L’immigration, le pari de Donald Trump

Le thème de l’immigration a refait surface durant la campagne des midterms. À l’initiative de Donald Trump.

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Immigration Protest By: Travis Wise - CC BY 2.0

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L’immigration, le pari de Donald Trump

Publié le 7 novembre 2018
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Par Jean-Éric Branaa1.
Un article de The Conversation

On ne s’y attendait pas : pourtant, Donald Trump a réussi à faire de cette élection de mi-mandat un remake de celle de 2016. Pour arriver à un tel résultat, il a utilisé une recette qu’il connaît bien et qui a parfaitement fonctionné voici deux ans : le Président américain a tout misé sur la question de l’immigration.

Statu quo

Ce thème avait été loin de dominer les débats jusqu’à récemment et, pendant de longs mois, les candidats se sont affrontés sur la santé, l’économie, ou la meilleure façon de gouverner. On sentait bien, pourtant, que rien ne permettait de départager les candidats ou de créer une dynamique susceptible de renverser des résultats que tous les sondages s’accordaient à trouver très stables : même le tsunami bleu (la couleur du Parti démocrate) qui était annoncé n’allait certainement pas se produire.

Donald Trump est alors entré un peu plus dans la campagne et il l’a secouée violemment en revenant à ses classiques et en proposant une stratégie de campagne plus vigoureuse aux républicains, tweetant :

Les républicains doivent faire en sorte que la frontière et les lois sur l’immigration – qui sont si abominables, faibles et obsolètes –, soient au cœur des midterms !

L’aubaine de la caravane du Honduras

Très vite, le discours national a changé. Il était dominé par des attaques incessantes venues du camp démocrate contre la moralité du président, remettant en cause jusqu’à sa capacité à gouverner. Depuis l’épisode Kavanaugh, les démocrates pensaient tenir là un thème fort, capable sinon de leur faire gagner quelques voix supplémentaires, à tout le moins de fédérer leur camp et de mobiliser leurs électeurs.

L’enjeu de la participation est en effet primordial dans ce scrutin, et loin d’être acquis pour les uns ou les autres. Donald Trump a-t-il réussi à contrecarrer leurs plans ? On remarque qu’il a renforcé sa présence dans la campagne au cours des dernières semaines. Le Président a multiplié les meetings – jusqu’à dix dans la dernière semaine – et ne ménage donc pas ses efforts.

À chaque sortie, il souligne les dangers de l’immigration clandestine, renforçant les craintes par des tweets. La caravane des migrants qui s’est mise en marche depuis le Honduras a été une véritable aubaine qu’il a su exploiter jusqu’à la lie. Les images de ces milliers de migrants qui voyagent en groupe sont, il est vrai, très impressionnantes. Elles ont vite occupé tout l’espace médiatique aux États-Unis.

La détermination de ces mêmes migrants qui, bloqués sur un pont à la frontière mexicaine, se sont jetés dans le fleuve en contrebas, parfois même sans savoir nager, a réveillé les peurs les plus profondes de celles et ceux qui craignent l’invasion. D’ailleurs, ce mot « d’invasion » a été prononcé par le président lui-même.

2018 résonne désormais comme un écho de 2016, quand le candidat Donald Trump parlait de mur à la frontière et expliquait que les immigrants mexicains étaient des « voleurs » et des « violeurs ».

Le showman

Trump est un homme qui met tout en scène et n’a aucune limite dans son action pour fournir le « meilleur » rendu, avec les « meilleurs » effets. Donald Trump connaît son affaire : des années de télévision, à produire des show à grande audience, ont fait de lui un maestro pour ce qui est de capter l’attention.

Depuis la Maison Blanche, il peut faire plus que de s’en tenir aux incantations ou d’élever la voix en accompagnant ses déclarations tonitruantes d’imitations ou de provocations : désormais, Trump peut dramatiser le débat en poussant les peurs jusqu’au paroxysme. Il ne s’en est pas privé. En une semaine, le Président américain a dénoncé la porosité des frontières, s’est plaint de la passivité de tous ses prédécesseurs sur ce sujet, a vilipendé les blocages des démocrates qui ont empêché la construction de son mur.

Puis, soudain, tout a basculé : l’armée est devenue la solution. Le chiffre de 800 soldats a tout d’abord été évoqué, lesquels devaient – en urgence – renforcer le dispositif de contrôle en place le long de la frontière et, jusque-là, assuré par les Border Patrol, auxquels Trump avait déjà adjoint 2 700 hommes de la Garde nationale. Le lendemain, il faisait grimper le nombre de soldats mobilisés à 5 200, puis – le surlendemain – à 15 000 !

Pour qui ne l’aurait pas compris, c’est un véritable état de guerre que promulgue, sans le dire, Donald Trump. D’ailleurs, le nombre de soldats évoqué est supérieur à celui des militaires déployés en Irak. Comme si cela ne suffisait toujours pas, Trump a annoncé la fin du droit du sol pour les enfants de clandestins et, le surlendemain, prévenu que les soldats pourraient tirer contre celles et ceux qui jetteraient des cailloux.

Contredit par l’administration, le Président américain a averti qu’ils seraient arrêtés et mis en prison « pour très longtemps ». Enfin, le week-end dernier, il a annoncé le lancement de la construction du mur sur une portion de la frontière au Texas : 6 km d’un mur en béton armé haut de 9 mètres dont le contrat a été confié à une entreprise texane.

Le débat sur la citoyenneté

Lorsque le président a évoqué un décret supprimant la citoyenneté octroyée automatiquement à tous les enfants nés aux États-Unis, il a relancé un débat important pour la nation américaine : la définition de cette citoyenneté ne pouvant passer par pertes et profits dans un pays comme les États-Unis, il a relégué tous les autres thèmes au second plan.

Les candidats démocrates tentent aujourd’hui de faire entendre leur voix sur leurs thèmes de départ. Mais sont-ils encore audibles sur la santé, les questions sociétales ou la moralité ? Il est indéniable que l’opération menée par le Président est ici un véritable succès.

Donald Trump a fixé un objectif clair, qui passe par des lois plus strictes sur l’immigration, un élément clé de sa plate-forme de candidat depuis 2015. Lors de l’annonce de sa candidature, il avait affirmé au bout de quelques minutes à peine que le Mexique n’envoyait « pas le meilleur » aux États-Unis. Sa promesse de construire un mur frontière entre les États-Unis et le Mexique a captivé l’imagination de ses partisans, et « construire le mur » reste un chant commun lors des rassemblements de campagne.

Un gros risque

Avant et après son élection à la présidence, Donald Trump a évoqué le spectre des membres de gangs MS-13 entrant dans le pays et entraînant des communautés dans la violence. Cette rhétorique a mobilisé une partie des électeurs qui ont aidé à faire élire Donald Trump en 2016.

Qu’en sera-t-il, cette fois ? Convaincus que seul Donald Trump vaut vraiment la peine de se déplacer pour voter, certains électeurs pourraient être tentés de rester chez eux. La dramatisation extrême et l’omniprésence de leur leader dans la campagne visaient à les mobiliser à nouveau.

Mais pour obtenir un tel résultat, Donald Trump a pris un gros risque : en éclipsant tous les autres thèmes de la campagne, il a aussi fortement atténué la question économique qui est pourtant indéniablement son plus grand atout. Trump estime visiblement que cette réussite est une évidence et qu’il n’est plus nécessaire de la défendre. Mais que valent les évidences en politique ?

Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

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Sur le web

The Conversation

  1.  Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines et chercheur associé à l’institut Iris., Université Paris 2 Panthéon-Assas
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  • Quand des milliers de personnes veulent aller dans votre pays sans y avoir été invitées et sans respecter les lois du pays sur l’immigration, cela s’appelle une invasion, que vous le vouliez ou non.

    • Dans une démocratie le respect et l’application des lois sont essentiels. Sans cela il ne peut y avoir de démocratie. Donc les démocrates américains sont en fait des anti-démocrates !

    • « Quand des milliers de personnes veulent aller dans votre pays sans y avoir été invitées et sans respecter les lois du pays sur l’immigration, cela s’appelle une invasion, que vous le vouliez ou non. »

      @Filouthai : Quand, à chaque période électorale, un dirigeant politique profite de tragédies pour exacerber les peurs de la population, pour diviser les gens entre eux, et pour imposer des solutions ridiculement simples (en l’occurence : foutre des soldats partout, construire un mur…) face à un problème d’une complexité absolue (en l’occurence : manque de libertés en amérique centrale + incapacité des USA a se montrer aussi performant qu’autrefois concernant l’intégration des immigrés), cela s’appelle de la manipulation, que vous le vouliez ou non.

      Si un individu lambda déplore (consciemment ou inconsciemment) les conséquences négatives des « invasions migratoires » que subit le peuple américain (ou plus généralement les peuples des pays développés), mais que cet individu applaudit les solutions bidons que des politicards manipulateurs (de droite ou de gauche) imposent face à ces « invasions », cet individu est un idi0t qui déplore les conséquences des solutions qu’il applaudit.

      Alors que dans un monde plus libre/moins étatiste la situation personnelle de cet individu s’améliorerait rapidement, dans le monde actuel infesté de politicards manipulateurs (de droite comme de gauche) elle s’améliore lentement voire se dégrade carrément. Malgré ça, du fait que c’est un idi0t, l’individu continuera à applaudir ces politicards manipulateurs qui, grâce à sa stupid1té, mènent la belle vie, vivent dans de sompteux palais ultra sécurisés, roulent en limousine avec chauffeur, poursuivis par une foule de sublimes top models.

  • Il faut dire que l’élu Hondurien gauchiste qui a manipulé avec des ONG engagées des foules pauvres de son pays en les lançant dans un périple médiatique sans issue l’a bien aidé.
    L’image horrible de 8000 à 10000 pauvres gens conditionnés lançant des pierres et forçant les barrages illégalement a aussi orienté le débat en ce sens.

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