailleurs, les indemnités légales de licenciement passeront à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté (contre un cinquième aujourd’hui), ce jusqu’à dix ans, au-delà de quoi elles demeureront d’un tiers par mois. Ne serait-il pas plus simple de laisser les salariés négocier ces clauses lors de la signature de leur contrat de travail ? Une éventualité qui n’a sans doute même pas été envisagée, pas plus que le contrat de travail unique.

La négociation d’entreprise est elle aussi un sujet abordé par la réforme ; si l’on peut applaudir la volonté de mettre fin au monopole des syndicats sur le dialogue social, les moyens de parvenir à cet objectif, qui incluent des conditions étranges (majorité des deux tiers pour valider des accords sur certains sujets, encadrés par la réforme uniquement) semblent aller à l’encontre du principe de simplicité, qui voudrait par exemple que dans une entreprise, le passage de 20 à 21 salariés ne soit pas marqué par une modification drastique des réglementations en place. Plus généralement, on peut déplorer que ces textes s’ajoutent à un Code du travail tellement complexe qu’il fait déjà vivre une dizaine de milliers d’experts en France.

Pluralitas ponenda non, sine necessitate

Dans le domaine scientifique, le rasoir d’Ockham, ou principe de simplicité, suggère de considérer en premier les hypothèses les plus simples. Il est regrettable que ce principe ne guide pas l’action publique ; en dehors des coûts entraînés par la multiplication, dans un texte de loi, de situations particulières (coûts qui sont une charge supplémentaire pour le contribuable, puisqu’ils impliquent la mise en place d’administrations chargées de s’assurer du respect de ces divers cas de figure), l’enchevêtrement dantesque des textes de loi est un obstacle à la démocratie, puisqu’il écarte la plupart des citoyens du débat public (et même parfois le président de la République), et fait de la politique une affaire d’experts, qu’ils soient fonctionnaires à Bercy ou avocats fiscalistes.

Par ailleurs, l’amour de la complexité entraîne toutes sortes de dérives, sacralisées récemment par l’introduction de la notion d’abus de droit dans la loi de finances 2019 : en multipliant les cas particuliers, non seulement on rend le droit illisible pour une immense majorité de la population, et particulièrement ceux qui en ont le plus besoin, mais en plus on confère à une petite minorité la capacité de trouver les failles et d’en jouer. La réforme de l’État est l’un des quatre grands thèmes mentionnés dans la lettre aux Français du président ; une des pistes serait de rendre l’action publique plus transparente, lisible, et pour cela, plus simple.

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  • c’est du grand bon sens, mais c’est bien de le rappeler !

    Malheureusement, trop de gens vivent de la complexité de l’action publique pour y renoncer facilement !

  • 1. Simplicité
    2. Responsabilité

    Deux principes fondamentaux que nos dirigeants devraient absolument suivre.

  • Une question qui me vient à l’esprit après lecture de ce brillant article : Comment se passe l’apprentissage aux USA mais aussi à Singapour (pays où vit l’auteur)?

    Parce qu’en cherchant bien, non seulement je vois que ces 2 pays sont dans le top 3 où le droit du travail le plus simple et en même temps je ne vois rien concernant la formation en alternance.

    L’apprentissage est-il aussi développé que la Suisse?

    Merci 🙂

  • Un bel article qui prend toute sa valeur dans un pays dirigé par des incompétents convaincus d’être intelligent et subtile !

  • Jadis, il n’y a pas si longtemps (années 50-60), on utilisait la formulation suivante pour démontrer un théorème : il faut et il suffit . . . Je n’ai connu Occam (Ockham) qu’à travers une nouvelle de Sci-Fi une dizaine d’année après.

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