Le « miracle » sud-coréen : un succès de la planification centrale ?

La Corée du Sud est-elle un exemple à suivre, une anomalie ou une exception qui confirme la règle ?

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45950-Seoul By: xiquinhosilva - CC BY 2.0

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Le « miracle » sud-coréen : un succès de la planification centrale ?

Publié le 28 novembre 2018
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Par le Minarchiste.

Entre les années 1960 et 2000, la Corée du Sud est passée d’une économie agraire sous-développée à une économie industrialisée et concurrentielle sur les marchés mondiaux. La Corée du Sud est souvent utilisée en exemple de succès par ceux qui pensent que le développement économique doit être planifié par le gouvernement plutôt que fondé sur la libéralisation des marchés. Elle fut notamment mentionnée par Eric Reinert dans son livre faisant l’apologie des stratégies de développement économique planifié.

Alors, la Corée du Sud est-elle un exemple à suivre, une anomalie ou une exception qui confirme la règle ?

Tout d’abord, il importe de mentionner que malgré le succès de l’industrialisation de la Corée du Sud, cette économie demeure beaucoup moins développée que la plupart des pays riches, tels que les États-Unis, la Suisse, les pays nordiques, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Mais, plus important, la Corée du Sud a un PIB per capita encore moins élevé que le Japon, Taiwan, Hong Kong et Singapour (les autres Tigres asiatiques).

Autrement dit, la Corée du Sud est loin d’être première de classe avec son PIB par habitant se chiffrant à moins de la moitié de celui de Singapour.

Le contexte

La Corée du Sud a amorcé son industrialisation au début des années 1960, sous le contrôle de la junte militaire menée par Park Chung Hee, qui prit le pouvoir suite à un coup d’État en 1961. Il faut comprendre qu’à l’époque, le pays se trouvait à la frontière de la guerre froide, une situation peu orthodoxe. Les infrastructures du pays avaient été fortement endommagées lors de la guerre civile avec le Nord (1950-53).

Fait intéressant, lors de la partition des deux Corées en 1945, c’est le Nord qui a hérité de la plupart des usines, des mines et de 80 % de la capacité de production électrique. Le Sud se retrouvait avec une économie surtout pastorale.

Conséquemment, l’aide des États-Unis fut cruciale dans le « miracle coréen ». Non seulement les Américains ont fourni une assistance technique et financière à la Corée, mais en plus ont absorbé la majorité de ses exportations, lui permettant de développer une base industrielle. Les entreprises sud-coréennes se virent notamment octroyer de lucratifs contrats par les États-Unis dans le contexte de la guerre du Vietnam.

La Corée du Sud a aussi grandement bénéficié de sa proximité du Japon à une époque où le pays du soleil levant cherchait à délocaliser une partie de sa production vers des pays où le coût de la main d’œuvre était moins élevé. La Corée était au bon endroit, au bon moment.

Le plan

Dans les années 1950, le gouvernement a tenté une stratégie de substitution des importations, qui n’a pas fonctionné (comme c’est toujours le cas). Le nouveau gouvernement de Park Chung Hee s’est alors tourné vers une stratégie de stimulation des exportations. Lorsque le gouvernement décidait de cibler un produit en particulier pour l’exportation, il fournissait des incitatifs financiers pour favoriser le développement de cette industrie. Le plus important incitatif était des rabais sur les taux d’intérêt.

Ce sont vraiment les exportations qui ont propulsé l’économie coréenne, ayant crû au rythme de 30 % par année entre 1962 et 1982.

L’une des premières mesures adoptées par Park Chung Hee fut la création du Conseil de Planification Économique, dont le but était d’établir des plans pour améliorer la croissance économique. Cependant, la Corée s’est toujours considérée comme une économie capitaliste. Le rôle des plans n’était que de définir des lignes directrices et fournir des incitatifs financiers de manière à favoriser ces objectifs. Les décisions étaient laissées entre les mains du secteur privé. Il n’existait aucun mécanisme permettant à l’État de forcer le secteur privé à se plier à ses vues.

Le gouvernement a établi un partenariat avec l’élite entrepreneuriale. Les familles riches ont créé d’importants conglomérats, connus sous le nom de chaebols. Les trois plus connus de nos jours sont probablement Samsung, Hyundai et LG.

Les entreprises d’État se limitaient surtout aux infrastructures et aux industries lourdes requérant beaucoup de capital et la plupart étaient opérées par le secteur privé (comme POSCO dans l’acier par exemple).

L’un des succès du gouvernement fut la création de la Pohang Steel Mill (POSCO) en 1973, grâce à de l’aide financière japonaise, et qui devint un producteur d’acier de grande envergure, concurrentielle sur les marchés mondiaux. Entre 1972 et 1982, la production d’acier a été multipliée par 14, grâce à Posco, un joint venture entre le gouvernement et l’entreprise privée TaeguTec.

Le gouvernement a pris le contrôle de l’industrie bancaire, qu’il a utilisée pour diriger des prêts à faible taux d’intérêt à des industries spécifiques, ciblées par les plans quinquennaux. Bien que les chaebols bénéficiaient de l’aide de l’État, ils ne bénéficiaient pas de monopoles, ce qui favorisait une certaine concurrence et contribuait à les garder efficients. En cas de mauvaises performances, ils perdaient l’aide étatique.

Le pays a de plus investi dans la formation professionnelle de manière à disposer d’une main d’oeuvre qualifiée pour l’industrie manufacturière.

L’une des politiques ayant contribué à la compétitivité des entreprises coréennes a d’ailleurs été sa main d’œuvre sous-payée. Les politiciens autoritaires ont réprimé les mouvements syndicaux ce qui a permis de maintenir la croissance des salaires nettement inférieure à la croissance de la productivité. On peut aussi dire que les chaebols ont pu agir tel un cartel de façon à maintenir les salaires bas.

La mise en place des politiques de développements de la Corée a été facilitée par la nature dictatoriale du régime. La junte militaire a notamment pu maintenir des salaires très bas en réprimant le syndicalisme. Le pays ne passa à la démocratie qu’en 1987.

L’essor de la Corée a aussi été possible grâce à la collaboration des chaebols, ces conglomérats qui ont accepté d’exécuter les plans des dirigeants politiques. Il y a cependant un problème avec cette structure économique. Les chaebols ont asphyxié les plus petites entreprises. Malgré sa croissance économique, la Corée n’a pas réussi à développer un éco-système de start-ups et de capital-risque.

Les chaebols absorbent aussi les meilleurs cerveaux dès leur sortie des universités. Conséquemment, la Corée n’a pas été un foyer d’innovation. Les entreprises du pays se sont concentrées à adopter les technologies développées par l’Occident et le Japon.

Plus récemment, le gouvernement a changé de cap en subventionnant la R&D de manière à stimuler l’innovation et permettre au pays d’être concurrentiel dans l’économie du savoir.

Conclusion

Dans une étude approfondie du « miracle coréen » publiée par le Kellogg Institute, le professeur d’économie Kim Kwan conclue la chose suivante :

« Some factors seem to stand out as representing a situation unique to Korea, with its replicability in other country contexts questionable. »

[Il semble que certains facteurs soient représentatifs d’une situation propre à la Corée, dont la transposition dans d’autres contextes nationaux est discutable.]

Selon Kim Kwan, le timing du « miracle coréen » y est pour beaucoup. La période allant de Bretton Woods jusqu’à la crise pétrolière de 1973 fut un âge d’or pour le commerce international. Durant cette période, il y avait une offre abondante de capitaux étrangers et plusieurs pays avaient atteint le plein-emploi, nécessitant une expansion outremer. Cet environnement était donc très favorable à une stratégie de développement axée sur les exportations.

Ce miracle a notamment été rendu possible grâce au soutien des États-Unis qui a fourni de l’aide et s’est assuré d’absorber les exportations coréennes. En période de guerre froide, il était impératif pour les Américains que l’économie coréenne soit un succès.

La nature dictatoriale du régime a aussi contribué à ce que la planification fonctionne en réprimant la main d’œuvre de manière à garder les coûts bas. Pour subventionner les exportateurs, le gouvernement a utilisé le système bancaire, une stratégie risquée à plus long terme pour ses conséquences potentielles sur l’inflation et le potentiel de corruption.

On peut aussi ajouter que le gouvernement coréen s’est sagement fié au secteur privé pour exécuter les grandes lignes de son plan, plutôt que de tout nationaliser. La stratégie coréenne était loin d’être communiste. Par contre, pour faciliter l’exécution du plan face à la complexité du système économique, le gouvernement a dû concentrer le pouvoir économique entre les mains d’une poignée de chaebols, ce qui a eu des effets pervers (corruption et manque d’innovation).

La stratégie de développement de la Corée lui a permis d’atteindre un niveau de richesse acceptable, mais ce modèle ne lui permettra pas de passer au niveau supérieur. Pour cela, il lui faudra réformer sa structure économique de manière à favoriser l’émergence de petites entreprises innovatrices qui viendront challenger les chaebols et s’imposer sur la scène technologique internationale. L’innovation n’est pas quelque chose qui se planifie…

En somme, le « miracle coréen » est une exception qui confirme la règle et, pour un grand nombre de raisons, ne constitue pas un exemple à suivre pour les pays cherchant actuellement une stratégie de développement. Une chose est sûre, il ne s’agit certainement pas d’une preuve que la planification centrale de style communiste peut fonctionner…

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  • Super analyse, tout est remarquablement décrit, bien insister sur ce système incitant à la corruption.

  • Rien de bien nouveau: c’est la théorie du rattrapage de Gerschenkron avec quelques spécificités locales. On retrouve ce même schéma avec Bismarck ou Meiji, ou à Taïwan etc…

  • Les commentaires sont fermés.

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